Les bûcherons, nouvelle cible abandonnée à la vindicte des activistes radicaux par les pouvoirs publics<!-- --> | Atlantico.fr
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Un bûcheron qui tronçonne un arbre dans la forêt de Berce, Pays de la Loire
Un bûcheron qui tronçonne un arbre dans la forêt de Berce, Pays de la Loire
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Complaisance coupable

Partout en France, les professionnels du secteur constatent une recrudescence des agressions et des incivilités envers les travailleurs forestiers

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Atlantico : Insultes, menaces, dégradations, sabotage ou encore vols : les travailleurs forestiers sont de plus en plus victimes d’actes malveillants. Pourquoi les militants écologistes s’en prennent-ils aux bûcherons ?

Alexandre Baumann : La forêt est l’un des totems de la pseudo-écologie, une représentation de « la nature » (souvent ce qui se cache aussi derrière l’invocation de « la biodiversité »). Le fait d’y toucher en dehors des rituels autorisés est un péché. On le voit beaucoup dans l’opposition aux forêts « industrielles », alors que les arbres à pousse rapide sont sans doute les meilleurs puits de carbone qui existent. Celle-ci n’émerge pas autour de considérations pratiques, qui seraient sans doute passionnantes, mais de principe : on ne coupe pas le bois. Le rapport à la forêt est quasi-mystique. Bien sûr, si les « prêtres » vous y autorisent, vous pouvez planter des clous dans les arbres, les écorcher … bref, faire ce que vous voulez … ou plutôt ce qu’ils veulent …

Les frictions entre les pseudo-écologistes et les travailleurs forestiers sont assez logiques dans cette perspective. C'est comme pour l’agribashing, ciblant les agriculteurs : ces métiers entrent en collision avec les fables pseudo-écologistes. Des violences en sont la suite logique.

Comment les militants en sont-ils venus à ce genre d’actions ? Dans quelle mesure est-ce une méconnaissance du travail des bûcherons ?

Pour le comprendre, il faut voir deux mouvements, qui se construisent depuis plusieurs dizaines d’années :

  • Un travail de sape contre diverses institutions, comme la justice, le travail, l’industrie ou le capital, diabolisés à l’excès, qui vont déstabiliser l’individu. Cet effort n’est pas propre à l’écologie politique, ou même à l’extrême gauche. En effet, c’est une opportunité d’affaire pour tous les mouvements cherchant à vendre des narratifs permettant de manipuler les masses.

  • L’élaboration de discours, d’histoires, de fables mises en cohérence au fil des années et qui vont créer un corpus présentant une vision du monde alternative.

En somme : on déstabilise en créant un besoin, puis on propose d’y répondre avec un narratif. Ensuite, vu qu’on contrôle le narratif, on contrôle la personne : « si tu ne fais pas cela, tu seras un mauvais écologiste », « tu serais un encore meilleur écologiste si tu faisais cela ». L’ignorance du travail des bûcherons facilite en l’espèce le passage à l’acte : certains auraient peut-être des scrupules de planter des clous s’ils savaient les conséquences que cela pourrait avoir. Néanmoins, c’est limité : il suffit de nier le problème avec divers arguties.

En un mot, les militants eux-mêmes ne font que suivre les chemins tracés pour eux.

Ensuite, cela doit inviter à se questionner sur les institutions existantes. En effet, si elles cèdent, c’est que d’un côté la pression est trop forte et de l’autre qu’elles sont trop faibles. J’ai détaillé dans mon livre sur les inégalités scolaires que l’école trahissait les élèves de deux manières : en leur faisant croire qu’ils étaient évalués justement et que les contenus scolaires étaient relativement « utiles » (et conçus pour). C'est une blessure qui affaiblit considérablement la confiance qu'on peut avoir dans Ce type de trahison, il y en a une myriade, certaines considérables, d’autres plus modestes. On peut toujours trouver la trace d’une négligence, d’une lâcheté, d’un abandon. Pour renforcer les institutions, il faudra chercher ces défaillances, les comprendre et les stopper.

Pourquoi les laissons-nous face à cette vindicte des activistes radicaux sans soutien des pouvoirs publics ?

Peut-on dire que le gouvernement est passif ? Il avait mis les moyens pour protéger Sainte-Soline. En l’espèce, la manifestation au bois de Lery était présentée comme un « festival » qui était déclaré et, lorsque la préfecture a voulu déployer des drones pour surveiller, la justice l’a interdit. Il faut se demander si l’arsenal juridique est adapté : est-ce qu’une réponse pénale serait même possible ? Si un bûcheron est blessé à cause d’un de ces clous, sans doute, mais en attendant ? Est-ce qu’il faut attendre qu’un drame se produise pour agir ? Plus globalement, il faut se questionner sur les capacités qui sont données à l’État et qu’il y ait davantage de transparence sur ces sujets.

