Pacte asile et migration : l’Europe sort doucement (si doucement) de l’ère des bons sentiments<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du Parlement européen participent à une série de votes lors d'une session plénière au Parlement européen à Bruxelles, le 10 avril 2024.
Des membres du Parlement européen participent à une série de votes lors d'une session plénière au Parlement européen à Bruxelles, le 10 avril 2024.
©JOHN THYS / AFP

Une rupture ?

Après 9 ans de négociations, le Parlement européen a adopté définitivement ce mercredi un ensemble de textes visant à harmoniser les procédures d’accueil des migrants dans les États de l’Union.

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini est un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État et ancien directeur général des services de la région Île-de-France. Sa carrière se situe entre l'administration et la politique. Diplômé de l'ENA en 1979, il soutient Chirac avant de devenir un proche conseiller d'Alain Juppé lorsque ce dernier est entré à Matignon en 1995. Il s'est démarqué notamment lors de batailles électorales réputées difficiles ; il fut ainsi l'artisan de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995, de celle de Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015, avant donc de conduire François Fillon à la victoire de la primaire, fin 2016. En mars 2017, il renonce à ses fonctions de directeur de campagne de François Fillon. Patrick Stefanini est directeur de campagne de Valérie Pécresse dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022.

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Jérôme Quéré

Jérôme Quéré

Jérôme Quéré est Délégué général du think tank Confrontations Europe. 

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Atlantico : L'Union européenne se prononce ce mercredi sur le pacte asile & migration, sur lequel le parlement travaille désormais depuis des années. Que sait-on, concrètement, du contenu du pacte ? Quel est son principal objectif ?

Patrick Stefanini : Il est vrai que l’Union européenne travaille sur ce projet de pacte depuis de nombreuses années. De fait, c’était donc un sujet très attendu. Et pour cause ! Les opinions publiques européennes ont le sentiment qu’il n’y a pas de politique européenne de l’immigration digne de ce nom et qu’on ne fait que les lanterner avec ce projet de pacte depuis des années. Pour beaucoup, j’en suis convaincu, ce n’était donc plus un projet très crédible. Il était donc grand temps que celui-ci arrive devant le Parlement européen et qu’il puisse être voté.

Venons-en maintenant à ce que contient le projet de pacte, que je trouve pour ma part assez positif. Il y a d’abord l’idée que l’on peut, dès lors que des migrants se présentent à la frontière extérieure de l’un des Etats membres de l’Union, exercer des contrôles visant à vérifier si ces derniers sont en possession des documents nécessaires à toute entrée dans le pays concerné. C’est également vrai pour les potentiels demandeurs d’asiles qui ne rempliraient à priori pas les conditions nécessaires pour entrer. Plutôt, donc, que de laisser entrer ces personnes et ensuite instruire leur demande d’asile à l’intérieur même du territoire de l’Union (avec tous les risques que cela implique si celle-ci devrait être refusée), il sera possible de mettre en place un système de filtrage en amont. Le projet de pacte prévoit également que les personnes se présentant à la frontière extérieure (parce qu’elles demandent l’asile ou parce qu’elles ont été secourues en mer, quand elles ont tenté d’entrer illégalement dans le pays, par exemple) soient interceptées et stoppées avant de la franchir. Il n’est pas question de les laisser entrer dans l’Union européenne, mais bien de les soumettre à un mécanisme de filtrage qui permettra, sous cinq jours, de déterminer s’ils sont ou non éligibles à la demande d’asile.

Ce mécanisme de filtrage aboutit nécessairement sur la question de renvoyer, ou non, l’arrivant vers un pays tiers sûr (ou PTS). Les spécialistes du droit d’asile ont l’habitude de jongler avec la notion de pays d’origine sûr : il s’agit d’un Etat, d’où est originaire le migrant, qui ne fait pas l’objet d’une guerre ou d’une dictature par exemple, qui ne persécute pas non plus ses ressortissants sur la base de leur identité, de leur foi, de leur préférences sexuelles. Les gens qui viennent de ces pays ont globalement assez peu de chances d’obtenir l’asile en Europe. Le pays tiers sûr, en revanche, diffère de ce point. On parle cette fois d’une nation par laquelle le demandeur d’asile a pu transiter et, se faisant, il pourrait être possible de confier le soin d’instruire la demande d’asile à ce même pays… sous réserve qu’il soit également signataire de la Convention de Genève. C’est tout à fait nouveau, même s’il faut bien rappeler que c’est dans les tuyaux depuis au moins cinq ou six ans. Ce qu’il y a de vraiment étonnant, c’est que ce dispositif soit décrit noir sur blanc dans un document sur lequel les pays de l’Union européenne ont été appelés à se mettre d’accord.

