La vision de la nouvelle PDG de Twitter sur l’avenir du réseau à l’oiseau bleu se précise <!-- --> | Atlantico.fr
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La nouvelle PDG de Twitter a dévoilé ses ambitions pour le réseau social alors que la limitation de lectures a été mise en place.
La nouvelle PDG de Twitter a dévoilé ses ambitions pour le réseau social alors que la limitation de lectures a été mise en place.
© D Dipasupil / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Linda Yaccarino

Twitter a décidé de restreindre temporairement la lecture de tweets pour contenir l’utilisation massive de données du réseau social par des tiers, notamment afin d’alimenter les modèles d’intelligence artificielle. Linda Yaccarino a récemment dévoilé son ambition de faire de Twitter la « source d'information en temps réel la plus précise du monde ».

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Twitter a annoncé une limite du nombre de lectures quotidiennes de tweets pour les utilisateurs n’ayant pas d’abonnement. Dans 30 jours Tweetdeck deviendra payant. Que faut-il comprendre cette stratégie ?

Julien Pillot : En réalité, il s'agit d'abord, et quoi qu'en dise la direction de Twitter, d'une question d'argent. L'annonce concerne les gros utilisateurs de Twitter, et notamment les entreprises qui multiplient les bots à des fins d'influence, voire de désinformation, et plus encore celles qui usent de Twitter pour entrainer leurs algorithmes d'IA grâce aux informations, textes et images, agglomérées par la plateforme. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de faire passer ces acteurs à la caisse, dans un contexte où d'une part, Twitter cherche d'autres leviers de monétisation, et d'autre part, Twitter s'inscrit dans la droite lignée de plateformes du web 2.0 qui craignent que les entreprises spécialisées dans l'Intelligence Artificielle (IA), en utilisant massivement les données publiques de leurs plateformes, s'enrichissent sur leur dos. Il faut, en effet, se souvenir que l'IA repose sur des algorithmes dont la puissance repose principalement sur le nombre et la qualité des données à partir desquelles ils ont été entrainés. Tout cela n'arrive donc pas par hasard. La sphère financière accorde aujourd'hui beaucoup de capitaux aux entreprises spécialisées dans l'IA... et Elon Musk ne peut se satisfaire de n'en tirer aucun bénéfice.

Ce qui est cocasse, c’est que Twitter est en train d'apprendre à ses dépens ce que les grandes plateformes du web 2.0 ont fait subir à d'autres acteurs économiques en leur temps. Ces grandes plateformes, que l'on parle de Facebook, Twitter, Google, YouTube etc., ont profité de contenus préexistants, dont la création a été financée par des tiers (essentiellement par des médias traditionnels ou des individus), pour monétiser leurs capacités d'agrégation et de rétention de l'audience, généralement par la publicité. Et certaines entreprises traditionnelles se sont émues du fait qu'elles subissaient les coûts de production du contenu... pour que de grandes plateformes du web finissent par en tirer profit. En quelque sorte, la crainte pour les grands agrégateurs de contenus du web 2.0, c'est de voir se reproduire ce schéma, mais cette fois-ci en leur défaveur dans un jeu concurrentiel prospectif avec les grands spécialistes de l'IA.

Et est-ce qu'il y a aussi derrière ça une philosophie de Twitter qui change ?

C’est difficile de démêler le vrai du faux, à plus forte raison que les arguments des grandes plateformes du web 2.0 sont placés sur le plan de l'éthique. Ces dernières alertent sur le fait que les données aujourd'hui accessibles publiquement sur leurs services soient absorbées dans les "grandes boîtes noires" que sont les algorithmes d'IA, et que l'accès à ce "savoir" finira par être réservé à ceux qui sont en capacité de payer. Comme on l'a vu, l'histoire est peut-être en train de bégayer, mais je ne crois pas que les grandes plateformes dominantes du web 2.0 puissent s'ériger en donneurs de leçons sur le plan de l'éthique des affaires, elles qui n'ont pas toujours été exemplaires en la matière, mais qui en outre n'ont pas été les dernières à réserver un certain niveau d'information - parfois sensibles - à des acteurs en capacité de payer. L'affaire Cambridge Analytica est là pour nous le rappeler.

