Loi immigration : le symptôme du mal politique français<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l’Intérieur veut trouver « une voie de passage » pour la loi, débattue au Sénat à partir de ce lundi, et se dit prêt à « trouver un compromis ».
Le ministre de l’Intérieur veut trouver « une voie de passage » pour la loi, débattue au Sénat à partir de ce lundi, et se dit prêt à « trouver un compromis ».
©Ludovic MARIN / AFP

Rien dans les faits

L'immigration est l’un des domaines dans lesquels il y a le plus grand hiatus entre le discours et la réalité.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Alors que l’examen au Sénat de la loi immigration va débuter ce lundi, ce projet n’est-il pas devenu une bataille symbolique ? Pourquoi l’immigration est-elle le sujet où la vacuité de la vie politique se voit le plus ? A quel point cela est-il dû au « en même temps » macronien ?

Christophe Boutin : La bataille politique engagée autour de la question de l’immigration était dès le début symbolique, puisque le choix qui est fait d’agir par une loi limitait nécessairement les effets du texte.

L’immigration est un des sujets sur lesquels effectivement cette vacuité du pouvoir politique est la plus flagrante, peut-être parce que c’est l’un des domaines dans lesquels il y a le plus grand hiatus entre le discours et la réalité. Lorsque le discours officiel nous dit qu’il n’y a pas eu de changement dû à l’immigration en termes de population en France, il suffit de marcher dans les rues non plus seulement des banlieues périphériques des grandes villes, mais dans celles des villes et villages de France pour constater qu’il n’en est rien. C’est logique : chaque année, une population étrangère équivalente à celle d’une ville comme Mulhouse, Caen ou Nancy (autour des 100 000 habitants) acquiert la nationalité française, ce qui fera un million de personnes durant les deux mandats d’Emmanuel Macron - un chiffre qui, précisons-le, a baissé par rapport aux années Chirac. On nie par ailleurs la part de cette immigration dans l’insécurité, ou son poids dans les dépenses de l’État, et on interdit pour cela l’usage des instruments statistiques, ce qui laisse la part belle aux fantasmes les plus malsains et qui interdit toute politique cohérente.

Mais vous soulevez là aussi une question essentielle, celle de savoir si Emmanuel Macron est ou n’est pas un « politique ». Or il semble bien qu’il reste avant tout un banquier d’affaires spécialisé dans les fusions-acquisitions, c’est-à-dire dans la recherche d’un accord entre professionnels prêts à mettre du leur pour y parvenir. Lorsque le Président veut arriver à la même chose en politique, il fonctionne intellectuellement de la même manière. Il commence par proposer aux différents partis et/ou aux Français son propre choix « d’expert », s’étonne qu’il ne soit pas accepté, puisqu’il est le plus « raisonnable », et se lance ensuite dans de grandes explications pour convaincre. Sur le plan normatif, il élabore un texte « de compromis » qui se présente comme un patchwork des avis qu’il a entendus pour que personne ne se sente « perdant » dans ce qui reste pour lui une négociation, un « deal ». Mais ce n’est pas là faire de la politique : si le politique gagne à écouter les différents avis - le vieil adage juridique, auditur et altera pars étant tout aussi valable ici - il doit ensuite faire un choix, son choix, tenant compte de sa vision du bien commun, un choix qui peut ne reprendre qu’une partie des propositions qui lui sont faites… ou aucune. Emmanuel Macron aime à considérer, et c’est tout à son honneur, que tout n’est pas manichéen et simpliste, et que nombre de problèmes peuvent être vus « en même temps » selon des angles différents. Certes, mais le politique doit in fine faire un choix, sur lequel le consensus n’existe pas toujours.

En continuant ainsi à faire des textes qui veulent ne fâcher personne, on fait surtout des textes qui fâchent tout le monde… ou qui permettent de faire semblant de l’être. Mais à bien y regarder, derrière ce théâtre d’ombres, on a l’impression, notamment avec ce texte sur l’immigration, qu’il y a instrumentalisation : entre les propositions initiales et les modifications acceptées, ce « en même temps » politicien qui se veut un savant arbitrage entre « droite » et « gauche » vise avant tout à permettre aux partis du « cercle républicain » de sortir le front haut d’un pseudo-débat qui aboutira à un texte qui, dans les faits, on l’a dit, ne remettra jamais en cause la direction suivie. Le « en même temps » macronien trouve ici clairement ses limites : la partie « dure » de la loi, ne pourra être appliquée ; sa partie « molle » aura des implications non maîtrisées. Mais peu importe puisque le public macronien sera satisfait.