Précisons toutefois qu’il s’agit d’un dispositif qui va poser problème à la France, du fait de la façon dont est rédigé le préambule de la Constitution de 1946. L’un de nos articles, assez connu par ailleurs, énonce que toute personne persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. On parle ici d’asile constitutionnel, c’est un élément très spécifique au droit français. Cela avait déjà posé problème à l’époque où nous avions signé les accords de Dublin et il avait alors fallu réviser la Constitution. Cela sera probablement de nouveau le cas, au risque sinon que tous les demandeurs d’asile prétendent être persécutés pour ces raisons-là.

Revenons-en à notre mécanisme de filtrage. Pour bien comprendre comment celui-ci fonctionne, il faut aussi noter qu’il doit y avoir un lien entre le demandeur d’asile et le pays tiers en question vers lequel on souhaite le renvoyer. Il n’est pas certain que le simple fait d’avoir transité par celui-ci suffise nécessairement à caractériser ce lien. On peut légitimement penser que oui, mais il faudra attendre un peu pour en être sûr. Le pacte prévoit aussi que les demandeurs d’asile qui ne pourront pas être renvoyés vers un pays tiers sur verront leur demande d’asile examinée à la frontière extérieure de l’Union européenne sans qu’on les laisse entrer. Cette procédure ne concernera cependant que les demandeurs venant de pays dont les ressortissants ont de faibles chances d’obtenir le statut de réfugié en Europe. Laisser ces personnes entrer c’est prendre le risque de ne pas pouvoir les expulser si la demande est déboutée. Pour y remédier, des centres devront être construits, dans lesquels ils seront confinés jusqu’à décision finale (rendue, rappelons-le, sous cinq jours à quelques semaines). C’est évidemment un progrès ! J’avais écrit à ce propos et plaidé en faveur d’une telle mesure il y a déjà plus de trois ans. On sait aujourd’hui que l’immense majorité des demandeurs d’asile sont déboutés, mais puisqu’ils sont déjà entrés en Europe au moment de l’instruction de la demande, ils sont ensuite en mesure de librement circuler entre les Etats membres. Il devient alors très difficile de les forcer à quitter le territoire.

Ce système de filtrage, néanmoins, demeure assez restrictif en cela qu’il ne s’applique qu’aux demandeurs d’asiles en provenance de pays sûrs et dont on estime qu’ils sont moins statistiquement moins éligibles au statut de réfugié. Il aurait pourtant été possible de l’appliquer à tous, mais cela traduit à mon sens certains des biais philosophiques de l’Europe en matière d’immigration. Il est également possible que les élus n’aient pas voulu avancer trop vite sur ce sujet : pour que tout cela fonctionne, il faut des mécanismes juridictionnels performants, des installations adaptées, cela ne se fait pas en un claquement de doigt.

Autre point essentiel concernant le pacte asile et migration : il prévoit l’introduction d’un mécanisme de solidarité entre les Etats membres. Parce qu’il n’est évidemment pas possible de changer la géographie de l’Union européenne et que les principaux flux migratoires arrivent du sud, ce sont les pays du flanc sud les plus exposés aujourd’hui. On parle ici de l’Espagne, de la Grèce, de l’Italie, qui ne sont séparées que par quelques centaines de kilomètres des côtes marocaines, turques, libyennes ou tunisiennes. Evidemment, ils se plaignent amèrement du système de Dublin, que ce pacte maintient d’ailleurs. Celui-ci prévoit que c’est le pays de première entrée qui est considéré comme responsable de l’examen de demande d’asile. La charge d’instruction revient donc de facto à ce dernier. Ceci étant dit, ce mécanisme de solidarité vise à compenser au moins partiellement cette réalité. Très concrètement, il est ici question d’accepter la relocalisation des demandeurs d’asile – c’est-à-dire les prendre chez soi en tant que pays tiers et instruire soi même la demande – ou dédommager financièrement les premiers pays d’accueil, quand l’on refuse toute relocalisation en tant qu’Etat.

