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La droite au bord de la crise de nerfs : mais au fait, sur quoi les Républicains s’opposent-ils vraiment entre eux ?
©Reuters

Beaucoup de bruit pour rien

Depuis l'annonce de Jean-François Copé, le nombre de candidats déclarés à la primaire des Républicains a été porté à huit, sans compter les candidats officieux comme Nicolas Sarkozy ou Bruno Le Maire, et ceux qui attendent encore pour se déclarer. Pourtant, seule l'Europe, la question du positionnement face au Front national - et dans une moindre mesure les questions sociétales - semblent réellement opposer ces candidats.

Guillaume Tabard

Guillaume Tabard

Guillaume Tabard est rédacteur en chef et éditorialiste au Figaro. 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Depuis l'annonce de Jean-François Copé, le nombre de candidats déclarés à la primaire des Républicains a été porté à huit, sans compter les candidats officieux comme Nicolas Sarkozy ou Bruno Le Maire, et ceux qui attendent encore pour se déclarer. Pourtant, au regard des déclarations des uns et des autres, seule l'Europe, la question du positionnement face au Front national - et dans une moindre mesures les questions sociétales - semblent réellement opposer ces candidats. Qu'en pensez-vous ? S'agit-il des véritables lignes de fracture existantes au sein du parti ?

Vincent Tournier : Ce foisonnement des candidatures est inédit, mais il faut dire aussi que l’on manque de recul. En fait, ces primaires de la droite et du centre sont une grande nouveauté. Il y a certes eu des primaires en 2007 mais à l’époque, seul Nicolas Sarkozy s’était finalement présenté devant les sympathisants, tous les autres candidats ayant renoncé. Et en 2012, la question des primaires ne s’était pas posée puisque Nicolas Sarkozy était le président sortant.

Face à cette multiplication des candidatures, on peut émettre deux hypothèses. La première est que la droite est devenue plus disparate, plus éclatée qu’autrefois. Cette hypothèse n’est pas exclue, mais elle reste fragile. En réalité, il faut surtout constater que la droite connaît une double crise de leadership et de stratégie, dont la source se trouve dans l’échec de Nicolas Sarkozy en 2012. En perdant l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy a démontré que la stratégie qui avait si bien fonctionné en 2007 n’est pas infaillible. Cette stratégie, rappelons-le, a consisté à rompre avec le discours modéré de Jacques Chirac, jugé responsable du score pitoyable au premier tour de 2002 (moins de 20%) avec pour objectif de prendre des voix au Front national, tout en proposant un discours de rupture sur le plan économique susceptible de plaire aux électeurs centristes et libéraux.

En échouant en 2012, Nicolas Sarkozy a rebattu les cartes de la stratégie et du leadership. La stratégie de la droitisation n’est pas la recette miracle, et le leader de 2007 n’est plus le cheval gagnant assuré. Les doutes sur Nicolas Sarkozy sont d’autant plus importants que les affaires judiciaires sont loin d’être closes. C’est d’ailleurs ce qu’a mis en avant Jean-François Coppé, le grand rival de Nicolas Sarkozy, en soulignant que lui-même ne pourrait pas être candidat s’il était mis en examen, ce qui est une manière subtile de rappeler que Nicolas Sarkozy est lui-même dans ce cas.

Dans ce contexte, la porte est aujourd’hui ouverte à ceux qui veulent tenter leur chance. Deux grandes stratégies sont possibles : celle de la droitisation incarnée par Nicolas Sarkozy et celle de la modération portée par Alain Juppé. A son tour, cette lutte au sommet ouvre la porte à d’autres candidatures par une sorte d’effet boule de neige : puisque d’autres y vont, pourquoi ne pas tenter sa chance ?