Or, il ne faut pas s'y tromper : depuis que Musk est à la tête de Twitter, son objectif est moins de libérer la liberté d'expression, mais bien de monétiser Twitter, si possible en réduisant le poids des recettes publicitaires dans son mix de revenus. Sur le long terme, cela se pense à travers la diversification de Twitter. Mais sur le court terme, il s'agit bien d'inciter les utilisateurs, notamment ceux ayant une utilisation professionnelle de Twitter, à souscrire à un abonnement Twitter Blue. Ce qui réserve les fonctionnalités premium de Twitter... précisément aux entités, personnes physiques et morales, disposées à payer pour celles-ci.  

Linda Yaccarino est devenue la nouvelle CEO de Twitter, que sait-on d’elle ?

Elle est une pure spécialiste de la publicité, reconnue comme telle lorsqu'elle travaillait chez NBC Universal. Le fait qu'Elon Musk l'ait choisie plutôt qu'une autre personne pour prendre la direction de Twitter montre qu'il fait marche arrière par rapport à ses ambitions initiales, notamment en ce qui concerne la monétisation de Twitter. Au départ, il considérait que Twitter dépendait trop de la publicité et il voulait en faire un réseau qui se monétise davantage par des certifications et d'autres services à développer. Cependant, il a dû faire face à la réalité lorsque de nombreux annonceurs ont quitté la plateforme, dans un contexte financier difficile pour les entreprises technologiques, y compris Twitter. Cela a provoqué une certaine panique, et il est devenu évident que, du moins à court terme, la monétisation de Twitter par d'autres moyens que la publicité n'était pas envisageable. Il a donc recruté une pure spécialiste de la publicité. C'est un peu un aveu de semi-échec de la part d'Elon Musk, car il avait initialement des ambitions de monétisation premium pour Twitter, ce qui semble pour l'instant bien difficile à réaliser.

Elle a envoyé son premier mail officiel le 12 juin pour parler de « construire Twitter 2.0 ensemble ». Qu’est-ce que ce Twitter 2.0 ?

C'est d'abord et avant tout une bonne stratégie marketing. On voit d'ailleurs clairement à qui elle s'adresse. Elle vise avant tout les annonceurs, en particulier les gros annonceurs, surtout ceux qui ont récemment déserté la plateforme. Une étude récente faisait état que Twitter avait perdu environ 60% de ses 100 principaux annonceurs. Cette étude paraît d'autant plus crédible que l'on se rappelle les déclarations d'Elon Musk qui, il y a quelques mois, déclarait que Twitter avait abandonné environ 50% de sa valeur. Ainsi, la première déclaration officielle du nouveau PDG est clairement destinée à ces annonceurs, leur demandant ce dont ils ont besoin afin de réinvestir dans la publicité sur Twitter, et promettant de leur apporter des solutions techniques ou procédurales, voire les deux, pour réaliser une version 2.0 de Twitter. On peut clairement voir qu'il s'agit d'une initiative commerciale, et pour l'instant, c'est la meilleure approche pour regagner la confiance des annonceurs.

Cela consiste concrètement en quoi ?

Concrètement, si vous souhaitez intégrer des vidéos courtes à la manière de TikTok, Twitter va proposer ce type de contenu. Si vous souhaitez vous assurer que vos annonces ne seront pas vues dans des fils Twitter contenant des contenus discutables, Twitter boostera l'algorithme en utilisant des mots-clés pour éviter de vous associer à des mots-clés auxquels vous ne voulez absolument pas être associés. Dans tous les cas, il est urgent de générer de nouvelles recettes publicitaires, d'autant plus que plus le temps s'écoulera, moins Twitter sera considéré comme une plateforme publicitaire indispensable par les annonceurs. En tant qu'annonceur, les études démontrent que plus vous restez éloignés longtemps d'un canal de diffusion, moins la probabilité que vous y reveniez est forte. Tout simplement parce que vos choix d'allocation de vos budgets de communication vous engagent parfois durablement, à plus forte raison quand vous les doublez de routines technologiques, et que les forces d'inertie opèrent. Quoi qu'il en soit, s’il y a une personne qui pourrait faire revenir les annonceurs, c'est probablement Linda Yaccarino. Sa réputation semble être solide sur ce domaine.

Est-ce qu’on a une vision précise de sa stratégie ?