Jérôme Quéré : Le pacte asile et migration comprend toute une série de textes, qui avaient d’ores et déjà fait l’objet d’un accord politique en décembre dernier. Déjà à l’époque, les contours de l’accord politique étaient assez clairs. Notons que le vote autour de ces textes avait alors fait l’objet de certaines tensions. C’est attendu puisqu’ils avaient été proposés par la Commission européenne dès 2020 et nous avons mis longtemps avant de pouvoir aboutir à un accord politique. Cela n’a rien de nécessairement exceptionnel dans l’histoire du fonctionnement de l’Union européenne, mais cela prouve bien qu’il s’agit d’un sujet sur lequel il est difficile de faire consensus.

L'objectif de ces textes est d’assurer un meilleur contrôle aux frontières extérieures ainsi qu’un meilleur traitement des demandes d’asiles. Il s’agit de mieux répondre à des situations qui n’avaient pas nécessairement été envisagées auparavant, comme cela a pu être le cas durant la crise de l’accueil des réfugiés à la suite, par exemple, de la guerre en Syrie. Il résulte donc du constat que le système de l’époque n’était pas efficient et qu’il fallait donc l’adapter. Avant d’en arriver au pacte qui a été présenté au Parlement ce mercredi 10 avril, il y a eu d’autres essais qui n’ont pas été très concluants. La question se fait pourtant d’autant plus pressante qu’il y a aussi eu la guerre d’invasion russe en Ukraine, entraînant le déplacement de nombreux réfugiés ukrainiens en Pologne notamment. Cela soulève un certain nombre de questions concernant le règlement de la procédure de Dublin, qui est de plus en plus remis en question. Cela fait longtemps que les principaux pays de transit le critiquent, puisque c’est lui qui veut que le pays par lequel le migrant passe en premier soit chargé d’instruire la demande d’asile. Par conséquent, ce sont toujours les mêmes qui sont contraints de s’y plier : la Grèce, l’Italie, Malte, Chypre et l’Espagne. Les autres, comme le Luxembourg, le Danemark ou les Pays-Bas ne constituent évidemment pas des portes d’entrée dans l’Union européenne. La situation géographique de l’Europe engendre donc de facto une injustice que ce pacte asile et migration cherche à corriger.

Pour se faire, il prévoit un premier volet que l’on pourrait décrire comme un principe de solidarité. Concrètement, tous les pays de l’Union européenne vont devoir être solidaires les uns par rapport aux autres en matière de traitement des demandes d’asiles. Si le Luxembourg, par exemple, n’en traite pas, il lui faudra dédommager les pays qui eux choisissent de les traiter. Il est aussi possible d’opter pour la relocalisation des demandes d’asile, ce qui correspond à davantage d’exceptions au règlement Dublin mais ne vise pas à l’abroger à proprement parler. Ce principe de solidarité a fait l’objet de nombreuses demandes de la part des pays principaux de transit et notamment de l’Italie, quelque soit la majorité en place par ailleurs.

Le deuxième volet prévu par le pacte consiste à mettre en place un système de filtrage aux frontières extérieures de l’Union européenne. Ce filtrage permettra de faire appel à un dossier commun de tous les pays de l'Union européenne, appelé Eurodac, qui comprend l’empreinte digitale, l’empreinte faciale, le nom, le prénom, le pays d’origine entre autres éléments. Il renseignera également les éventuelles demandes d’asile et les refus associés, ainsi que le pays d’origine, permettant ainsi d’identifier plus rapidement l’éligibilité ou non du demandeur. Par ailleurs, ce volet s’accompagne d’un durcissement du filtrage déjà exercé puisque les enfants âgés de moins de 14 ans ne pouvaient pas faire l’objet de contrôles auparavant. Désormais, l’âge minimal descend à 6 ans.

