La Scandinavie ne pesait rien ou presque en Europe, la guerre en Ukraine a changé la donne<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats finlandais lors d'un entraînement militaire
Des soldats finlandais lors d'un entraînement militaire
©ALESSANDRO RAMPAZZO / AFP

Changement de donne

Alors que la Scandinavie avait un poids limité en Europe, la guerre en Ukraine a transformé la région en véritable laboratoire stratégique pour l'Europe

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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A quel point les pays de Scandinavie sont-ils devenus un nœud stratégique important en Europe à la faveur de la guerre en Ukraine ? Par quels moyens ?

Cyrille Bret : La Scandinavie est, avec l’espace de la Mer Noire, une zone de contact et de tensions directes avec la Fédération de Russie. L’espace baltique est en effet structuré par la présence de membres nordiques de l’Union européenne (Finlande, Suède, Lituanie, Lettonie, Estonie) et la présence de la deuxième capitale économique et militaire de la Russie, Saint-Pétersbourg. Espace exigu et écologiquement fragile, la zone est un point de tension depuis plus d’une décennie. Le passage des navires russes de la Flotte de la Baltique, la construction des gazoducs Nordstream 1 et 2 entre la Russie et l’Allemagne, les activités militaires menées par la Russie depuis l’enclave de Kaliningrad (entre la Pologne et la Lituanie) ainsi que la remilitarisation de l’île suédoise de Götland on fait de la région un laboratoire stratégique. C’est là qu’ont commencé le réarmement des Neutres historiques (Finlande, Suède), la mise en œuvre des stratégies hybrides de la Russie se sont déployées (infiltration sous-marines, l’expansion des médias d’Etat russes (interdits en Suède depuis plusieurs années, le travail sur les minorités russophones (en Lettonie et en Lituanie), ou encore la dépendance à l’égard des centrales énergétiques et du gaz russes est très aiguë, etc. Historiquement et stratégiquement, l’espace nordique est aux avant-postes de la « question russe » pour l’Europe.

Qu’est-ce qui explique que ces pays n’avaient que très peu de poids en Europe avant cette période ? 

Je suis en désaccord. Le poids économique de plusieurs acteurs de la zone est très important pour les Européens depuis longtemps : la Suède et le Danemark sont, depuis longtemps, des économies prospères et innovantes, des Etats Providence érigés en modèles et des sources d’inspiration pour les entrepreneurs du monde entier. En revanche, certains acteurs de la zone ont eu des difficultés économiques comme les trois Etats baltes, qui faisaient parties intégrantes de l’URSS jusqu’en 1991. Quant à la Pologne, sur le flanc baltique sud, elle a vécu un miracle économique qui est central dans l’appareil de production industriel allemand. Le faible poids politique apparent de ces Etats membres dans l’Union tient à plusieurs facteurs : d’une part, l’Union ne s’est élargie dans cet espace que récemment. Les nordiques ont rejoint l’Union en 1995 (Suède, Finlande) alors que les Baltes ont adhéré en 2004. En outre, le faible poids démographique de ces États ne leur a pas octroyé une place éminente quantitativement au Parlement européen ou au Conseil en nombres de voix. Enfin et surtout, l’Europe nordique a ses propres instances de coopération régionale, anciennes et bien rôdées : le Conseil des États de la Mer Baltique, le Conseil nordique, le Conseil de l’Arctique, etc. 

Quelles conséquences cette nouvelle donne a-t-elle actuellement ?

Plusieurs facteurs font de la Scandinavie et de l’espace baltique l’avant-garde de l’Union européenne. Économiquement, elle compte de nombreux acteurs majeurs de la révolution numérique : Bolt, Spotify, etc. viennent des développeurs et des entrepreneurs de la zone. Politiquement, elle connaît une vague populiste qui influence profondément son échiquier politique d’ordinaire modéré. Elle a également fait émerger des figures politiques continentales comme les Premières Ministres finlandaise, Sanna Marin, et estonienne, Kaja Kallas. Stratégiquement, les Etats de la Baltique donnent le ton : en effet, ils sont en première ligne face à la Russie et organisent un soutien massif à l’Ukraine. La Pologne accueille de nombreux Ukrainiens réfugiés ; la Finlande et les Etats baltes sont en pointe dans les sanctions contre la Russie et notamment contre l’admission de ressortissants russes sur leurs territoires ; la Suède et la Finlande ont opéré le plus grand tournant stratégique de la zone en renonçant à leurs neutralités, respectivement de plus de 200 ans et de plus de 70 ans ; enfin, ce sont les « grands pays » comme l’Allemagne, la France et l’Italie qui sont sommés d’imiter les Nordiques dans leur soutien à l’Ukraine, pas l’inverse. Le centre de gravité de l’Europe est désormais entre Berlin Stockholm et Varsovie et non plus entre Bruxelles, Paris et Londres.

Ce nouveau rapport de force est-il en train de s’établir durablement ? Quelles pourraient en être les conséquences de long terme ?

Plusieurs évolutions sont à prévoir. D’une part, le poids politique des Nordiques change l’approche en matière de développement durable, d’immigration, d’aide au développement ou encore de rigueur budgétaire. L’Europe du Sud, dont la France fait partie pour les Nordiques, n’aura plus le monopole de la culture politique avec un regard tourné vers la Méditerranée, une solidarité intra-européenne budgétairement forte, une tolérance aux déficits publics, etc. D’autre part, les Nordiques vont accélérer l’aggiornamento stratégique de l’Europe en s’engageant résolument dans un réarmement – dans le cadre de l’Alliance atlantique. Les Nordiques sont en effet bien plus résolument otaniens que les Allemands et les Français. Ainsi, la Première Ministre finlandaise Marin vient de déclarer que l’Europe ne peut rien sans les Etats-Unis. Enfin, cela va obliger les pays fondateurs à mieux écouter les Etats membres qui, d’ordinaire, étaient considérés comme « petits » et « aux marges de l’Europe ». Des progrès, des difficultés et des défis, comme toujours quand l’Union évolue.

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