La question des « métiers en tension » est révélatrice de cet état de fait. Qu’il y ait effectivement des métiers pour lesquels il y a actuellement une difficulté à pourvoir des postes est une chose ; que la seule solution pour répondre à cette demande, dans un pays qui compte un nombre respectable de chômeurs (2,2 millions 7,2% de la population active) - plus nombreux d’ailleurs dans la part de population venue de l’immigration (12,7%) - en est une autre. Avant d’agir ainsi, peut-être faudrait-il d’abord poser la question du « juste salaire », quand celui offert dans nombre de cas ne permet pas par exemple de se loger pas trop loin du lieu de travail, ce qui conduit à perdre beaucoup de temps et d’argent - au point que, parfois, la différence soit faible avec ce qu’apportent les aides sociales quand on ne travaille pas. Il faudrait peut-être examiner ensuite toutes les conséquences d’une régularisation avec un titre de séjour « métiers en tension » :  accès aux dites aides en cas de chômage - et tentation d’y rester -, possibilité de rapprochement familial et donc coûts pour la société - logements sociaux, éducation, santé, aides diverses… - qui seront pris en compte par l’ensemble des contribuables.

Qui a actuellement besoin de disposer de ces travailleurs sous-payés que l’on veut pérenniser ? Les retraités - pour le personnel des établissements de santé ou les soins à domicile - ; les urbains des métropoles, trop heureux de disposer d’une domesticité à bas coût - la fameuse « nounou » ou les pédaleurs-livreurs du nouvel esclavage - ; un patronat biberonné aux aides et aux commandes publiques (BTP), et/ou soucieux d’améliorer ses marges (bistrots des métropoles). Autrement dit, les électeurs d’Emmanuel Macron ou ceux qui ont vocation à le devenir, ce vaste parti centriste et ses pseudo oppositions de droite ou de gauche, dont les membres semblent uniquement occupés à continuer de tirer les dividendes de la mondialisation ou, au moins, à éviter un déclassement trop important en payant le vrai prix des services qu’ils consomment. Et qui vont ainsi faire payer une partie de la note à une France périphérique qui, elle, n’a jamais commandé un « Uber », fait elle-même son ménage, laisse ses enfants rentrer seuls, et est à deux heures de l’hôpital le plus proche.

Ainsi, à bien y regarder, il est permis de se demander si ce « en même temps » que certains présentent comme une géniale synthèse permettant le consensus - voire de « faire nation » pour reprendre une formule présidentielle - n’est pas finalement que l’écran de fumée qui permet aux tenants du Système, au-delà de divisions factices dont le maintien dans les textes permet de continuer à faire étalage à la tribune et dans les médias, de simplement défendre leurs intérêts.

Arnaud Benedetti : Emmanuel Macron a tout d’abord nié la question; il a prolongé la doxa conformiste du bénéfice immigrationniste, en flattant même les communautarismes, à l’instar de sa campagne présidentielle de 2017. Le réel est venu fracasser sa vision : le séparatisme islamiste, la corrélation insécurité/immigration, la dépossession culturelle, la tribalisation, tous ces phénomènes et d’autres pour lesquels toute inquiétude était assimilée à du « populisme » l’obligent à une révision de son corpus. Sauf que cette révision est bien plus un pas-de-côté qu’un aggiornamento en acte. A vrai dire, il va sans doute s’efforcer de composer avec la droite, les LR, pour essayer de faire adopter le projet de loi mais les contraintes évoquées précédemment empêchent l’exécutif d’offrir une réponse à la hauteur, encore une fois, de l’enjeu. La fermeté affichée par Gérald Darmanin relève d’abord du registre communicant, quand bien même traduit-elle un changement d’état d’esprit. Ne disposant pas de majorité à l’Assemblée, le camp présidentiel godille sur ce sujet en effet : un coup à gauche avec l’article 3 sur les métiers en tensions mais avec le risque que les LR ne déposent une motion de censure, un coup à droite avec la prise en compte des préconisations des sénateurs LR entre autres dont la suppression de l’article 3, le durcissement du regroupement familial et la transformation de l’aide médicale d’état et aide médicale d’urgence mais cette fois-ci avec l’autre risque d’une déperdition à gauche et au centre de la majorité.