Il faut aussi mentionner l'existence d’une procédure de traitement à la frontière extérieure qui est accélérée par rapport à ce qui se fait aujourd’hui. Ce sont les demandeurs d’asiles provenant de pays dont les demandes sont rarement accueillis favorablement qui sont concernés (le taux d’éligibilité n’excède alors pas 20%). Au total, la procédure de vérification pourra prendre jusqu’à 12 semaines, pendant lesquelles les individus concernés seront placés dans des centres de rétention afin de ne pas leur permettre une libre circulation sur le sol européen. A cet égard, nul ne peut nier le durcissement qui vient compenser le principe de solidarité précédemment évoqué.

Tout cela s’inscrit dans un cadre que nous avons eu l’occasion de dépeindre, mais je pense qu’il faut également mentionner les attaques hybrides dont l’Union européenne a pu faire l’objet ces dernières années.Certains pays n’hésitent pas, en effet, à instrumentaliser les personnes en détresse pour mieux les masser aux frontières de l’Union ; non sans leur pointer des armes dans le dos. La Biélorussie l’a fait en Pologne, la Russie le fait avec la Finlande.

D’une façon générale, le pacte prévoit des mécanismes spécifiques pour faire face à une éventuelle crise migratoire, qui comprennent des mesures de soutien financiers aux pays les plus exposés.

Que peut-on dire de la vision de l'immigration qui se dégage, à échelle européenne, de ce texte ? Peut-on parler, par exemple, de la fin d'une ère des "bons sentiments", dans laquelle l'immigration n'a été envisagée que par un seul prisme idéologique plutôt qu'en tenant compte des capacités d'intégration et des intérêts des sociétés d'accueil ?

Jérôme Quéré : Je dirais qu’il émane de ces textes une volonté claire de traiter plus rapidement les demandes d’asile. C’est vrai que l’on peut tous espérer que les instructions des demandes d'asiles soient réalisées plus rapidement, sans pour autant être bâclées et force est de constater que cela provoque d’importantes tensions dans un certain nombre de pays européens. Il est donc important d’apporter des solutions quand bien même cela n’est pas chose aisée. Personne ne souhaite écarter ce débat ou ne pas y faire face, même si tout le monde n’a pas forcément les mêmes solutions à proposer.

Auparavant, chaque Etat membre traitait les demandes d’asiles ou accueillait les réfugiés à sa propre manière. Ainsi, la France a accueilli un grand nombre de Boat People sur la base de ses choix personnels. Elle n’a pas été encouragée ou menacée par l’Union européenne mais a décidé de le faire. A ce moment-là, il revenait à chaque Etat de choisir combien d’individus accueillir. Désormais, la situation est très différente, puisqu’il y a des tensions géographiquement beaucoup plus proches et que le développement de nouvelles voies de transports (aérienne notamment) permet de rejoindre des destinations plus aisément et pour moins cher qu’auparavant. Les flux migratoires ont beaucoup changé ces 50 à 60 dernières années ; il faut donc en tenir compte.

Notons, d’ailleurs, que la perception européenne concernant les demandeurs d’asile évolue. Nous avons eu l’occasion, chez Confrontations Europe, d’organiser un sondage avec Viavoice qui montre combien les citoyens européens ont tendance à penser que leur pays est celui qui accueille le plus de réfugiés et de migrants. Mathématiquement, bien sûr, ce n’est pas possible : tous les pays de l’Union ne peuvent pas être celui qui accueille le plus de personnes. C’est l’Allemagne qui est en première place. Cependant, cela illustre bien la perception globale de la population qu’il convient de ne pas ignorer ou balayer. Ce sentiment doit être rapporté à d’autres éléments comme le PIB territoire. Quand on bénéficie d’un territoire aussi vaste que l’Allemagne, avec un PIB important et une population qui n'est pas exiguë, il est plus facile d’accueillir du monde que lorsque l’on est Malte et que la superficie disponible est autrement plus petite. Dès lors, il va sans dire que la pression exercée par le phénomène de demande d’asile est plus importante à Malte qu’elle ne l’est en Allemagne même si en nombre absolu, c’est l’Allemagne qui accueille le plus de migrants.

Je n’irais peut-être pas jusqu’à dire que c’est la fin des bons sentiments parce qu’on ne remet pas en cause la Convention de Genève ou le devoir d’accueil des réfugiés (mais il faut faire la part des choses avec la migration économique que chaque Etat est en droit de refuser ou non). En revanche, il est évident qu’il y a beaucoup plus de demandeurs d’asile qu’il y a 60 ans et qu’il y a donc une nécessité d’adaptation et un questionnement sur le traitement qu’il faut réserver au phénomène. Notons, à ce propos, que l’essentiel des demandes d’asiles sont déboutées : en moyenne, l’Union européenne ne valide qu'environ 40% d’entre elles et la France seulement 33%.

Patrick Stefanini : L’Union européenne est très divisée sur la question migratoire. De nombreux pays, et ce n’est pas encore le cas de la France, sont confrontés à un déficit démographique dramatique. Chez certains de nos voisins, le taux de fécondité des femmes chute sous la barre des 1,50, quand il ne descend pas jusqu’à 1,30. C’est bien moins que le 2,05 nécessaire au renouvellement des générations. Face à cette crise démographique dramatique, face à la pénurie de main-d'œuvre, certains se disent que l’immigration constitue une forme de solution même s’il est nécessaire de la contrôler et de s’assurer que l’on fait venir des gens qu’il sera ensuite possible d’intégrer. La France n’en est pas arrivée là, quand bien même elle fléchit depuis quatre ou cinq ans à ce propos. C’est un problème général, qui pousse les uns et les autres à ne pas être d'accord sur cette question.

S’il y a bien un point sur lequel les traités ne laissent pas de place à la confusion, c’est la responsabilité de chaque Etat membre en matière de contrôle des frontières extérieures. Un migrant qui n’est pas en règle n’est pas supposé passer la frontière extérieure de l’Union européenne. La jurisprudence est très claire à ce sujet : les Etat membres exercent un pouvoir souverain à ce sujet et il leur revient de contrôler comme d’empêcher l’entrée sur leur sol. Il existe bien sûr le principe de non-refoulement pour les demandeurs d’asile, qui implique qu’il n’est pas possible de renvoyer ceux-ci dans un pays où ils courent le risque d’être persécutés, mais il est tout fait normal d’assurer l’instruction de la demande d’asile à la frontière et c’est d’ailleurs ce que prévoit le pacte. A cet égard, j’insiste, il constitue un progrès réel, qui va permettre de transposer dans tous les Etats membres de l’Union une procédure que la France connaît et maîtrise bien pour l’appliquer au quotidien à chacune de ses frontières aériennes.

J’aurais donc tendance à dire que la philosophie de l’Union européenne, en matière d’immigration consiste aujourd’hui à prendre conscience et à dire qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Il est plus efficace de contrôler et de stopper l’immigration illégale à la frontière extérieure plutôt que d’avoir ensuite à faire des éloignements très difficiles à mettre en place. Est-ce à dire que l’Union sort de l’ère des bon sentiments ? Je dirais plutôt qu’elle a été jusqu’à maintenant assez pusillanime. Chaque État membre a toujours eu le devoir moral vis-à-vis du reste de l’Union de contrôler ses frontières extérieures… et pourtant, nous ne nous étions jamais donné les moyens de tirer pleinement les conséquences du phénomène, faute de volonté politique et en raison d’un grave manque d’organisation.

Le Parlement européen est composé de plusieurs forces politiques, habituées aux compromis. En matière d'immigration et tout particulièrement sur la question du pacte asile & migration, qui soutient quoi ? Quelles sont les stratégies politiques mises en place par les différents partis dans le cadre de ce vote ?

Patrick Stefanini : L’Union européenne est actuellement gouvernée par une coalition de trois partis, qui rassemble le PPE, les socio-démocrates et ce que l’on appelle France le parti Renaissance. En clair, les formations centristes. La majorité de ceux-ci se sont montrés en faveur du pacte asile et migration, dans la mesure où celui-ci comporte un certain nombre d’avancées dont nous avons eu l’occasion de parler jusqu’à présent.

Le Rassemblement national s’est longtemps opposé à celui-ci, de même que les formations d’extrême gauche. Cependant, les raisons de ce rejet diffèrent d’un parti à l’autre : au RN, cela s’explique notamment parce que l’on ne veut pas que l’Union européenne fasse la démonstration de sa capacité à mieux maîtriser l’immigration tandis qu’à l’extrême gauche, cela émane d’une sensibilité no-border bien connue.

