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Le Pen/Zemmour : le match de la dernière ligne (très à) droite
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Match pour la deuxième place

A deux semaines du premier tour des élections présidentielles, Marine Le Pen, qui occupe une confortable deuxième place dans les sondages, est en déplacement en Guadeloupe. Eric Zemmour, en difficulté, tente de remobiliser son électorat après un meeting au Trocadéro ce dimanche.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Ce week-end du 26 mars à moins de 15 jours du premier tour de l’élection présidentielle. Eric Zemmour a organisé un grand rassemblement au Trocadéro, emprunt de référence, et Marine Le Pen une première tournée en Guadeloupe. Quel est le résultat de ce match de communication Trocadero contre Guadeloupe ? Quel bilan pouvons-nous en tirer ?  

Arnaud Benedetti : Essayez de chercher un vainqueur et un vaincu relève d’un exercice qui prêterait à la communication une fonction magique. Du point de vue d’Eric Zemmour, la mobilisation était au rendez-vous, mais on s’y attendait, la ferveur aussi, on s’y attendait tout autant . L’idée de ce moment était de rebooster les troupes , de créer de l’image pour susciter l’idée d’une dynamique, de redonner de la performativité à partir de cette scène pour relancer les intentions de vote. Médiatiquement, la séquence aura été néanmoins perturbée par les quelques secondes d’une partie de la foule scandant "Macron assassin". La loupe grossissante des médias y trouve une matière à nourrir le spectacle, à réduire la sauce du meeting à cet incident déplorable, à réactiver l’idée d’un mouvement factieux . Ce dépôt-là bloquera t’il le redémarrage escompté par les équipes d´Éric Zemmour à partir de cette mobilisation ? Ce dernier a condamné, conscient du caractère toxique de cet instant, n’ignorant pas que ses concurrents n’hésiteront pas à retourner ces éléments à charge contre lui. 
Marine le Pen de son côté a géré son "couloir" empreint de tranquillité et de proximité, en privilégiant la rencontre dans un outre-mer où contrairement à son père elle est parvenue à se rendre, postant des saynètes d’accueils chaleureux (à l’aéroport, etc). L’agression dont elle a été l’objet et la victime lors d’une émission de télévision, même s’il tend à l’extrême marge à illustrer que l’entreprise de banalisation ne serait pas totalement achevée, contraint ses concurrents à se solidariser avec elle pour condamner l’acte. Cette itinérance guadeloupéenne est mise à profit par la candidate pour renforcer une stature propice au rassemblement , une disposition sociale aussi dans une île où la précarité est un enjeu majeur. Par contraste elle joue ainsi l’antithèse de la droite Trocadéro; elle est explicitement déjà dans une stratégie de second tour quand son concurrent demeure dans une perspective de premier tour .

Que pouvons nous imaginer pour la dernière ligne droite de cette campagne pour ces deux candidats ? Qu’ont-ils intérêt à faire ?

Pour Marine le Pen , il faut maintenir le point d’équilibre auquel elle s’est consacré depuis plusieurs semaines : ouverture, apaisement, priorité sociale, fermeté sur les fondamentaux de l’historique du RN sans pour autant insister sur ceux-ci. De ce point de vue la critique Zemmouriste du reniement a semble-t-il perdu de son efficience, tout le sujet pour elle consiste à mobiliser son électorat dont on sait que le potentiel est plus exposé que d’autres à l’abstention. Pour Zemmour, il s’agit de sortir du bourbier ukrainien qui l’a contraint fortement. Les études montrent que l’enjeu de la guerre passe au second plan de la campagne - ce qui se traduit au demeurant par une baisse sensible des intentions de vote pour Emmanuel Macron; par ailleurs et c’est le point le plus important, il lui convient de gagner en "présidentialité " sans perdre en sincérité , d’aller chercher au-delà de son socle socio-electoral les couches populaires qui pour l’instant restent fidèles à Marine Le Pen, et de continuer à forer l’offre de Valérie Pecresse en plein doute, encalminée également - d’où les appels durant le meeting à Wauquiez ou Ciotti

Qu’est ce que cette campagne nous a révélé de la nature politique de l’un comme de l’autre ? Quels ont été les points forts et leurs points faibles ? 

