Les défis de la démocratie libérale : l’exception socialiste française <!-- --> | Atlantico.fr
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L'exception socialiste française
L'exception socialiste française
©Reuters

Bonnes feuilles

Loin de n'avoir été qu’un polémiste de talent, Jean-François Revel (1924-2006) a été avant tout animé par la passion des faits. Ce philosophe s’est constamment employé à pourfendre et à déconstruire les impostures idéologiques dont se sont nourries les diverses tentations totalitaires qui ont marqué le XXe siècle. Philippe Boulanger, dans "Jean-François Revel, la démocratie libérale à l'épreuve du XXème siècle" (Les Belles Lettres), expose les étapes successives et les multiples aspects de cette pensée de combat. (1/2)

Et quid du PS ? La séquence qui s’ouvre en 1990 n’est pas favorable aux socialistes français. Au congrès de Rennes en 1990, au moment où la révolution démocratique secoue l’Europe de l’Est, scellant l’échec du communisme, Alain Bergounioux et Gérard Grunberg expliquent que le PS n’est tout simplement pas prêt à réexaminer la question de fond des divergences fondamentales avec le Parti communiste français (PCF) et se déclare, comme par le passé, disposé à répondre à tout nouveau changement des communistes. La division de l’électorat socialiste à propos du traité de Maastricht en 1992, la cuisante défaite aux élections législatives de 1993, les révélations sur le passé de Mitterrand et sa maladie, les affaires (Urba, Carrefour du développement) rudoient un PS dépassé par les événements surgis des révolutions démocratiques de 1989. De 1993 à la candidature de Lionel Jospin à l’élection présidentielle de 1995, il est en état de crise permanente. Il se restructure bientôt autour de l’ancien trotskiste dans le cadre d’une gauche dite plurielle et élargie sans programme commun, mais sur une ligne antilibérale et anti-centriste 10.

Depuis longtemps, Revel, de toute manière, nourrit des doutes quant à la libéralisation de la gauche socialiste en France. « Le Parti socialiste français est le seul parti socialiste au monde qui n’ait pas opéré sa reconversion intellectuelle 11 », regrette-t-il en 1997. En 1983, déjà, il ne croit ni à la sincérité ni à la nature du « tournant de la rigueur ». La politique menée par Laurent Fabius ne le convainc pas. Le prétendu néolibéralisme du PS se limite à une opération de secours, assène-t-il. Le secteur productif est toujours accablé par le secteur non productif. La question est donc de savoir si l’économie sera un jour rendue pour l’essentiel à la société civile ou si elle continuera d’être gérée, de façon prédominante sinon exclusive, selon les règles de la bureaucratisation et de la politisation 12.

La victoire de « gauches modernes » acquises au libéralisme en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie permet à Revel, par ricochet, d’appuyer sur l’ancrage de la gauche française dans un marxisme mal digéré, congédié par les membres de l’Internationale socialiste (sauf en Grèce), mais qu’elle propose comme modèle aux camarades socialistes et sociaux-démocrates européens, qui lui préfèrent une « troisième voie » fortement teintée de libéralisme. Contrairement à ce qui se passe dans des pays africains et d’Europe centrale, le PS de 1995 refuse d’envisager la privatisation. Au contraire, la faillite du socialisme s’est traduite en France par un réquisitoire féroce contre le libéralisme : « Dans la catastrophe du Crédit Lyonnais, réfute Revel, on dénonce l’“argent roi” ou l’“argent fou”, alors que c’est l’État roi et l’État fou qu’il faudrait accuser 13. »

Entre 1997 et 2002, la gauche, fédérée par Lionel Jospin, se montre interventionniste et anticapitaliste, éloignée du libéralisme adopté par les gauches italienne et allemande. « La gauche [française] n’accepte jamais pour elle le verdict de la réalité. Elle n’accepte que deux critères : ses propres projets et les échecs de ses adversaires. […] Être de gauche, c’est exiger de n’être jugé que sur ses intentions. Être de droite, c’est se résigner à ne l’être que sur ses résultats 14. » Revel s’est convaincu que la gauche française a acquis des réflexes aristocratiques. « Le politiquement correct révèle que la gauche n’a pas tiré les leçons du passé, ni compris cette vérité, avance-t-il ailleurs : il n’existe point d’homme de gauche ni d’homme de droite ; il n’est que des comportements de gauche et des comportements de droite. La gauche n’est pas une essence, un titre de noblesse, un grade universitaire, indépendants de la conduite de leurs détenteurs. Elle est, à chaque instant, ou n’est pas, cetteconduite même 15. »

Cette gauche libérale et moderne, que Revel appelait de ses voeux dans Ni Marx ni Jésus et La Tentation totalitaire, après être revenu de l’illusion mitterrandienne des années soixante, apparaît dans les grands pays occidentaux dans la décennie quatre-vingt-dix, mais pas ou trop peu, selon lui, en France. Elle se laisse encore trop souvent intimider ou manoeuvrer par une aile gauche librement anticapitaliste et trotskiste, comme délivrée par la chute du communisme de devoir couvrir ou justifier les échecs économiques et les manquements aux droits de l’homme qui ont caractérisé le « bloc de l’Est ». Privé de l’épouvantail soviétique, favorisé par les heurts du capitalisme, l’idéal révolutionnaire peut, à nouveau, mobiliser les masses au nom d’un mot d’ordre utopique – un « autre monde » – et d’une lutte sacrée contre la « mondialisation ultralibérale ».

10. A. Bergounioux, G. Grunberg, Les Socialistes français et le pouvoir. L’ambition et le remords, édition revue et actualisée, Hachette, coll. « Pluriel », 2007 (2005), p. 347, p. 384 et p. 425.

11. Entretien avec J.-F. Revel, « Revel : “Le discours socialiste relève de l’archéologie intellectuelle” », Le Figaro, 30 mai 1997 (fonds Revel).

12. Le Point, 1er avril 1985, p. 60-61.

13. Le Point, 25 mars 1995, p. 65.

14. Ibid.

15. Le Point, 10 juin 1995, p. 99.

Extraits de "Jean-François Revel. La démocratie libérale à l'épreuve du XXème siècle" de Philippe Boulanger publié aux éditions Les Belles Lettres (2014). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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