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Joe Kennedy III, l’hériter qui fait fantasmer un parti démocrate avide de revanche
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Dynastie

Joe Kennedy prononcera mardi la réponse des Démocrates au discours annuel sur l'état de l'Union du président républicain Donald Trump. Rejeton d'une prestigieuse lignée, le petit-fils de Robert Kennedy et petit-neveu de l'ancien président John F. Kennedy a-t-il l'envergure pour devenir un rival sérieux du président actuel ?

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Donald Trump prononcera son discours sur l'Etat de l'Union ce mardi 30 janvier, et dont la contradiction démocrate sera portée par Joe Kennedy, petit neveu de l'ancien Président des Etats-Unis. Quelles sont les forces et les faiblesses de cet homme de 36 ans ? Pourrait-il devenir le "recours" démocrate face à Donald Trump, et quels pourraient être ses rivaux ?

Jean-Eric Branaa : La force de Joe Kennedy est d’abord dans son nom. Qui ne connaît pas le nom de Kennedy aux Etats-Unis ?

Il est donc formidablement servi par sa lignée puisqu’il est le petit-neveu du 35ème président, John Fitzgerald Kennedy, qui a été assassiné à Dallas le 22 novembre 1963. Depuis l’an 2000, JFK est régulièrement classé comme le président préféré des Américains dans leur histoire, même devant George Washington, Abraham Lincoln et Ronald Reagan. Il avait été élu à 43 ans seulement, faisant de lui le plus jeune président du pays.

Le grand-père direct de Joe Kennedy, Robert –ou Bob– Kennedy, est tout aussi apprécié que son frère. Il a été assassiné le 6 juin 1968, alors qu’il venait d’être investi candidat pour le parti démocrate et qu’il était grandissime favori pour succéder à Lyndon B. Johnson.

 Le premier a été le champion de l’immigration, et de la lutte contre la pauvreté et le second a ététrès impliqué dans la lutte pour les droits civiques, elle-même portée par Martin Luther King. On peut ajouter l’oncle de Joe, Ted, qui a porté à bout de bras son projet d’assurance santé universelle « à la française », aujourd’hui largement reprise par Bernie Sanders.

C’est une lignée prestigieuse sur laquelle Joe peut s’appuyer. Cela ne fait pas une carrière pour autant et il lui faut maintenant briller à son tour dans un domaine qui lui reste à définir. Il a été brillamment réélu dans le Massachusetts en 2014 et 2016, après l’avoir emporté une première fois en 2012 et son implication dans beaucoup de dossiers sociétaux à été remarquée. Il est un clone de ses prestigieux aînés en cela qu’il a fréquenté de grandes universités et a décroché des diplômes de très haut niveau. Par ailleurs c’est un sportif accompli qui excelle dans un sport très prisé dans les université américaine (et totalement inconnu chez nous) : la crosse.

Les républicains aimeront chez lui son sens des valeurs familiales. Il n’a pas hésité à renoncer à aller voter en faveur du Shutdown, comme le lui demandaient les cadres de son parti, pour rester auprès de son épouse qui accouchait de leur deuxième enfant. Bref un jeune homme « bien sous tout rapport ». Mais en est-on surpris s’agissant d’un Kennedy ?

Sa faiblesse est son inexpérience car, même s’il effectue son troisième mandat comme député, il n’a pas eu de mandat d’envergure nationale, n’a jamais été sénateur et a même refusé de concourir cette fois-ci pour tenter de rafler le poste de gouverneur de son Etat, le Massachusetts. Va-t-il se raviser maintenant qu’il est sous les feux de l’actualité ? Certains lui en donneront certainement le conseil au sein de son parti.

Le parti démocrate a-t-il intérêt à se reposer sur la dynastie Kennedy alors même que Hillary Clinton était déjà perçue comme le symbole de l'establishment" ​qui a pu lui valoir sa défaite ? 

Cette question connaît des « variations saisonnières » : Il y a encore quelques mois, j’aurais répondu non sans aucune hésitation car, en réalité, les Américains ont montré récemment qu’ils étaient fatigués des dynasties. Il faut dire que l’affiche qui était annoncée pour la dernière élection était le pire cauchemar de la majorité d’entre eux, puisqu’on annonçait un combat entre Bush et Clinton, des noms qui sont dans le paysage politique depuis… 1980 !C’est en effet la date de la première élection de George Bush Sr. à la vice-présidence des Etats-Unis. Depuis, les Bush ont toujours été là avec l’élection de George H. à la présidence en 1988 puis celle de son fils, George W. en 2000 et 2004.

