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Le Quai d'Orsay surnommé la "Banquise" sous prétexte qu’il n’y aurait que des phoques...
©Reuters/Charles Platiau

Bonnes feuilles

Depuis le XVIIe siècle, le secret diplomatique a souvent été secret d'alcôves avec un s et "valise diplomatique" a rimé plus d'une fois avec "vanity-case" : des nièces de Mazarin aux "gaullistes queutards", en passant par les maîtresses royales et les ambassadeurs-étalons, on a beaucoup couché (ou tenté de coucher) pour maintenir la grandeur de la France, et jamais la petite histoire n'a aussi bien expliqué la grande. Extrait de "Une histoire érotique de la diplomatie", de Nicolas Mietton, aux éditions Payot 2/2

Nicolas  Mietton

Nicolas Mietton

Nicolas Mietton, historien, est féru de Mémoires et autres Journaux. Il a notamment établi l'édition critique du Journal de Maurice Paléologue, qui fut ambassadeur de France en Russie, de 1914 à 1917. 

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Nous n’avons pas parlé jusqu’ici de manière spécifique des homosexuels au Quai d’Orsay, bien qu’ils soient réputés le peupler. Nombre de diplomates ne surnomment-ils pas leur ministère la "Banquise" sous prétexte qu’il n’y aurait que des phoques ? Parmi ces diplomates invertis, Roger Peyrefitte fut sans doute le plus célèbre, sa brève carrière, parsemée de scandales, coïncidant avec une des périodes les plus troublées de notre histoire.

Né en 1907 dans la bonne bourgeoisie de Castres, il n’était pas prédisposé à entrer dans la Carrière, mais sa rencontre fortuite avec Jules Cambon décida de son avenir. En effet, frappé par la culture du garçon, l’illustre ambassadeur lui dit qu’il ferait un bon diplomate, et son élogieuse remarque ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Pour l’adolescent, homo latent de seize ans à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession, entrer au ministère des Affaires étrangères signifiait échapper au carcan provincial, sortir du placard et sucer enfin autre chose que les bonbons à l’anis des vieilles amies de ses parents.

En 1927, malgré les réserves de son père, il s’inscrivit à l’École libre des sciences politiques, aujourd’hui Sciences Po. À cette époque, comme "tout n’était que titres et particules rue Saint-Guillaume", il ne dérogea pas à la règle en fré- quentant de jeunes aristocrates, et alla encore plus loin en nouant de tendres liens avec un membre de la famille de Faucigny-Lucinge.

Il logeait rue de Ponthieu, près du Select, une boîte gay réputée, et passa sa première année à batifoler. Il lui arrivait même de michetonner pour s’acheter des livres érotiques rares. Il eut aussi des petites amies, mais, comme il persistait à vouloir les honorer par-derrière, elles partirent l’une après l’autre. Comprenant cependant qu’il lui fallait bûcher un minimum et qu’il devait s’astreindre à la discrétion s’il voulait devenir ambassadeur un jour, il consentit à travailler et obtint brillamment son diplôme.

En juillet  1931, il tenta le "grand concours" d’entrée au Quai et brilla à l’écrit, éclipsant Armand Bérard, futur ambassadeur à Rome et délégué aux Nations Unies. Toutefois, déjà téméraire –  d’aucuns diraient suicidaire  –, il risqua un bon mot lors d’un oral devant le directeur des stages, l’austère protestant Paul Bargeton, qui le sacqua. Sorti premier de Sciences Po, il entrait dernier au Quai, la queue basse…

Nommé à la Sous-direction des unions internationales , sous les ordres de l’ambassadeur Campana , il se lia avec Jean-Paul Garnier et Guillaume Georges-Picot. Ces deux hétérosexuels s’étaient tripotés lors d’une beuverie, mais n’étaient pas allés plus loin. Ils l’accueillirent cordialement. Peyrefitte ne pouvait se douter que Garnier ferait plus tard, à la Libération, partie de ceux qui l’"exécuteraient".

Le jeune Roger intégra le ministère des Affaires étrangères au moment où la situation internationale de la France commençait à se détériorer, sous les coups de la Grande Dépression. Une politique plus réaliste envers l’Allemagne fut esquissée. En septembre  1931, Laval et Briand se rendirent à Berlin, où ils furent accueillis avec sympathie, mais il était déjà trop tard pour sauver la république de Weimar.

Symbole de ce tournant, Briand quitta les Affaires étrangères en janvier 1932 et mourut deux mois plus tard. Roger demanda et, à sa grande surprise, obtint l’honneur de le veiller. À part lui, peu de monde s’était bousculé pour rendre hommage à la dépouille du "pèlerin de la paix". Quant à Philippe Berthelot, malade, il n’allait pas tarder non plus à abandonner le Secrétariat général.

"Sous l’apparence prétentieuse" de ses collègues, Roger découvrit des turpitudes étonnantes. Si l’adultère était fré- quent au ministère, les mœurs y étaient strictement orthodoxes : officiellement, le Quai refusait d’être gay.

On se gardait bien de rappeler le passé bisexuel de Philippe Berthelot, qui avait pourtant fricoté au collège avec un cardinal, puis avec Lyautey quand il faisait son service militaire, et enfin avec le duc de Luynes quand il était entré dans le monde. Plus récemment, un baron avait certes été pincé en un lieu public "dans une position équivoque" (c’est-à-dire qu’elle ne l’était pas du tout), mais on s’était contenté de le mettre en disponibilité.

Finalement, le seul homosexuel affiché était "de petite espèce" puisqu’il s’agissait d’un commis de chancellerie des Unions, ancien sous-officier. L’ambassadeur Campana le trouva un jour à quatre pattes avec un balayeur, dans un recoin obscur de son bureau. "Que faites-vous là ?" demanda Campana interloqué. "Nous ramassons des allumettes", répondit le commis qui, pas démonté, ramassa son pantalon et s’en alla avec son acolyte

Extrait de "Une histoire érotique de la diplomatie", de Nicolas Mietton, publié aux éditions Payot, novembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

©Editions Payot & Rivages, 2016

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