Jérôme Quéré : Actuellement, il y a trois groupes politiques au sein de la principale coalition : la droite PPE, les socialistes et démocrates, ainsi que les libéraux. Si l’on devait faire un parallèle avec la situation française, nous dirions que cela correspond à une alliance des Républicains au Parti Socialiste ainsi qu’à Renaissance respectivement. Ces trois groupes politiques, pour l’essentiel, soutiennent le Pacte asile et migration. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de voix dissonantes dans certaines de ces formations. Ne perdons pas de vue qu’ils rassemblent des élus issus des 27 Etats membres de l’Union européenne dont les perspectives et les intérêts peuvent changer considérablement d’une nation à l’autre. Ainsi, Sylvie Guillaume du Parti Socialiste français s’est montrée défavorable à un certain nombre des points de ces textes. 

Du côté des Verts et de la Gauche unitaire (qui correspond à la France Insoumise chez nous), la majorité est opposée au Pacte. Pour autant, ces formations sont minoritaires au sein du Parlement européen. Le Rassemblement national, lui, était confronté à une situation complexe : il a fallu composer avec le fait qu’ils auraient pu voter pour, en raison du durcissement des conditions d’accueil et de contrôle, mais aussi qu’ils auraient pu voter contre en raison du mécanisme de solidarité précédemment évoqué. Ils se sont retrouvés coincés entre le risque de se placer en porte à faux avec l’extrême droite italienne, en faveur de ces textes, ou de voter pour un texte auquel ils avaient pourtant des raisons de ne pas adhérer.

Ceci étant dit, le vote du Pacte présente aussi un intérêt conséquent pour différentes formations nationales en vue de la campagne électorale des européennes. La majorité présidentielle, notamment, va pouvoir s’en prévaloir en affirmant avoir réussi à faire adopter le Pacte tandis que d’autres pourront dire qu’ils étaient contres et annoncer leur intention de le remettre en cause. 

Faut-il voir dans ce vote un moment de rupture ? Ce texte peut-il réellement limiter l'immigration, ainsi que le prétendent certains élus en France, notamment ?

Jérôme Quéré : C’est un Pacte, nous l’avons dit, qui permettra de traiter plus rapidement les demandes et de savoir plus vite si une personne aura ou non accès au droit d’asile. En cas de refus se pose la question de la réadmission dans un pays d’origine ou dans un pays tiers. Comment faire en sorte que les personnes qui n’ont pas obtenu le droit d’asile ne restent pas sur le territoire européen ? C’est là toute la difficulté. Apprêter un avion coûte de l’argent, d’autant moins bien dépensé que les pays d’origine ou tiers ne veulent pas toujours reprendre les personnes déboutées. Il va donc falloir négocier un certain nombre d’accords bilatéraux pour s’assurer de la bonne application du pacte. Ne perdons pas de vue non plus que ce n’est pas parce qu’un individu a été débouté qu’il ne peut pas revenir tenter sa chance à un autre moment. Cependant, le renforcement du dossier Eurodac et la mise en place d’un système de filtrage plus performant devrait permettre d’importantes avancées en la matière. Reste à espérer que cela puisse se montrer dissuasif, mais ce n’est pas forcément gagné d’avance. Particulièrement si les conflits continuent aux portes de l’Europe. Aucun système n’est infaillible et ces situations humaines sont très complexes.

Patrick Stefanini : Ce texte a pour objectif, nous l’avons dit, d’endiguer le phénomène de demande d’asile. Celui-ci a atteint un pic entre 2015 et 2016, où le nombre de demandes d’asile adressé à l’Union européenne a allègrement dépassé le million. L’Allemagne à elle seule flirtait avec le million ! Aujourd’hui, nous assistons de nouveau à une vague montante, preuve qu’il faut casser tout de suite ce phénomène. Nous dépensons beaucoup d’argent et beaucoup d’énergie pour instruire ces demandes d’asiles, dont une écrasante majorité est pourtant vouée à l’échec. Le pacte asile et migration permettra peut-être d’en arriver là. Réponse dans un an ou deux, je suppose. Je pense que Napoléon avait raison à propos de la guerre, quand il disait qu’il s’agissait d’un art simple mais tout d’exécution. C’est également le cas pour le contrôle de l’immigration.

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