La trajectoire du 49-3 parait à ce stade difficilement évitable. Le véritable enjeu de la séquence qui s’ouvre est de savoir si les LR qui s’opposent à la régularisation des travailleurs clandestins, y voyant un appel d’air, et qui exigent une révision constitutionnelle pour introduire la politique migratoire dans le champ référendaire - faisant de la com aussi car le vrai sujet dans ce domaine n’est pas tant le recours au referendum que la question de la supériorité de la norme européenne sur les normes nationales - iront jusqu’à la censure. Pour le coup, ils restaureraient un peu de l’éclat perdu du politique en prenant leurs responsabilités sur un enjeu dont la saillance ne cesse de traverser l’agenda politique depuis plusieurs décennies et qui est symptomatique, en effet, aux yeux de l’opinion de la résignation des dirigeants à s’adapter ou se plier au cours des choses plutôt qu’à essayer de le dominer. Ce dont Emmanuel Macron est lui aussi, comme vous le dites, essentiellement le symptôme ou le prolongement, voire le produit de dernière génération…

Au regard de ce projet de loi immigration porté par le gouvernement et attendu au tournant par la droite, comment la vie politique a-t-elle pu devenir un théâtre d’ombres où se jouent principalement des postures et des stratégies de carrière plutôt que la gestion de la réalité ? Pourquoi tout n’est plus que marketing et postures politiques à la durée de vie limitée à un cycle de polémique sur une chaîne d’information ?

Christophe Boutin : Les raisons sont multiples qui peuvent expliquer la situation actuelle. Ce qui est certain, c’est qu’il y a, et ce très globalement, car cela concernait la France bien avant l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, et cela ne concerne pas que la France, une démission générale du politique national face à ses missions. Le politique a vocation à prendre des décisions, à faire des choix, et à le faire en toute indépendance, dans le sens de ce qu’il estime être le bien commun. Il est légitime à le faire car il a été librement élu, et il est seul à bénéficier de cette légitimité démocratique spécifique née du suffrage universel. Pour autant, comme nous l’avons indiqué, ce politique n'est plus en mesure de faire ses choix de manière libre.

Le pouvoir politique français s’est en effet dessaisi d’une part importante de ses compétences, au profit d’une Union européenne, qui intervient alors à sa place par ses règlements ou ses directives. Un transfert volontaire, mais accru par la jurisprudence extensive de la Cour de justice de l’Union ou les comportements de la Commission et de ses présidents – ceux de l’actuelle présidente, qui décide de la guerre et de la paix, des relations internationales, de la politique migratoire quand elle ne devrait être qu’un exécutant administratif ayant ici valeur d’exemple. L’Union européenne ne cesse ainsi d’imposer aux États membres, avec ses normes ou sa jurisprudence, les valeurs de l’oligarchie qui la dirige, dont il est permis de douter qu’elles correspondent aux attentes des peuples européens.

Par ailleurs, le politique est actuellement très - et trop - largement concurrencé par le juge. Ce « gouvernement des juges », que les juristes attachés au respect des règles de fonctionnement de nos démocraties représentatives dénoncent maintenant un peu plus fréquemment, a en effet atteint des sommets en termes de pseudo-légitimité. Prétendant défendre « l’État de droit », dont ils seraient les seuls garants, y compris contre les « errements » du peuple ou de ses représentants, les juges imposent en effet leurs propres interprétations de termes aussi flous qu’égalité ou fraternité. C’est ainsi que, pour rester sur la question qui nous intéresse, celle de l’immigration, le Conseil constitutionnel français a pu considérer que la « fraternité », simple partie de la devise française, impliquait la possibilité de venir en aide à un migrant illégalement présent sur le territoire, sans être pour cela condamné pour cette aide pourtant apportée à quelqu’un qui, en toute connaissance de cause, viole la loi commune, ni plus ni moins qu’un voleur ou un automobiliste trop pressé.

N’oublions pas enfin un troisième pouvoir auquel les politiques sont soumis, en sus de ceux de l’UE et des juges, le pouvoir médiatique. Ce dernier n’impose pas des normes, ne modifie pas la règle de droit, mais fait peser une écrasante tutelle sur le discours politique, jetant l’anathème sur telle personne ou telle formation, interdisant l’emploi de certains mots et les remplaçant par d’autres, ce qui n’est jamais neutre. Là encore pourtant, le déséquilibre est parfois patent entre les choix médiatiques et les attentes des Français – et le sujet de l’immigration n’échappe pas à ces divergences.

Que reste-t-il aux politiques ? On a parfois l’impression que pour certains il s’agit simplement de justifier leurs émoluments en faisant croire au théâtre d’ombres d’une lutte idéologique qui n’affecte pas des choix qui restent dictés par les « experts » et le « marché ». On connaît la formule tant citée du Guépard de Lampedusa : que tout change pour que rien ne change. Une fois retombés le bruit et la fureur des débats parlementaires, on se rend compte que les changements, quand ils existent, n’ont en fait été que des micro-variations qui cachaient une macro-stabilité du Système : on change les numéros des classes des passagers, la couleur des chaises longues sur le pont, on modifie parfois un peu la vitesse, on n’oublie surtout pas d’ajouter chaque soir une nouvelle fête au « dîner du Commandant », mais à aucun moment il ne s’agit de modifier la trajectoire  du navire.