Guillaume Tabard : Effectivement, le paradoxe des primaires c'est que sur le fond, les positions des différents candidats tendent naturellement à converger. Sur les questions économiques par exemple, même s'il existe des nuances, tous prônent un report de l'âge de la retraite, une réduction des dépenses publiques, une baisse des charges, etc. Sur l'Europe, ils sont tous d'accord sur la fin de Schengen et sur la nécessité d'inventer quelque chose d'autre. Sur l'immigration, ils prônent tous plus de fermeté. Les divergences notables entre les candidats se constatent plutôt sur les intonations, sur l'accent mis par les uns par les autres sur des thématiques différentes. Ils ont peu ou prou les mêmes propositions, mais ne mettent pas les mêmes en avant. Par exemple, Nicolas Sarkozy veut donner une tonalité de rupture à son discours quand Alain Juppé veut se présenter comme plus consensuel. Ils ne présentent donc pas leurs propositions de la même manière et n'insistent pas sur les mêmes thématiques.

Sur les questions sociétales – PMA, GPA, adoption et mariage homosexuel – il existe effectivement un clivage car des candidats comme Hervé Mariton ou Jean-Frédéric Poisson veulent abroger la loi Taubira quand d'autres comme Nicolas Sarkozy, Alain Juppé ou encore les candidats pas encore déclarés comme Bruno Le Maire ou Nathalie Kosciusko-Morizet sont en définitive favorables à ces réformes. François Fillon de son côté a redit au Conseil national des Républicains qu'il était en faveur d'une réécriture de la loi Taubira en ce qui concerne le volet "filiation". Je crois que ces sujets représentent un véritable enjeu pour une partie non négligeable des électeurs de la droite, mais pas pour la plupart des ténors des Républicains candidats à la primaire. Pourtant, quand Laurent Wauquiez ou Hervé Mariton parlent de réécrire la loi Taubira, ils sont très applaudis, ce qui montre qu'il peut y avoir un décalage sur ces questions entre les attentes des militants et de l'électorat de droite, et les personnalités qui se veulent leurs représentants. On remarque d'ailleurs que le réel clivage aujourd'hui n'est plus sur le mariage ou l'adoption des couples homosexuels, mais sur la Gestation Pour Autrui (GPA). Nicolas Sarkozy a eu dans son discours de dimanche des mots très forts sur la politique familiale et s'est déclaré opposé radicalement à la GPA, n'évoquant volontairement pas la Procréation Médicalement Assistée (PMA) qui soulève pourtant des problèmes connexes pour ses détracteurs.

Existe-t-il de réelles divergences idéologiques sur les questions économiques ou sur l'immigration au sein des Républicains ? Ou alors s'agit-il seulement de débats de pure sémantique ?

Vincent Tournier : Les divergences idéologiques ne sont pas négligeables puisque le parti Les Républicains couvre un large spectre politique. Plusieurs sensibilités coexistent : libérale, chrétienne, gaulliste, etc. Les candidats à la primaire espèrent incarner ces différents courants : Michèle Alliot-Marie entend représenter la tendance gaulliste, Nadine Morano et Jean-Frédéric Poisson veulent incarner la tendance chrétienne, François Fillon se positionne sur le créneau du libéralisme thatchérien, Jean-Christophe Lagarde veut porter la sensibilité centriste, etc. 

Cela étant, les différences restent limitées. Lorsqu’une compétition interne a lieu, les candidats ne peuvent pas aller trop loin sous peine de menacer la cohésion de leur mouvement. Cela ne les empêche pas de se démarquer en jouant sur les curseurs, en modifiant sensiblement les différents dosages du corpus idéologique. Les différences sont parfois minimes, mais elles sont suffisantes pour créer des points de divergence et faire passer des messages aux cadres et aux militants du parti. Le but est de trouver des soutiens. Les ténors sont d’ailleurs face à des choix difficiles. Chacun doit se positionner, en sachant que l’on peut perdre beaucoup si on choisit le mauvais cheval, ce qui incite à ménager toutes les issues. Les ralliements reposent moins sur des considérations idéologiques que sur des logiques de fidélité ou, au contraire, d’hostilité. Un exemple intéressant est Jean-Pierre Raffarin : il vient d’annoncer son ralliement à Alain Juppé, ce qui correspond au choix le plus facile pour lui car cela lui permet de rester cohérent avec sa ligne centriste. Mais n’y a-t-il pas aussi de sa part une volonté de revanche face à Nicolas Sarkozy pour son manque de soutien dans sa tentative de prendre la présidence du Sénat ? En même temps, Jean-Pierre Raffarin multiplie les déclarations favorables à Nicolas Sarkozy car il doit aussi préserver l’avenir.

