"L’Europe unifiée par l’Ukraine" : le sommet européen a-t-il confirmé les propos de Volodymyr Zelensky ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Volodymyr Zelensky à Bruxelles le 9 février.
Volodymyr Zelensky à Bruxelles le 9 février.
©JOHN THYS AFP

Unie dans l'adversité

Les chefs d’Etat et de gouvernements étaient réunis à Bruxelles pour discuter non seulement de l’Ukraine mais aussi des sujets majeurs pour l’Europe comme l’immigration, la réindustrialisation, ou la souveraineté économique. Se sont-ils montrés unis sur ces fronts ?

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini est consultant en Affaires européennes, enseignant à l’ESCP Business School et au Corps des Mines.

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Atlantico : Dans son discours au parlement européen, le président Zelensky a salué l’unité et la force de l’Union européenne, renforcées par leurs actions de soutien à l'Ukraine. L’Europe ressort-elle plus unifiée de ce conflit ?

Yves Bertoncini : La guerre en Ukraine confirme que les Européens sont « unis dans la diversité », mais plus encore unis dans l’adversité : c’est la peur de Staline qui a permis de lancer la construction européenne à l’ouest de notre continent, puis la joie mêlée d’anxiété générée par la chute du mur de Berlin qui a conduit à créer l’Union européenne et l’euro.

Peu d’acteurs auraient néanmoins pu prévoir que l’Union européenne parviendrait à réagir de manière aussi cohérente et somme toute rapide à l’invasion russe de l’Ukraine, à la fois pour sanctionner l’agresseur et pour faire preuve de solidarité politique, financière, humanitaire et militaire avec les Ukrainiens. Les compromis sont parfois durs à forger pour certaines décisions, et le front commun des Européens n’empêche pas les combats de se poursuivre – mais l’unité européenne est suffisamment claire et manifeste pour que le Président Zelensky s’en félicite, alors que ce doit être plutôt une mauvaise surprise pour Poutine...

Cette unité n’est pas si étonnante si l’on prend la mesure des enjeux existentiels liés à cette guerre par procuration : une majorité d’Européens estiment que si la Russie gagne en Ukraine, ils seront les prochains sur la liste, et ils voient bien par ailleurs que Poutine s’en prend au mode de vie démocratique européen et occidental, au-delà de son invasion de l’Ukraine. Le défi des prochains moins pour les Européens et de maintenir une telle unité, malgré les différences qui s’expriment ici ou là en fonction des enjeux, notamment en matière énergétique et militaire.

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Outre le sujet Ukrainien, le Conseil européen extraordinaire portrait aussi sur la situation économique dans l'UE, notamment sur les questions industrielles, la souveraineté économique, mais aussi le sujet des migrations, et de l’immigration illégale, du contrôle des frontières, etc. Sur tous ces sujets qui étaient au cœur de l’ordre du jour du Conseil européen, où en est vraiment l’unité de l’Europe ?

Yves Bertoncini : Le large accueil des réfugiés ukrainiens dans nombre des pays de l’Union européenne pourrait presque faire oublier que les défis migratoires divisent les Européens depuis au moins une décennie. La lutte contre l’immigration illégale est certes consensuelle, mais plus difficile à réussir qu’à proclamer, y compris s’agissant de la mise en œuvre des accords passés avec les pays de départ ou de transit. Quant à l’immigration légale, elles séparent les pays et dirigeants qui perçoivent les migrants comme des ressources et les demandeurs d’asile comme des victimes d’une part, des pays et dirigeants qui voient l’immigration comme une menace économique et identitaire d’autre part. Il suffit de relire le contrat de coalition allemand de 2022 et d’écouter les diatribes de Victor Orban pour constater que cette division n’est pas près d’être résorbée, y compris parce que l’immigration est fréquemment utilisée à des fins électoralistes… 

Les débats sur la souveraineté économique et industrielle des Européens sont devenus plus vifs suite à la pandémie née en Chine et à l’invasion russe de l’Ukraine. Ces deux chocs successifs nous forcent en effet à clarifier notre vision de ce que nous devrions produire en Europe, sans dépendre d’approvisionnements qui nous rendent vulnérables, surtout quand ils émanent de pays devenus hostiles – on l’a bien vu avec les hydrocarbures russes. La stratégie américaine de soutien aux entreprises nationales engagées dans la transition écologique et énergétique a encore avivé ce débat, en faisant craindre une concurrence déloyale vis-à-vis des Européens et la fuite des investisseurs vers les USA – d’où les propositions soumises par la Commission en amont de ce Conseil européen afin d’aider les entreprises et industries de notre continent (sous la forme d’un « Green deal industrial plan »).

