La Chine réduit de plus en plus son exposition au dollar… mais voilà pourquoi la dédollarisation du monde n’est pas pour demain<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Photo d'illustration
Photo d'illustration
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Dédollarisation

La Chine veut réduire son exposition au dollar pour motif géopolitique. Elle réduit en sifflet sa détention de titres du Trésor US pour ce faire. Le mouvement s'est accéléré récemment.

Denis Ferrand

Denis Ferrand

Docteur en économie internationale de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, Denis FERRAND est Directeur Général de Rexecode où il est notamment en charge de l’analyse de la conjoncture de la France et des prévisions macroéconomiques globales. Il est également vice-Président de la Société d’Economie Politique. Il est membre du Conseil National de l’Industrie et du Conseil d’Orientation pour l’Emploi au titre de personnalité qualifiée. Chroniqueur pour Les Echos, il est chargé du cours d’analyse de la conjoncture à l’Institut Gestion de Patrimoine de l’Université Paris-Dauphine et pour le Master APE de l’université Paris-Panthéon Assas.

Voir la bio »

Atlantico : La Chine veut réduire son exposition au dollar et réduit en sifflet sa détention de titres du Trésor US pour ce faire. Comment s’y prend-elle exactement ?

Denis Ferrand : C’est difficile à dire. En particulier car il y a certainement des artifices qui brouillent les chiffres. Il est possible que la Chine utilise des sociétés de clearing. Brad Setser, spécialiste du sujet des mouvements internationaux de capitaux, avait constaté que lors de moments de baisse de détention directe, on observait une hausse des détentions passant par la Belgique. Des résidents chinois passent par des sociétés belges pour acquérir des titres. Donc il ne faut pas surinterpréter les chiffres et leur magnitude, mais plutôt s’intéresser au rationnel que l’on peut imaginer derrière ces mouvements.

Par ailleurs, il faut distinguer deux périodes : celle où fonctionnait un système économique de facto appelée la « Chimerica », jusqu’au début des années 2010, et la période actuelle. La « Chimerica » était au cœur de ce qu’Alan Greenspan avait appelé le « conundrum », puisqu'il ne comprenait pas pourquoi les taux ne remontaient pas aux Etats-Unis. La raison en était que l’excédent que la Chine dégageait de ses échanges commerciaux avec les Etats-Unis était recyclé, aux Etats-Unis, en achats de bons du trésor. Cela maintenait une pression à la baisse sur les taux et permettait aux Etats-Unis de continuer à déclencher une boucle d’endettement ce qui, en retour, permettait d’approfondir le marché à l’importation des produits chinois. La Chine a ainsi détenu jusqu’à 12% des bons du trésor émis par les Etats-Unis. Elle n’en détient plus désormais qu’un peu moins de 4%, signe que nous avons vraiment changé de période. Cette première période avait un rationnel économique visant à maintenir la profondeur d’un marché fondamental pour Pékin. Les Chinois avaient un impératif clair dans les années 2000 : croître le plus vite possible avant de devenir vieux. 

Est-on passé d’un rationnel économique à un rationnel géopolitique ?

Plusieurs évènements ont changé la donne entre-temps. En 2016, il n’y avait aucune différence de programme entre Hillary Clinton et Donald Trump concernant la politique commerciale à mener vis-à-vis de la Chine, même si le ton était différent. Pendant toute la période pré-Covid, les préoccupations étaient de déterminer quelles sanctions économiques porter vis-à-vis de la Chine. Cela a été les premiers coups de canif à la Chimerica. Désormais, s’ajoute à cela une dimension géopolitique qui tient à la montée des tensions entre les deux pays. Et les sanctions à l’encontre de la Russie qui se traduisent par des blocages des actifs dans les pays occidentaux montrent à la Chine ce qu’elle pourrait risquer de la part de son principal adversaire. Il est possible que la géopolitique l’emporte désormais sur l’économique.

Quelles peuvent être les conséquences de cette réduction de l’exposition au dollar ? Pour la Chine ? Pour les USA ? Pour les européens ?

Ce sont les européens qui se sont principalement substitués à la Chine dans l’achat de bons du trésor par les non-résidents. Mais au total la part de titres détenue par les non-résidents a fortement baissé en retombant de 44 % de l’encours de l’ensemble des titres du Trésor américain au début des années 2010 à 27,5 % désormais. Ce sont les autorités monétaires qui se sont substituées à ce rôle de financeur du Trésor américain afin de maintenir les taux d’intérêt bas. Le mouvement de retrait peut d’autant mieux se faire que jusqu’à présent les Etats-Unis ont bénéficié d’un substitut favorisant ce processus.

Les tensions autour des monnaies montrent ce qui relève pour l’instant d’une intention en particulier au sein de nombreuses économies émergentes qui consiste à diminuer leur dépendance au dollar. Une « dédollarisation » est revendiquée par des pays émergents qui cherchent  à se passer du dollar dans tous ses attributs internationaux : monnaie de réserve, de règlement et monnaie de constitution de ressources. La monnaie est l’instrument de la puissance par excellence et elle est le reflet des tensions géopolitiques et de la constitution de blocs.

Si les Chinois décidaient de vendre tous leurs bons du trésor d’un seul coup, comme l’ont fait les Russes en 2018, cela signifierait que 4% des titres du trésor américains seraient de retour sur le marché, ce qui entraînerait des turbulences. Mais ce scénario est irréaliste car cela fragiliserait l’ensemble du système financier qui entraînerait une perte de valeur dont la Chine, qui est une économie à épargne nette positive, serait l’une des principales perdantes. Donc la Chine n’a aucun intérêt  à vendre brutalement ses bons du trésor, mais plutôt à les vendre en sifflet comme elle le fait actuellement. Toutefois, les Etats-Unis sont une économie en déficit courant et l’excédent de dépenses a le même effet qu’une reconnaissance de dettes vis-à-vis de l’étranger. Les Américains ont besoin d’avoir, en permanence, un flux d’épargne mondial sur leur territoire. Ils doivent donc pouvoir continuer à percevoir cette épargne, sous peine de turbulences.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !