Internet tue-t-il la créativité ou l'améliore-t-il ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Internet peut stimuler nos sens.
Internet peut stimuler nos sens.
©Reuters

Double tranchant

Internet est devenu le compagnon de nos vies. L'accès à une grande masse d'informations en quelques secondes depuis nos terminaux connectés nous pousse parfois à la fainéantise intellectuelle ou au contraire alimente le moulin de nos réflexions.

Laurence Allard

Laurence Allard

Laurence Allard est sociologue de l’innovation et ethnographe des usages des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle est également maîtresse de conférences en Sciences de la Communication, enseignante à l’Université Lille 3, et chercheuse à l’Université Paris-3, IRCAV (Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel). Elle travaille sur les pratiques expressives digitales (Web 2.0, remix, internet mobile), des thèmes «mobile et société», «politique technique et art/culture» ou la «culture des data». Elle est en particulier l’auteure de «Mythologie du portable» (Éditions Le Cavalier Bleu, 2010). Son dernier livre "Téléphone mobile et Création", publié aux Editions Armand Colin a été co-dirigé avec Laurent Creton et Roger Odin. 

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Atlantico : D'après l'étude "Connected Life" de l'institut TNS Sofres parue fin septembre 2014, un internaute français possède en moyenne plus de 4 appareils numériques (4,6). Il n'y a qu'à observer les gens dans les transports en commun: Internet est devenu compagnon de nos vies. Quel impact sur notre créativité ?

Laurence Allard : De fait, en prenant en compte le multi-équipement, le numérique en pratique peut se concevoir à travers cette combinaison d'écrans, de services, d'applications et de fonctionnalités qui glissent parfois d'un terminal à l'autre tout au long d'une journée. Comme par exemple commencer un brouillon de réponse à un mail en mobile et le rédiger plus soigneusement sur un ordinateur durant son temps de transport ou bien fureter sur des sites marchands depuis une tablette que l'on peut visionner à plusieurs et finaliser l'achat sur son ordinateur. Au sein de cette panoplie propre à chacun, que l'on confectionne suivant ses contraintes financières, appétences et compétences pour le numérique, le mobile occupe une place centrale et peut être en effet désigné comme compagnon d'existence. "Mettre toute sa vie là dedans" est une expression qui revient souvent dans les verbatims des usagers que j'interroge.

Le mobile fait ainsi office de "topique de la subjectivité". Conçu pour téléphoner à distance, il est usité également pour communiquer avec soi-même, comme un médium de notre intérieure. Il permet d'exprimer sous une forme composée par nos soins sentiments, affects, opinions. Et dès lors que l'on comptabilise (Union Internationale des Télécoms) quasi 7 milliards d'humains connectés aux réseaux mobiles, un support d'expression au quotidien est usité par des milliards d'hommes et de femmes partout dans le monde. Ce qui est une nouveauté en soi.

Le numérique connecté constitue de la sorte d'abord une révolution de l'écriture quand l'imprimerie aura été associée à une révolution de la lecture. Une écriture dédramatisée proche de ce que Barthes a conceptualisé comme "écrivance" ie sans intentionnalité artistique ou littéraire mais qui suppose une créativité diffuse.

Contrairement à l'idée reçue que le numérique est aujourd'hui une culture de l'image conversationnelle ou de l'image connectée, la palette expressive est plus métissée que jamais avec des services et applications qui demandent d'agencer de façon singulière suivant la créative de chacun - ce qui est très injonctif, prescriptif et normatif car tout le monde n'est pas créatif et expressif par nature - des images, des dessins, des mots et parfois de jouer avec des temps de production/réception de ces messages comme avec Snapchat ou Vine. L'émoji comme mot-image est typique de cette écriture digitale créolisée.

On peut observer chez les plus jeunes, qui grandissent non pas devant des écrans mais avec des écrans qui sont tout autant des caméras et des stylos l'exercice de cette écriture métissée dans leur production continue d'images-textes et de mots-images tout au long d'une journée dans le cadre refermé de leurs établissements scolaires ou de leurs chambres.

 Ces micro-narrations dont la fonctionnalité "story" de Snapchat est assez emblématique - telles les petits cailloux numériques des petites poucettes qui assurent de la continuité dans un moment d'exploration identitaire - sont comparables au ready made de Marcel Duchamp qui transfigurait des objets du quotidien en oeuvres d'art.

Les plus jeunes se socialisant à travers ces écrans scripteurs vont théâtraliser leur existence, la transfigurer en photographies, en vidéos, en tweet et toutes les nuances d'images et de textes que l'on peut observer entre la photo devenant gif animé, le Vine devant image fixe en boucle. Soi dit en passant, à travers ces nuances entre le fixe et l'animé on voit poindre l'usage sonore des images tout à fait habituels dans les usages juvéniles. Ecouter Youtube est ainsi une pratique courante. Extraire une ritournelle d'une vidéo et l'entendre remixer tout autant. Ce goût de la boucle visuelle actuellement s'origine dans ces usages sonores du numérique, trop peu étudiés et pourtant si présents comme par exemple avec les notifications et vibrations. Je co-organise d'ailleurs un colloque les 3/4 décembre à Paris 3 avec l'IRCAV sur les"sons mobiles".

Des praticiens du numériques peuvent alors développer une intentionnalité artistique autour de ces écrans et de ces contenus. Le Seflie par exemple donne lieu à des expositions et des travaux des nouveaux créateurs digitaux qui oeuvrent par l'intermédiaire des applications en tout genre.

Ces pratiques artistiques autour du selfie sont intéressantes. Elles s'inspirent d'un genre vernaculaire qui cet autoportrait mobile et vont travailler sur ce genre en le réinventant.

Mais ce n'est pas ce qui est le plus frappant. Ce qui est le caractère de nouveauté à mettre en avant c'est justement comment un genre comme le selfie est né avec ses codes -photos prises à la main ou avec une canne, inversion des hiérarchies entre avant-plan/arrière-plan - et comment les usagers ordinaires jouent créativement avec ces codes pour dire quelque chose du monde où il se trouve, avec qui, à quel moment. 

Propos receuillis par Adeline Raynal

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