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Le problème majeur est que les Européens abordent ce défi économique en ordre très dispersé. La France cumule ainsi un déficit commercial et un déficit d’industrialisation record, qui la conduisent instinctivement à promouvoir des mesures d’aides financières et une forme de protectionnisme dont la plupart de ses partenaires ne veulent pas, dès lors qu’ils affichent des performances commerciales et industrielles bien supérieures. Une majorité des pays de l’UE préféreraient que la France et les autres pays de l’UE en difficulté traitent les racines nationales de leurs problèmes plutôt que de s’engager dans une augmentation des aides à l’industrie qui nourrira une concurrence faussée entre Européens tout en creusant les déficits – sans oublier qu’elle engendrera une course aux subventions avec les Américains à l’heure où la guerre en Ukraine appelle à entretenir la cohésion transatlantique.

Nul doute que des mesures seront prises par les Européens au cours des prochaines semaines pour renforcer la transition écologique et consolider notre base industrielle, mais ce sera au prix de discussions et de négociations qui devraient être rudes, et dont le résultat sera sans doute mitigé – au pire, on laissera les pays de l’UE accorder encore d’avantage d’aides d’Etat à leurs entreprises, tout en veillant à ne pas nourrir la concurrence déloyale entre Européens, alors qu’il s’agirait d’investir davantage ensemble via des fonds communs.

Quels sont les sujets sur lesquels l’unité européenne laisse encore le plus à désirer ?

Yves Bertoncini : A l’heure de la guerre en Ukraine, il semble que l’unité européenne face à Moscou soit renforcée, même s’il faudrait reconnaître plus clairement en France le rôle irremplaçable de l’OTAN face à la menace russe, en cantonnant la promotion d’une « Europe de la défense » à d’autres terrains d’opération, notamment au Sud de l’Europe – quand bien même elle devrait à terme servir ailleurs…

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Les Européens doivent par ailleurs affiner leur positionnement face aux tensions sans cesse croissantes entre Chine et USA : nous ne sommes pas à mi-distance, clairement plus proches des Américains, mais sans vouloir cependant être entrainés dans une croisade antichinoise. Les Européens sont plus ou moins d’accord là-dessus, mais il va falloir préciser ce que cela signifie du point de vue de nos politiques commerciales, industrielles, environnementales etc.

Plus fondamentalement, l’unité européenne a progressé sur le registre de l’affirmation d’une souveraineté commune, mais nombre d’Européens considèrent que la taille de notre continent (le plus petit des cinq) et son déficit de matières premières et de ressources humaines doivent nous inciter à maintenir une ouverture au monde qui nous est indispensable et bénéfique. Cette nécessité d’ouverture n’est pas forcément compatible avec le discours souverainiste et terrien porté par les autorités françaises, qui peuvent parfois donner à penser que tout devrait être produit ou « relocalisé » chez nous – ce « chez nous » étant alternativement la France ou l’Europe...

Ce dilemme sur le degré d’ouverture au monde renvoie à celui qui structure et avive les débats sur l’identité européenne, lesquels divisent de manière nette les promoteurs d’une Europe multiculturelle et diverse et les défenseurs d’une Europe blanche et chrétienne – ces derniers ayant vu grossir leurs rangs avec l’avènement récent de Georgia Meloni en Italie.

Last but not least, la promotion d’un « Pacte vert » accélérant la transition écologique de notre continent est certes la principale priorité de l’Union européenne, mais chacun de ses volets est porteur de controverses et d’oppositions substantielles entre pays de l’UE et en leur sein (on l’a encore vu récemment sur l’usage prohibée des néonicotinoïdes) : elle va donc elle aussi continuer à mettre à l’épreuve la « machine à compromis » bruxelloise et strasbourgeoise au cours des prochains semestres.

Que garder, en définitive, de ce Conseil européen extraordinaire ?

Yves Bertoncini : Ce Conseil européen extraordinaire restera surtout mémorable en raison des images et discours liés à la visite de Volodymyr Zelensky, qui n’était pas prévue initialement. Pour le reste, il aura eu le mérite d’ériger en priorité le nécessaire renforcement de la stratégie industrielle des Européens, pour lequel l’essentiel reste cependant à faire, et ce dès le prochain Conseil européen ordinaire des 23 et 24 mars…

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