Arnaud Benedetti : Le carriérisme n'est pas une donnée nouvelle mais ce qui en fait aujourd'hui l'os de l'action politique en ait encore plus visible que par le passé. Cette réalité est d'autant plus ossifiée qu'elle réduit l'action législative le plus souvent à un exercice de communication tant notre capacité à légiférer est soumise à un ordre normatif plaçant sous tutelle l'exigence nationale. Chacun s'accorde, pour qui entend tout le moins à reprendre la main sur la politique migratoire, à reconnaître qu'il convient de renverser l'ordre d'airain des traités et la hiérarchie législative qu’ils impliquent. Tout récemment, dans une tribune du Figaro, l’ancienne ministre des Affaires européennes Noëlle Lenoir, l’ex-ambassadeur Xavier Driencourt et l’ancien secrétaire-général du Conseil Constitutionnel Jean-Eric Schoettl, sans aller jusqu’à proposer une inversion de cette hiérarchie, se sont ainsi prononcés, par exemple, en faveur d’une révision du Traité de Schengen afin de réserver la liberté de circulation aux seuls ressortissants de l’Union européenne. Nul doute que les opinions publiques dans leur grande majorité seraient favorables à une telle disposition mais le processus se heurtera à tous ceux qui à Bruxelles y verront une entorse à l’esprit des institutions européennes, produit d’une conception désincarnée, abstraite, exclusivement formelle de l’architecture politique, et dont le caractère post-démocratique s’accompagne d’une dépossession du libre-arbitre des peuples.

Cette impuissance est consentie par nos gouvernants qui ainsi se délestent toujours plus de leurs responsabilités en prétextant des impossibilités structurelles auxquelles ils se sont rendus en contribuant à les fabriquer. A mesure qu’ils se lient les mains, leur action s’étiole et à proportion que leur action s’étiole, ils surinvestissent dans la communication, l’hyper-visibilité, mimant un pouvoir qu’ils n’exercent plus vraiment. Cette chute de la politique, sa dégradation ou dégénérescence en communication explique la crise démocratique que nous traversons car pour qu’il y ait démocratie, et contractualisation effective entre un peuple et un prince, faut-il encore que le prince ne détourne pas la souveraineté de son lit afin d’en remettre le sceptre à une technostructure sans autre légitimité que celle du coup de force institutionnel dont elle est l’agent et le produit. La communication témoigne par sa surabondance de la victoire de la technique au détriment du politique. C’est ce que je me suis efforcé d’expliquer et d’analyser dans mon ouvrage Comment sont morts les politiques. Le grand malaise du pouvoir. Le malaise est là, et le subterfuge communicant ne peut en dissimuler les ravages.

À quel point ce projet de loi ne porte pas sur des dispositions pouvant faire une vraie différence dans le cadre de la politique migratoire et dans la vie des Français ?

Christophe Boutin : Tout d’abord, parce qu’une grande partie des éléments qui conditionne l’évolution de l’immigration en France ne relève pas directement de la loi, mais du pouvoir réglementaire. Prenons un exemple récent, sur un sujet particulièrement sensible pour les Français, la possibilité de répartir de force les migrants illégaux sur l’ensemble du territoire - on rappellera ici qu’il y a actuellement sur le territoire, selon l’estimation de Gérald Darmanin en 2021, « entre 600 000 et 700 000 » immigrés clandestins, soit une population égale ou supérieure à celle des deux tiers des départements français (autant que le seul Calvados, mais autant aussi que la sommes des deux départements de Corse et de la Charente), ou supérieure à celle de Lyon métropole. C’est en effet par un banal décret de septembre 2023 que l’État vient de dispenser de formalités d’urbanisme les constructions légères qui peuvent être mises en place à cet effet sur les territoires des communes, et ce pendant deux années – le but étant, on le comprend, d’écarter les pouvoirs locaux éventuellement réfractaires, ici les maires et leurs compétences en matière d’urbanisme. Si donc la nécessité maintenant affichée de trouver un compromis et de ne point user du 49 alinéa 3 pour faire croire à un « consensus », sinon des Français, au moins de la classe politique, sur l’immigration peut conduire à retirer certaines dispositions du projet de loi, gageons que des dispositions règlementaires du type de celle que nous venons d’évoquer contrebalanceront la chose.