La lignée semblait ne pas s’éteindre puisqu’en 2016–alors que Jeb Bush se lançait en campagne–, on annonçait déjà que le fils du 43ème président, George Bush III se faisait élire à un poste local au Texas. Ça en était trop pour les Américains qui demandaient un peu de renouvellement.

Car côté démocrate, ça n’était pas mieux, avec une présence des Clinton depuis 1992, date de la première élection de Bill à la présidence. A dire vrai, seule la présidence Obama a constitué une parenthèse dans cette transmission du pouvoir entre les deux familles. Mais, durant cette période, Hillary n’était pas très loin : sénatrice de New York, puis ministre des Affaires étrangères, on la voyait également beaucoup dans les médias.

Alors, oui, cette idée d’un pouvoir contrôlé et même verrouillé par l’establishment a fini par s’imposer et par être rejeté très vigoureusement. Il fallait donc un changement profond pour satisfaire ce peuple. Or, en guise de changement, on a été servi.

Et c’est bien cette donnée qu’il faut maintenant appréhender pour être complet dans la réponse. Car, étonnamment, l’émergence de Joe Kennedy est bien perçue et semble même rassurer l’électorat. Cela s’explique assez aisément en réalité : le parti démocrate s’est lancé dans une opposition folle à Donald Trump et a négligé de faire monter des « jeunes pousses », capables d’apporter le moment venu une contradiction crédible. Or, il reste moins de trois ans maintenant avant l’élection, c’est-à-dire à peine un an et demi avant que toute la machinerie électorale ne se remette en branle. C’est donc quasiment trop tard pour faire un tel travail. Le Parti démocrate n’aura peut-être pas d’autre choix que de sélectionner soit une « grand ancien », comme Joe Biden, Elizabeth Warren ou Bernie Sanders, qui sont tous déjà très âgés, soit de se tourner vers quelqu’un qui possède déjà un nom identifié au plan national. Et ça, ils n’en n’ont aucun à l’heure actuelle. La marque Kennedy pourrait donc bien reprendre du service…

​Quel pourrait être le portrait robot d'un opposant idéal pour Donald Trump ? Joe Kennedy peut-il correspondre à un tel profil ? ​

L’opposant idéal de Donald Trump ne doit surtout pas être un clone du 45ème président. L’erreur de Clinton a été de se comporter en lutteuse, alors que ce président aime la castagne et qu’il ne se défile jamais quand il s’agit de s’affronter rudement à son adversaire. Pour battre Donald Trump, il faut le déstabiliser et pour arriver à un tel résultat, il n’y a qu’une seule voie : il faut pouvoir dérouler des arguments et l’inviter à faire de même. Encore une fois, ce n’est pas une chose facile car l’homme est habile et très fort tant en débat que pour s’exprimer devant une foule. C’est un tribun et il sait retourner une salle avec quelques réflexions, un trait d’humour, une moquerie ou, comme il l’a maintes fois montré -, par la provocation. Il faut donc avoir le cuir solide et un mental d’acier pour pouvoir affronter un tel adversaire.

Ce qui n’est pas anodin, Donald Trump est un stratège, qui emmène son adversaire dans un recoin du débat, avant de brutalement changer de cap ou carrément de rebrousser chemin. Cette capacité à sans cesse évoluer dans le débat ou dans les attitudes, a horripilé la plupart de ses adversaires : ils finissent tous par l’insulter, le traiter de fou ou par jeter l’éponge. Et ils sont broyés par cette machine et disparaissent alors que Donald Trump poursuit son œuvre de destruction en les insultant encore copieusement, même après les avoir défait. Il dit aussi tranquillement qu’il les adore, qu’ils sont très intelligents et même ses meilleurs amis une fois qu’il a acquis la certitude qu’il ne risque plus rien de leur part.

Alors Joe Kennedy peut-il être le chevalier qui va terrasser ce dragon ? C’est encore un peu tôt pour le dire et la jeunesse de Joe Kennedy pourrait en faire douter. Mais il est sûr que le président Macron a beaucoup intrigué et intéressé les Américains. Le président Trump lui-même a vanté son homologue français à plusieurs reprises et, se faisant, il a crédibilisé une candidature d’un homme aussi jeune. C’est ce qui a manqué à des hommes contre Scott Walker, gouverneur du Wisconsin ou Bobby Jindal, gouverneur de la Louisiane lorsqu’il se sont frottésau candidat le plus atypique depuis longtemps en 2015. Alors, avec le soutien de son parti, une opposition plus calme et plus canalisée et beaucoup de chance, aussi, il faut le reconnaître, oui, tout est possible.

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