Les 3 Europe : la subtile vérité sur ceux que l’Otan est vraiment prêt à défendre… ou pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats de pays membres de l'OTAN.
Des soldats de pays membres de l'OTAN.
©Reuters

OTAN suspend ton vol

Le comportement de l'Otan face à la volonté d'expansionnisme russe en Ukraine - mais également dans d'autres situations - a montré une attitude variable de la coalition occidentale face à la Russie. Selon la zone géographique concernée, le grand écart est fait entre l'intervention armée potentielle et l'indifférence.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Les Etats de l'ex-bloc soviétique membres de l'Otan - les pays baltes - continuent à manifester sur la scène internationale leur inquiétude vis-à-vis de leur voisine la Russie. Sont-ils dans les faits "sanctuarisés" contre toute velléité d'expansionnisme russe ?

Michael Lambert : Les Etats baltes entretiennent une relation particulière avec la Russie en raison de la période d’occupation soviétique, de leur proximité géographique et surtout des populations russophones qu’on retrouve en Estonie et en Lettonie.

L’Estonie doit actuellement faire face aux sanctions économiques de la Russie tout en continuant l’intégration des citoyens russophones pour en faire des citoyens estoniens. Cette intégration, du fait que les russophones représentent plus de 25% de la population, amène à des tensions entre les communautés comme on a pu le voir lors de la crise du Soldat de Bronze à Tallinn.

La Lettonie et la Lituanie ne sont en en reste et à l’image de l’Estonie doivent intégrer les russophones et surtout faire face aux sanctions économiques de la Russie. Toutes les trois craignent également une intervention armée de la Fédération.

Paradoxalement, les trois républiques baltes sont membres de l’Union européenne, de l’OTAN et de la Zone euro (la Lituanie adoptera la monnaie européenne en janvier 2015). Elles ne devraient donc pas avoir à craindre la Fédération de Russie dans la mesure où, même si l’Union européenne n’est pas une puissance militaire, l’OTAN leur assure une protection en cas d’attaque. Pourtant, la crainte de ces pays repose sur le fait que les autres membres de l’OTAN, qui doivent intervenir en cas d’attaque, se décident à ne pas le faire. En effet, si le fameux article 5 du traité de l’Alliance est catégorique, rien ne dit que dans la réalité les autres pays comme l’Allemagne, la Pologne, la France, le Royaume Uni ou encore les Etats-Unis, se décident à véritablement intervenir contre une puissance nucléaire telle que la Russie. La crainte est d’autant plus grande que la Russie pourrait user des minorités russophones dans ces Etats pour créer une situation semblable à celle qu’on retrouve à l’est de l’Ukraine. Auquel cas, on ne pourrait pas parler de "guerre" mais de "guerre civile", ce qui rendrait l’article 5 incohérent et une intervention sur le terrain improbable.

C’est la raison pour laquelle les Etats baltes continuent de manifester une forme d’inquiétude et de mettre en avant l’idée de création d’une armée unique au sein de l’Union européenne, plus pertinente que l’OTAN, et d’intégrer les autres structures européenne, comme la Zone euro, pour renforcer leur ancrage en Europe et rendre impossible une intervention russe. L’Estonie, à titre d’exemple, s’est spécialisée dans la cyberdéfense et l’informatique au point de devenir un pays incontournable pour la formation des équipes de l’OTAN dans son centre à Tallinn. En cela, elle s’assure le support indéfectible des autres pays membres de l’Alliance qui ont besoin d’elle. On est donc loin d’une « sanctuarisation » mais l’ancrage en Europe est si fort qu’il est difficile pour la Fédération de Russie de s’initier dans la vie politique et économique des trois républiques.

En revanche que peut espérer de l'Otan et de l'Europe le Caucase, également dans la zone d'influence potentielle de la Russie ? Les précédents du conflit avec la Géorgie en 2008 ou de la pression mise sur l'Arménie pour qu'elle se détourne de l'UE en sont des exemples. Pourquoi ces Etats sont-ils les "oubliés" de l'indignation occidentale ?