Ensuite, il faut se souvenir de la faiblesse dont le président a fait preuve à propos de Fessenheim. Il cherchait à flatter cet électorat, sans voir qu'avec ce genre d'interlocuteurs, les petites concessions font les grands désastres. Est-ce que cette logique a changé depuis ? 

Quant aux agressions "ordinaires", qui semblent concerner de plus en plus de forestiers, il ne peut pas y avoir un gendarme derrière chaque bûcheron. C'est toute la puissance des groupes d'influence comme la pseudo-écologie: ils peuvent mobiliser les capacités d'action de nombreuses personnes, même peu impliquées, sans supervision et la canaliser pour faire pression sur leur cible.

A quel point y-a-t-il une forme de lâcheté à répondre à ce genre d’actions parce qu’elles sont menées au nom de la noble cause qu’est l’écologie ? 

Pourquoi les croire ? Là est la vraie question. En effet, les écologistes peuvent dire ce qu’ils veulent, rien ne nous oblige à y donner du crédit. C’est du reste un thème courant dans le monde des startups : les entrepreneurs vont volontiers, pour lever des fonds, raconter des histoires sur eux, sur leurs causes … De même, beaucoup d’entreprises vont se prétendre « bienveillantes » et autres jolis termes. Pourquoi les croire ?

Je pense que beaucoup de gens ont envie de croire aux arguties des militants, parce qu’ils ont envie de croire la mythologie politique vendue par la sphère médiatique, avec des « camps » défendant des intérêts différents (la gauche, les travailleurs ; les écolos l’environnement ; la droite l’économie ; l’extrême droite les français « de souche » …), des débats avec des clivages clairs (plus ou moins de dépenses publiques, plus ou moins d’argent pour les services public, plus ou moins « d’impôts », plus ou moins de peines de prison, etc.) et d’autres éléments qui construisent une vision du monde pas trop compliquée.

On peut dans ce cas effectivement parler de lâcheté : on préfère se réfugier dans ses illusions plutôt que d’affronter la réalité.

Néanmoins, il faut aussi voir le travail inlassable de lobbying qui est fait depuis des dizaines d’années pour déresponsabiliser les militants. On l’a vu encore en 2021 avec une tribune de personnalités importantes d’extrême gauche où Jean-Marc Rouillan, terroriste anticapitaliste d’Action Directe (années 1970-80) condamné et incarcéré pour assassinat, est non seulement accepté comme signataire, mais en plus de « prisonnier politique ». Libération avait également fait en 2018 la publicité du livre où il raconte ses méfaits.

S’agissant des délits divers et variés commis par des « écologistes », de nombreuses institutions d’extrême gauche ont ce discours de déresponsabilisation. Ainsi un article du Monde présente « le choix de détruire ou de dégrader des biens matériels au nom de l’urgence climatique » comme une réponse des « des défenseurs de l’environnement »« face à l’essoufflement des pétitions ou des marches pour le climat ». L’Humanité a défendu les délinquants de Sainte-Soline contre l’appellation d’écoterrorisme. C’est sans compter les nombreux dirigeants LFI et EELV qui défendent systématiquement les militants, par exemple en dénonçant la « criminalisation de l’action écologiste » à propos de l’alourdissement des peines contre les intrusions dans les centrales nucléaires.

En même temps, pourquoi ne le feraient-ils pas ? Les dirigeants pseudo-écologistes sont très heureux que des personnes soient prêtes à prendre des risques extrêmes et à renoncer à leur moralité pour suivre leurs narratifs. Cela veut dire que leur stratégie fonctionne. 

Mieux, les délinquants vont ensuite en parler autour d’eux et vont sans doute convaincre quelques personnes de prendre le même chemin, surtout s’ils n’ont pas été punis. Leurs petites excursions deviendront des événements sociaux et festifs et toute une vie sociale va se créer autour. C’est ce qu’on a vu au bois de Lery et à Sainte-Soline. Les personnes engagées dans ces mouvements sont alors doublement coincées par le narratif auquel elles obéissent : y renoncer serait très coûteux moralement, revenant à abandonner les justifications à leurs efforts et leurs délits ; mais en plus les priverait de leurs amitiés. C’est une dynamique extrêmement intéressante pour ceux qui contrôlent ce narratif. Pourquoi le management pseudo-écologiste voudrait-il empêcher cela ?



Alexandre Baumann est l’auteur de plusieurs livres, dont notamment « Agribashing: Une violence qui s'ignore », (VA éditions) et « Économie du militantisme, le paradoxe du cancer militant ». (L’Harmattan).

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