Guillaume Tabard : Il n'y a pas de réelles ruptures idéologiques. Le débat sur le fond est secondaire dans cette élection. Aucun des candidats n'a de programme qui soit foncièrement incompatible avec celui des autresNicolas Sarkozy va reprocher à Alain Juppé d'avoir un ton trop centriste, d'être trop conciliant avec la gauche ; Alain Juppé va accuser Nicolas Sarkozy d'être trop brutal, trop clivant. Ils se démarquent donc plus sur des effets de tribune ou sur des postures que sur le contenu de leurs propositions.

Si la multiplicité des candidatures ne repose pas sur la variété des lignes politiques, comment expliquer que tant de candidats souhaitent se présenter ? La compétition se fera-t-elle donc entre les personnalités et l'expérience des candidats ?

Vincent Tournier : La multiplication des candidatures doit beaucoup à la crise du leadership que traverse la droite. L’absence d’un leader incontesté encourage les aventures individuelles. Que risque-t-on à tenter sa chance ? Les mesures de rétorsion sont limitées, surtout pour ceux qui ont déjà des mandats électoraux et ont la possibilité de se replier sur leur fief. Inversement, une candidature peut rapporter gros. Les chances de succès sont certes minimes pour la plupart des candidats, mais en se présentant aux primaires, ils peuvent espérer gagner en notoriété, prendre date pour la suite et, éventuellement, négocier des places dans un futur gouvernement.

Cela dit, il ne faut pas sous-estimer les clivages politiques, lesquels sont susceptibles de s’amplifier pour deux raisons. La première n’est autre que la multiplication des candidatures, laquelle produit des effets complexes sur les stratégies des candidats avec des phénomènes d’imitation et de démarcation. C’est ce que l’on observe en comparant les projets d’Alain Juppé, de Nicolas Sarkozy et de François Fillon : si certaines propositions reviennent dans les différents projets, comme l’abolition de l’ISF, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux ou le contrôle des frontières, d’autres sont plus ou moins différentes car il faut bien se démarquer de ses rivaux.

La seconde raison est que le contexte européen et international est aujourd’hui très tendu. Des questions majeures sont en jeu. L’avenir même de l’Union européenne n’est pas assuré, d’autant que la crise économique n’est pas derrière nous. On voit aussi monter des périls considérables avec la crise migratoire et le retour des ambitions de certains pays comme la Russie ou la Turquie, sans oublier les risques d’attentat qui sont manifestement élevés. Les candidats risquent donc de devoir ajuster leurs positions, d’autant qu’ils devront aussi tenir compte des propositions de l’autre bord, lorsque François Hollande entrera en campagne.

Guillaume Tabard : La compétition se fera sur plusieurs critères. Il y a d'abord bien sûr la question de la personnalité du candidat et de l'affection qu'il peut susciter. Par ailleurs, malgré un accord des différents candidats sur le corpus global du projet, ils vont néanmoins s'efforcer de faire ressortir leurs spécificités et les nuances qui leur sont propres. François Fillon va par exemple certainement se montrer plus radical en matière de réformes économiques. Nicolas Sarkozy va sans doute opter pour une ligne plus intransigeante sur les questions de laïcité.

Un autre élément déterminant sera la stratégie électorale élaborée par le candidat, qui aura à l'évidence un impact important sur la ligne politique du candidat. Les divergences stratégiques sont importantes au sein des Républicains, entre ceux qui se donnent pour objectif de rallier à eux les déçus de la droite passés au FN et ceux qui visent plutôt les électeurs du centre-gauche. Encore une fois, ils vont jouer sur la tonalité de leurs discours et sur les thématiques mises en avant pour tenter de rallier à eux ce qu'ils considèrent être leur électorat. 

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