La situation dans le Caucase sud est très complexe en raison des fragmentations internes. On compte actuellement trois Etats de facto, l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud et le Haut-Karabagh rien que dans le Caucase sud. Ces trois zones de conflits symbolisent la complexité des relations entre ces Etats et la Russie. La Géorgie vient de sortir d’un conflit direct avec la Russie en 2008, une guerre qui a eu pour conséquence de lui faire perdre deux régions (Abkhazie et Ossétie du Sud) et de l’amener à devoir faire face à un afflux de déplacés (réfugiés si on considère que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud sont des Etats indépendants) à reloger. Le traumatisme de la guerre est encore palpable et la rancœur envers la Russie reste dans tous les esprits. Malheureusement pour la Géorgie, l’Union européenne est encore loin, et la tendance pro-européenne des Géorgiens n’est pas suffisante pour accélérer d’adhésion. Il reste un grand nombre de critères à remplir et il est impossible d’envisager une adhésion pour la Géorgie avant au moins 2025. Sans compter que la question des Etats de facto doit trouver une solution dans les années à venir car la diplomatie géorgienne reste dans la perspective que ces régions restent sous son contrôle, ce qui n’est objectivement pas le cas. Il est également difficile de se rapprocher de l’Union européenne et de l’OTAN car la Russie pourrait exercer des pressions économiques et militaires importantes en cas de rapprochement. La  Géorgie ne peut donc qu’attendre de voir le développement de l’Union et de l’Alliance en Moldavie et en Ukraine avant de la voir s’intéresser à elle.

Pour ce qui est de l’Arménie, pays enclavé et ayant de mauvaises relations avec l’Azerbaïdjan et la Turquie, il semble difficile pour d’avoir une perspective positive. L’Union européenne est naturellement une option, tout comme l’OTAN, mais les relations économiques avec la Fédération de Russie sont essentielles pour la survie économique. C’est la raison pour laquelle l’Arménie se rapproche de plus en plus du projet d’Union eurasiatique du Président Poutine. Il n’en reste pas moins évident que le pays souhaite avant tout améliorer son économie et l’appartenance à l’Union européenne ou l’Union eurasiatique, tout comme l’OTAN, sont des sujets secondaires, la question du Haut-Karabagh étant prioritaire.

Pour résumer, le Caucase sud est encore entre deux mondes, entre Europe et Russie, pour ne pas dire entre trois mondes si l’on compte l’influence de plus en plus conséquente qu’exerce la Chine. C’est la raison pour laquelle la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais aussi les Etats de facto, regardent avec attention ce qui se passe en Europe et en Russie mais sans pouvoir décider de ce qui va advenir. Le manque d’Union entre les Etats du Caucase sud amène aussi à la situation ou seul un élément externe pourra changer la géopolitique de la région et ou la Russie reste capable d’exercer des pressions directes sans que l’Union européenne ou l’OTAN ne puissent envisager une intervention. Cependant, le Kremlin se concentre plus sur l’Ukraine et la Moldavie que sur la Caucase, ce qui évite d’avoir à s’inquiéter, dans l’immédiat,  du fait de revivre un conflit comme en 2008.

Pour résumer, la complexité du Caucase amène souvent les Américains et Européens à se désintéresser de cette région, c’est du moins le cas pour le grand public en Europe de l’Ouest.

A l'inverse, des pays comme l'Ukraine, ont été l'objet d'une réponse plus ambiguë, faite de critiques vives, de rétorsions économiques, mais sans intervention armée. Pourquoi existe-t-il cet "entre-deux" aux portes de l'Europe ? Que cherche à obtenir l'Otan et l'Europe de cette position modérée mais concernée ?

La situation en Ukraine mélange plusieurs facteurs qui sont tous à prendre en compte pour comprendre les difficultés d’une intervention. L’Union européenne considère que l’Ukraine est un Etat « européen » qui a pour vocation à se rapprocher de l’Europe sur le plan économique, diplomatique et culturel. C’est la raison pour laquelle des Etats européens comme l’Allemagne et la Pologne s’activent pour attirer l’Ukraine dans l’Union. Parallèlement, les Russes considèrent qu’en raison du caractère "slave" et de l’histoire commune avec la Russie, les Ukrainiens ont pour vocation à s’éloigner de l’Europe et à se rapprocher de la Russie. Ces deux conceptions, pour ne pas dire projections de l’Ukraine, expliquent le conflit qui anime la Russie et l’Europe face à la plus grande indifférence qu’on retrouve par rapport au Caucase.

