Jean-Paul Belmondo, itinéraire d’un enfant gâté<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Pierre Foucault, Vanessa Paradis, Lio, Jean-Paul Belmondo, Richard Anconina, Claude Lelouch et Nicole Croisille posent le 23 novembre 1988 lors de l'enregistrement d'une émission à Paris.
Jean-Pierre Foucault, Vanessa Paradis, Lio, Jean-Paul Belmondo, Richard Anconina, Claude Lelouch et Nicole Croisille posent le 23 novembre 1988 lors de l'enregistrement d'une émission à Paris.
©GEORGES BENDRIHEM / AFP

Bonnes feuilles

Bernard Pascuito publie « Belmondo entre deux vies » aux éditions Robert Laffont. Jean-Paul Belmondo aura incarné jusqu'au bout une certaine jeunesse, à la fois désinvolte et rebelle, le charme talentueux, l'art et la légèreté. Extrait 2/2.

Bernard  Pascuito

Bernard Pascuito

Bernard Pascuito est journaliste et éditeur. Il a notamment été reporter, puis rédacteur en chef à France dimanche. En 2004, il a fondé sa propre maison d'édition.

Biographe, il a publié des ouvrages sur des célébrités diverses, parmi lesquels : Gainsbourg, le livre du souvenir (Sand, 1991), Coluche, toujours vivant (Payot, 2006) ou Dalida, une vie brûlée (l'Archipel, 2007).

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Belmondo n’a jamais aimé les psychodrames, encore moins sur les tournages. C’est sans doute ce qui explique ses réserves sur Melville. Avec Lelouch, le risque était moindre. Même sur le tournage d’Itinéraire d’un enfant gâté, une grosse machinerie, chère et lourde à manier, l’ambiance serait jusqu’au bout à la bonne humeur. Au point de faire dire un jour à son réalisateur que c’est le film le plus facile qu’il ait jamais tourné. Le secret de Lelouch? En dehors de sa capacité à positiver sans cesse, une organisation très astucieuse. Ainsi, plutôt que de transporter à travers le monde toute une équipe composée de plusieurs dizaines de personnes, il voyageait avec un « commando » qui ne dépassait pas les douze éléments, acteurs compris, et engageait sur place les gens dont il avait besoin. Et puis, il ne s’annonçait pas, ne réservait rien à l’avance, partant du principe que lorsque vous annoncez la venue de Belmondo, de Lelouch, pour un film à gros budget soutenu financièrement par des producteurs américains, vous devez vous attendre à payer trois fois le prix.

Lelouch a d’autres qualités, la plus à double tranchant étant sans doute sa manière de laisser le champ libre à son intuition et, forcément, une grande liberté aux acteurs. Il est organisé, prévoit tout mais ne veut pas emprisonner ses comédiens dans un canevas imposé par sa propre volonté. Il leur accorde toujours une marge importante.

Trop importante, diront certains. Parce qu’il tient à sa propre intuition, il recherche celle des acteurs qui se retrouvent placés en régime de semi-liberté. À ce jeu, il est mieux de faire appel à des Belmondo, Girardot ou Trintignant, des comédiens d’immense talent, car il n’est pas difficile de tomber du fil. Ce qui n’empêche pas Lelouch d’utiliser régulièrement des nouveaux venus souvent décalés. Ainsi, dans Itinéraire d’un enfant gâté, on remarque Annie Philippe, ancienne chanteuse yé-yé des années 60 qui fut un temps la rivale de France Gall, et Jean-Philippe Chatrier (qui incarne le fils de Belmondo), dans la vie un jeune journaliste brillant qui avait alors commencé à collaborer avec Lelouch sur certains scénarios. Et l’une et l’autre s’en tirent remarquablement.

Cette manière de procéder explique que les acteurs aiment travailler avec lui, c’est certain; elle produit aussi des kilomètres de pellicule et impose un travail de montage impressionnant. Si Lelouch est heureux ainsi…

Belmondo était heureux lui aussi car tout en étant respectueux des directives de son réalisateur, il avait toujours eu des idées bien arrêtées sur son jeu. Avec un Lelouch, aucun problème pour faire coïncider les deux exigences.

Côté tourisme, ça peut compter parfois, l’équipe du tournage vit un enchantement. Son acteur vedette n’oubliera jamais les quelques jours passés sur l’île de Marlon Brando, à Tahiti, où se sont tournées toutes les scènes sur les oiseaux. Des milliers d’oiseaux venaient manger des poissons dans ses mains, et il ressemblait alors à l’enfant gâté le plus heureux du monde.

Au Zimbabwe, il s’est mêlé aux lions, suivant dans la savane une vraie lionne sauvage. Pas de trucage. Il était on ne peut plus à l’aise au milieu des lions et loin des fauves parisiens.

Ce tournage lui faisait un bien fou. Sans verser dans la dépression – ce n’était pas vraiment son genre –, il avait nerveusement mal supporté l’année précédente. Après coup, il se rendait compte à quel point les mois de tension qui avaient précédé la première de Kean avaient été épuisants. Le travail, acharné, les moments de solitude, cet étrange trac qui s’était emparé de lui, longtemps avant, dont il n’avait jamais parlé à personne et qui n’avait pas disparu.

Au contraire, il s’était accru au fil des semaines. Dans les derniers jours avant la première, c’était devenu comme une douleur insoutenable. Pour la première fois de sa vie il avait peur à ce point-là, une peur presque panique. À quelques heures des trois premiers coups, il avait même été tenté de fuir. Monter dans sa voiture et quitter pour toujours ce théâtre Marigny où, c’était sûr et certain, il allait signer sa perte. Il était bien monté dans sa voiture et avait foncé devant lui mais il était revenu. Seule l’avait fait rebrousser chemin l’image de sa mère et de ses enfants. Qu’auraient-ils pensé de lui? Qu’aurait été leur honte ? Il ne pouvait pas se conduire en lâche. Au théâtre, personne n’avait su. Il s’était préparé comme si de rien n’était, mais la trouille au ventre ; et puis, au moment d’entrer en scène, tout avait disparu.

C’était son secret et sa douleur intime. Elle lui appartenait et lui appartiendrait toujours.

Cela avait laissé des traces. Il lui faudrait longtemps pour se remettre. Comme des courbatures à l’âme. Il n’était pas très en forme alors.

C’est aussi pendant les répétitions de Kean que s’était produite la rupture avec Carlos. Pas un mot plus haut que l’autre, du respect et de la liberté mutuelle, certes, mais six ans d’une belle entente ne s’effacent pas aussi facilement.

Il fallait bien la sérénité de Lelouch, les paysages qu’il offrait et sa présence jamais pesante pour apaiser celui que l’on croyait insubmersible et qui ne l’était pas tout à fait.

En tout cas, il avait pris à pleines mains le rôle de Sam Lion, se l’était approprié et en avait fait un rôle culte. Son dernier très grand rôle. Et un César du meilleur acteur pour fêter la chose. Bien sûr, il ne devait jamais venir chercher sa récompense. Il l’avait dit longtemps avant.

Le prétexte ? « Selon moi, le public est seul juge de la performance des acteurs. » La vraie raison est sans doute plus profonde et elle tient au refus d’avoir un jour à tenir la fameuse statuette dans sa main…

A lire aussi : Jean-Paul Belmondo, l’ami public numéro 1

Extrait du livre de Bernard Pascuito, « Belmondo entre deux vies », publié aux éditions Robert Laffont

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