Nous avons déjà évoqué quelques idées qui sont déjà en préparation : vidéos courtes à la manière des Réels de Meta ou de TikTok, placement et référencement de produits, et éventuellement de faire revenir des influenceurs qui utiliseraient ces formats vidéo pour des placements publicitaires. De même pour ce qui concerne les modifications algorithmiques qui permettraient de sécuriser les annonceurs en évitant que leurs messages soient associés à des contenus non sollicités, notamment wokistes ou d'extrême droite. Cela est d'autant plus nécessaire que la modération réalisée par des humains ne semblent plus être dans les priorités stratégiques de celui qui se présente comme un "absolutiste de la liberté d'expression".

C'est à peu près ce qui va se passer à court terme. À moyen terme, il faut plutôt lorgner du côté d'Elon Musk. Il envisage de diversifier les activités de Twitter, notamment pour en faire un intermédiaire de paiement, voire une marketplace, et d'autres services orientés autour de la géolocalisation. Le modèle de ce à quoi pourrait ressembler Twitter est probablement à regarder du côté de WeChat, une application "couteau suisse" extrêmement populaire en Chine. La vraie question est plutôt de s'interroger sur où en sera Twitter dans 5 à 10 ans, et si Elon Musk aura les moyens de réaliser ses ambitions pour en faire une plateforme phare. Le management de la transition sera des plus délicats car, pour s'avérer un bon canal de diversification, Twitter a besoin de ressources financières, humaines et technologiques, et conserver un vrai pouvoir d'influence. Les marchés suivront-ils Elon Musk dans cette aventure ? Rien n'est moins sûr, à plus forte raison si sa stratégie autour de Twitter venait à avoir des répercussions néfastes sur ses autres business, Tesla en tête.

La nouvelle PDG a déclaré “Twitter is on a mission to become the world’s most accurate real-time information source and a global town square for communication. That’s not an empty promise. That’s OUR reality". Est-ce que c'est juste des mots ?

On ne peut pas reprocher à l'entreprise d'avoir de l'ambition pour elle-même. Cependant, il est important de discerner ce qui relève de la communication pure et ce qui relève d'une vision stratégique à très long terme, ainsi que le réalisme que l'on peut prêter à cette vision stratégique. Dans un premier temps, l'objectif est de rassurer les annonceurs présents, de convaincre de nouveaux comptes de venir et d'anciens de revenir. C'est la principale grille de lecture : leur assurer qu'il y aura de l'audience qualifiée, que celle-ci va continuer à croître, tout en assurant qu'une segmentation plus effiace des contenus, notamment polémiques, préservera les annonceurs d'une association non sollicitée (et d'un bad buzz potentiel) d'une part, et améliorera la qualité de l'expérience et le pouvoir informationnel des utilisateurs d'autre part. L'idée, c'est de dire à toutes ces personnes : "Écoutez, nous sommes en pleine transformation et le Twitter que vous connaissez aujourd'hui sera bien plus grand demain."

Cependant, il reste une véritable interrogation quant à savoir si Twitter peut réellement devenir cette plateforme mondiale de l'information. Plusieurs raisons contribuent à cette incertitude. Tout d'abord, même à son apogée, Twitter n'a jamais compté que 200 à 300 millions d'utilisateurs actifs, bien loin des près de 3 milliards de Facebook. Twitter reste une plateforme d'information qui attire principalement un public d'initiés. Cela peut être malgré tout intéressant pour les annonceurs, car il est parfois préférable d'avoir une audience très qualifiée sur Twitter plutôt qu'une audience plus généraliste sur d'autres réseaux sociaux. Mais cela soulève la question de savoir si Twitter peut réellement dépasser ce plafond de verre pour devenir à la fois une plateforme leader mondiale, non seulement de l'information, mais du contenu et du service.

De plus, la question se pose de savoir si Twitter, qui est actuellement affaibli en termes de ressources propres, a les moyens de mener à bien des opérations de diversification pour devenir plus varié, notamment dans les domaines des services de paiement, de la géolocalisation, de la vidéo, et autres services similaires à WeChat. Les opérations de diversification sont généralement menées lorsque l'activité principale est solide et génère des revenus abondants et stables. Toutefois, dans le cas de Twitter, qui est actuellement affaibli, créer de nouveaux éléments de diversification représente un défi majeur. Bien sûr, il est possible de penser que des ressources de toute nature pourraient être transférées depuis l'écosystème d'Elon Musk, qui est florissant en termes de capacités techniques et financières. Mais même pour Elon Musk, tous les combats stratégiques n'ont pas vocation à être gagnés, à défaut d'être simplement gagnables. A suivre...

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