Sur le terrain, la société ukrainienne est également fragmentée. On retrouve à l’est et au sud du pays des habitants plus majoritairement proche de la Russie, ce qui explique la création de Novorossia. Il semblerait également pertinent de s’interroger sur Novorossia qui commence à apparaitre comme un Etats de facto plus que comme une partie sécessionniste de  l’Ukraine. Une telle évaluation permettrait de mieux adapter l’approche de l’OTAN et de l’Union européenne pour sécuriser l’Ukraine et endiguer un rapprochement avec la Transnistrie dans les années à venir. Quoi qu’il en soit, l’Ukraine est un pays divisé sur son appartenance et c’est ce qui amène à la situation actuelle. Il est donc difficile pour l’OTAN ou l’Union d’intervenir de façon directe car la Russie oppose sa vision à celle des Occidentaux. Si une intervention militaire de l’OTAN apparaitrait comme une "aide" pour lutter contre les séparatistes en Ukraine, pour les Russe, une telle intervention s’interpréterait comme une démarche qui vise à interdire aux peuples de lutter pour leur liberté.

C’est la raison qui pousse l’Union européenne à intensifier ses pressions économiques mais sans intervenir, et les russes à s’activer sur le terrain mais sans lancer une offensive de grande  envergure comme en Géorgie en 2008.

L’Union européenne, l’OTAN comme la Russie attendent juste, à l’image d’une partie d’échec, que l’adversaire effectue un mauvais mouvement pour pouvoir en tirer avantage. La logique est actuellement celle de l’attente tout en avançant ses pions et en tentant de pousser l’adversaire à commettre une faute sur le terrain.

Comment la Russie de Vladimir Poutine perçoit-elle ce positionnement de l'Otan ? Est-ce que cela représente une barrière diplomatique infranchissable pour elle, ou peut-on envisager qu'elle puisse passer outre la position de l'Otan ?

Pour le Président russe, l’OTAN est avant tout une menace. Elle est une menace dans la mesure où le Kremlin a tendance à s’imaginer que toute puissance économique et/ou militaire à proximité est un danger plus qu’une opportunité pour accroitre la sécurité de la région. C’est la raison pour laquelle il est difficile de percevoir l’Union européenne ou une alliance militaire sur un plan amicale car la représentation russe est immédiatement qu’on retrouve dans un schéma de confrontation plus que de coopération.

Il est facile d’en déduire qu’un Etat qui se rapproche de l’OTAN, tant bien même l’Alliance lutte activement contre le terrorisme international, se retrouve mis au rang d’ennemi potentiel pour le Kremlin. C’est la raison qui pousse le Président Poutine exerce des pressions pour endiguer le rapprochement d’Etats comme la Géorgie ou l’Ukraine avec l’OTAN. L’adhésion des Pays-Baltes en 2004 a été perçue comme un choc diplomatique pour la Russie, pour ne pas dire une provocation, car elle estime que beaucoup d’Etats d’Europe de l’Est, en sens large du terme, devraient dépendre d’elle. C’est un problème récurrent dans la mesure où la Russie se pense comme une grande puissance, mais si l’on fait abstraction de ses attributs militaires, elle n’a ni les capacités économiques, diplomatiques et culturelles pour rentrer en compétition avec l’Union européenne. C’est la raison de son agressivité qui est à interpréter comme son seul moyen de défense face à une Union européenne dont la politique d’influence est plus efficace.

Dans la représentation russe actuelle, la seule solution est la perte d’un des deux camps, la coopération n’étant pas envisageable sous la présidence de Vladimir Poutine. C’est la raison pour laquelle il est impossible de songer à voir une amélioration de la situation tant en Ukraine que dans le Caucase. La Russie attend juste une faiblesse de l’Union européenne, c’est la raison pour laquelle elle souhaite diviser les Etats européens, ou une défaillance de l’OTAN pour en évaluer les limites et savoir jusqu’où elle peut aller. Le cas de la Crimée est révélateur, la Russie savait que l’OTAN, l’Union européenne et les Etats-Unis n’agiraient pas et qu’elle pouvait se permettre de la rattacher-annexer la région. Le Kremlin attend de voir le positionnement des occidentaux pour déterminer s’il peut faire de même en Ukraine et en Moldavie et jusqu’où il peut soutenir Novorossia dans son projet de rattacher les régions qui bordent la mer Noire pour s’en assurer le contrôle face à une mer Baltique ou la Russie est devenue moins importantes depuis l’adhésion des Etats-Baltes et de la Pologne à l’Union européenne et l’OTAN.

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