Marine le Pen a révélé sa nature politique, sa capacité à tenir dans l’adversité, résistant à la concurrence Zemmour, aux défections, contenant très vite aussi l’émergence de Valérie Pecresse, se démêlant assez agilement et rapidement du piège de la guerre. Cette grande habileté a conforté sa "républicanisation", rendant pour la suite plus complexe les entreprises de rediabolisation dont ses adversaires macronistes dans l’hypothèse de second tour ne manqueront pas de réactiver le registre. Sa stratégie "chiraco-mitterandienne" épaissit sa crédibilité, puisqu’elle intègre deux variables essentielles pour un capital politique aspirant à la fonction présidentielle : la métabolisation de la durée dans une époque gagnée par l’hystérie de l’immédiateté et la disposition au rassemblement. Elle a "taraudé des planches de bois sur" pour reprendre le mot signifiant de Weber visant à caractériser et distinguer selon lui le politique professionnel de l’amateur ou du dilettante. Sa faiblesse reste désormais principalement exogène : sa capacité ou non à créer une mobilisation qui lui évite une faiblesse de la participation. Elle rassur , c’est incontestable : donne-t-elle encore envie à des catégories populaires désillusionnées par le fait politique d’aller voter ? C’est la question principale pour ce qui la concerne.
Pour Éric Zemmour, la transformation du journaliste et essayiste en politique aura opéré. Il sera ainsi parvenu à être l’invité surprise de cette campagne, suscitant l’événement, fabriquant en quelques semaines une machine électorale, ce qui n’est pas une mince affaire, imposant pour une grande part son lexique et son agenda, contraignant la plupart de ses concurrents à se positionner au moins dans un premier temps par rapport à son surgissement. Il a percuté, performé comme un nouvel entrant. Est-ce néanmoins suffisant pour accéder au second tour ? La résilience mariniste, l’habileté de Mlp à élargir sa programmation anticipant notamment la question du pouvoir d’achat avant tout le monde a endigué la percée zemmouriste . Cette dernière s’est en quelque sorte auto-limitée dans ses succès du départ : la matrice identitaire pour être efficace à ses débuts n’en demeure pas moins insuffisante dés lors qu’elle ne parvient pas à cranter d’autres problématiques. Le libéralisme économique affiché enfin s’il donne une cohérence socio-discursive à l’offre d’Eric Zemmour se heurte à une zone de chalandise particulièrement concurrencée par la marque Pecresse et dans une moindre mesure par celle d’Emmanuel Macron. Par ailleurs, la sincérité indéniable d’Eric Zemmour, sa volonté parfois de ne rien vouloir céder éteignent la plasticité indispensable à une efficacité politique.

Que pouvons-nous imaginer pour l’après-présidentielle pour ces deux candidats ? Quel avenir pour Reconquête et pour le Rassemblement National ?

A ce stade tout est possible. La surprise que constituerait une victoire de la candidate du RN poserait immédiatement la question des législatives. Rien ne garantit en effet qu’elle puisse disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale, même si l’on peut imaginer des phénomènes de ralliement côté LR , et des retours au giron de certains Zemmouristes. Elle devra néanmoins composer avec ces derniers. Sa défaite, et il reste à savoir dans quelles conditions, entraînerait une interrogation : quelle suite d’abord pour un parti fortement marqué par une geste familiale ? Tout par ailleurs sera conditionné par le résultat d’Eric Zemmour ; l’hypothèse, fragile à ce stade d’une qualification au second tour, lui octroierait un statut pivot pour recomposer la droite de la droite et une partie de la droite de gouvernement. Il devra compter néanmoins avec quelques unes des figures en réserve de cette dernière, comme Laurent Wauquiez d’un côté, David Lisnard de l’autre qui sont là pour reprendre la gestion de "la vieille maison"… 

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