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Les entreprises seront elles les nouveaux gouvernements ? La volonté de pousser l’investissement sociétal des entreprises démontre t-elle la fin du politique ?
©Fabrice COFFRINI / AFP

Les entrepreneurs parlent aux Français

A quoi serviront encore les institutions et les politiques dans 20 ans ?

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Le Fortune 500, Président. Les sociétés technologiques, comme Gouvernement. Les politiques, relégués aux comités consultatifs, conseil constitutionnel et organes de contrôle. L’intelligence artificielle et la data à la Justice. Des moteurs de recherche, à la santé et l’éducation. Des sociétés comme Palantir, au Renseignement. Les hackers à la tête des armées. Les entreprises à la formation professionnelle, au développement durable, avec les investisseurs. L’interministériel assuré par les sociétés de logiciels. Le chômage géré par les plateformes qui proposeront des activités indépendantes. A quoi serviront encore les institutions et les politiques dans 20 ans ?

La mission Sénard-Notat en France, les déclarations de Larry Fink (Black Rock), de Paul Polman (Unilever), et de leur B-Team, celles de Emmanuel Faber sur l’alimentation, les politiques RSE, développement durable à la charge des entreprises, l’arrivée de Google dans la santé et l’éducation, de Facebook dans la sécurité (le check), la masse de data contrôlée par les plateformes digitales, tout plaide pour un monde qui appartiendra et sera géré, demain (aujourd’hui ?) par les entreprises. Bon ou mauvais ?

La question peut être posée de mille façons différentes.

Par le résultat, par exemple. Est ce que les gouvernements ont permis la progression du monde ? Pouvons nous être fiers de nos démocraties ? Ont elles permis aux peuples de rêver à un monde meilleur à chaque génération ? Avons nous mis fin à la faim dans le monde, à la pauvreté dans les pays riches, sur la base de finances saines, d’équilibres sociaux préservés, d’une bonne répartition des richesses ? Force est de constater que la réponse est non dans quasiment tous les cas. Si l’on prend le simple exemple du pays le plus riche du monde, les USA, le constat est simple :

Plus de 15 millions (et la courbe est croissante) d’américains ont renoncé à chercher un emploi, ce qui rend les statistiques et les commentaires de nombres d’économistes, qui me laissent toujours atterré de tant d’aveuglement, totalement hors sujet.

Les villes moyennes, petites et rurales, meurent. Et leurs habitants sont désespérés.

Plus de 16 millions d’enfants ne mangent pas à leur faim, dans un pays dont 48% des états ont un taux d’obésité supérieur à 48%.

Le taux d’endettement des ménages a retrouvé son taux de veille de crise de 2009.

Un ratio de 300 entre la rémunération des principaux patrons américains (15M $ en moyenne) et la paie de l’ouvrier.

Un salaire pour le cadre moyen et l’employé qui a progressé de 2,4$ (corrigé de l’inflation) entre 1964 et 2014.

Une capitalisation boursière qui dépend de sociétés qui perdent de l’argent, par milliards. Un ratio en moyenne 100 fois inférieur à celui d’une société « normale » quand il s’agit du rapport en la valorisation boursière et le nombre d’emplois créés.

Un accès limité à la santé pour la classe basse et intermédiaire.

Une classe moyenne en chute libre.

Une défiance dans les institutions comme jamais en 50 années.

Et la liste pourrait s’allonger ainsi à l’infini, notamment celle qui monte qu’en 50 ans, l’espoir d’améliorer la situation d’une génération à la suivante et passé de 90 à 50% !! Alimentant ainsi un désespoir et une perte de confiance en l’avenir, qui nous promet, partout, l’arrivée de leaders politiques « débilisants », détenteurs de promesses de retour au glorieux passé, en général au détriment d’un ennemi commun : « la différence » : celui qui est différent de nous.

En clair, il est difficile de donner un bon point à l’élève politique, qui a su, par paresse, lâcheté ou incompréhension (en France surtout) des mécanismes économiques, laisser dériver nos finances, nos espoirs, nos modèles et nos cultures.

Sous cet angle on pourrait donc se dire que des entreprises simplement régulées et responsables devant des organes de contrôles et de sanction, ne pourraient pas faire pire. Et que cela mériterait d’être essayé. Cela laisse alors entière la question de la capacité de l’entreprise de gérer, de façon équilibrée, l’intérêt général. Ce qui n’est, en aucun cas sa destination première. La recherche du profit est un intérêt particulier, qui rejaillit sur une contribution forte à l’intérêt public, certes, mais comme conséquence. Pas comme but premier. 

Sauf si l’on réforme le capitalisme, pour inscrire dans ses nouveaux gènes, l’intérêt de la société. Des hommes. Ainsi enrichie d’un but supplémentaire, elle pourrait alors exercer au profit des hommes. Car alors, la planète, les hommes, les emplois, seraient aussi au cœur de son quotidien, et la mesure qui en serait faite également. Ainsi dotée d’un système structurant, le système trouvera sa nouvelle structure. Et le cumul de l’action des entreprises devra alors permettre l’enrichissement des nations, et donc des hommes.

Cela demande une extraction intellectuelle, qui est permise à peu de penseurs, d’économistes et surtout de politiques. Les victimes de ce nouveau système ne vont pas se presser au portillon, pour offrir leur tête à couper. Les vierges courroucées à l’idée de toute disruption, pousseront des cris désespérés lors de défilés massifs, et déclameront des poèmes outrés à l’idée d’une démocratie sacrifiée à l’hôtel du profit. Mais en réalité, la démocratie n’existe déjà plus dans la plupart de nos pays. Quand la démocratie sacrifie les intérêts de ses citoyens, leur enlève leurs perspectives d’avenir, les endette dès la naissance, on confond alors démocratie avec oligarchie, d’une part, et maintien du pouvoir de ceux qui prétendent en être issus. Lorsque la démocratie est un fait, on doit se battre pour elle, lorsqu’elle n’est plus qu’on mot, il faut lui trouver une nouvelle chaire, de nouveaux muscles, une nouvelle âme. Peut être l’entreprise, est elle la réponse, cette nouvelle chaire, ces nouveaux muscles ?

Les questions sont nombreuses, qui permettraient de mettre en place ce système. Tout d’abord, l’équilibre des pouvoirs. L’entreprise, à terme, n’a pas de raison d’être plus démocratique que les autres formes de pouvoir. Tout est dans le contre-pouvoir. La presse, la justice, la mesure, la sanction, tout doit être revisité et prévu. 

Est-ce un pouvoir totalement décentralisé, basé sur la data, la personnalisation, l’individualisation, la norme et la notation, sera plus démocratique ? Si oui, empêche t-il l’émergence ou le maintient d’un socle de solidarité entre les individus ? Est ce que la norme et la dictature que la data peut amener pour réguler la vie quotidienne, au prétexte de redonner aux finances « publiques » leur virginité initiale, nous mènerait vraiment à la démocratie ? Doit on revoir la définition de la démocratie ? Est un cadre qui permet l’épanouissement de chacun et de tous, sur la base d’une liberté qui ne menace pas celle de son voisin ou un « one size fits all » comme les systèmes de notations issus du digital (et déjà expérimentés en Chine) nous l’imposent gentiment, mais offrant en contrepartie un bonheur calculé, sur la base d’un avenir plus prospère ?

Je vous laisse avec un début de mal de tête, que je partage bien volontiers. Cela mérite plus de temps et d’espace, et nous le ferons, un peu plus largement chaque semaine dans ces colonnes. Achetez votre réserve de doliprane et à la semaine prochaine !

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