Mais ce choix législatif limitait ensuite les effets du texte parce que le législateur français est sous la pression des normes édictées par l’Union européenne comme des jurisprudences de cours nationales ou étrangères : Cour européenne des droits de l’homme ou Cour de justice de l’Union européenne pour les juges étrangers, Conseil constitutionnel, Cour de cassation et Conseil d’État pour les juges internes - ces derniers reprenant les éléments donnés par les juges étrangers ou ajoutant leurs propres interprétations.

Avec cette contrainte par le haut, normative et jurisprudentielle, et/ou les possibilités de modification par le bas, réglementaire, on comprend que ce n’est pas cette malheureuse loi sur l’immigration qui va changer quoi que ce soit quant à la perception que peuvent avoir les Français de la question. Sondage après sondage en effet, ces derniers disent la même chose, et veulent notamment que stoppe l’immigration illégale et que les immigrants illégaux présents sur le territoire le quittent dans les plus brefs délais - voire que certains immigrants légaux retournent chez eux, par exemple quand ils n’ont plus de travail. Or la première question, celle de la limite de l’entrée de migrants illégaux sur le territoire français, supposerait l’existence de frontières nationales, ou, au moins, de frontières européennes défendues efficacement, ce qui n’est bien évidemment pas le cas : lorsque Frontex a timidement essayé de lutter contre les passages illégaux, l’agence européenne s’est faite rappeler à l’ordre… par les institutions européennes elles-mêmes. On sait ensuite que le renvoi dans leurs pays d’origine des migrants illégaux suppose, d’abord, de déterminer quel est ce pays, ensuite, d’obtenir son accord pour ce renvoi, ce qui est rare, et même dans ce cas le retour ne pourra avoir lieu qu’à la condition que le migrant ne soit pas menacé par une réglementation de son pays d’origine qui porterait atteinte à telle ou telle de ses libertés, comme l’ont décidé les juges des droits de l’homme.

On peut certes préférer de petits pas à l’immobilisme, se dire que l’on progressera ainsi peu à peu, qu’il n’est sans doute pas possible de tout remettre à plat. Tout n’est pas gesticulation inutile ici, mais ce qui est certain c’est que ce texte ne répondra à lui seul à la demande des Français.

Arnaud Benedetti : Il est révélateur en effet de l'affaiblissement du politique dans un pays, la France, où le politique est historiquement la mesure de toute chose. C'est à partir du politique que l'on construit la nation et ce depuis la nuit la plus profonde de l'origine de l'outil indispensable à cette volonté, l'Etat. Or tout se passe comme si l'Etat était en fin de compte devenu le lieu de notre impuissance dans la mesure où son étanchéité aux vents dominants des événements avait disparu. De ce point de vue, l'enjeu migratoire est l'emblème de cette défaite. Un peuple qui ne maîtrise plus ses frontières, qui n'est plus à même de maîtriser ces dernières pour décider de qui rentre ou ne rentre pas sur son territoire est un peuple à découvert, un peuple qui a perdu sa capacité à s'autodéterminer en quelque sorte. Le choix de se résoudre à une immigration inéluctable résulte d'un enchaînement de renoncements dont le regroupement familial sous Valéry Giscard d'Estaing et la régularisation massive de 130 000 clandestins sous François Mitterrand en 1981, assortie de la suppression de l'aide au retour et de la loi Bonnet qui facilitait les conditions d'expulsion, constituent l'illustration la plus tangiblement spectaculaire dans ce domaine.

A ces décisions s'est greffé durant trente ans, à partir des années 1980, un climat intellectuel de dénonciation morale de tous ceux qui de près comme de loin alertaient sur les conséquences culturelles mais aussi sociales et économiques de la préférence migratoire. La lutte "anti-raciste" a été évidemment instrumentalisée, dévoyée pour accréditer l'idée d'un danger "fascisant" remettant en cause les fondements républicains dés lors que l'on considérait que ce sujet était existentiel pour la société dans sa capacité à se survivre au regard de ce qu'elle considérait être son identité et de ce qu'elle posait comme conditions à sa cohésion. Nous vivons depuis avec les suites de cette trame fortement invalidante, pour ne pas dire inhibante pour toute politique qui vise à maîtriser l'immigration. D'autant plus désormais que des contraintes supra-étatiques complexifient pour le moins tout recours à des solutions nationales. Le texte présenté par le gouvernement ait perclus de ces difficultés qui de facto le rendent peu opérant pour répondre à l'immensité de l'enjeu.

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