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À l’automne 2022 et à la suite de la crise énergétique du printemps, deux contributions sur les « superprofits », ont été proposées par le Conseil Européen, votées par le Parlement français puis mises en œuvre par l’exécutif.
À l’automne 2022 et à la suite de la crise énergétique du printemps, deux contributions sur les « superprofits », ont été proposées par le Conseil Européen, votées par le Parlement français puis mises en œuvre par l’exécutif.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Impôt « exceptionnel »

À l’automne 2022 et à la suite de la crise énergétique du printemps, deux contributions sur les « superprofits », respectivement dans la production d’électricité (la CRIM) et les industries pétrolières (la CES), ont été proposées par le Conseil Européen, votées par le Parlement français, puis mises en œuvre par l’exécutif.

Laurent Bach

Laurent Bach

Laurent Bach est Directeur du programme « Entreprises » à l’Institut des Politiques Publiques, membre affilié de la Swedish House of Finance (Stockholm) et professeur associé de finance à l’ESSEC.

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Atlantico : Dans deux billets de blogs distincts publiés jeudi 30 mai pour le compte de l’Institut des Politiques Publiques, vous documentez et questionnez le rendement final de l'impôt sur les superprofits proposé par le Conseil Européen suite à la crise énergétique de 2022. Au regard de vos travaux, les rendements de cet impôt « exceptionnel » sont-ils à la hauteur des résultats attendus ?

Laurent Bach : Ce n’est malheureusement pas le cas notamment au regard des espoirs du gouvernement. Il s'agissait de récupérer 12 milliards d’euros et il en a été récupéré pour 2022 que 625 millions. Cela est vraiment très décevant. Cela a contribué aux difficultés budgétaires. Une autre contribution, sur les rentes des entreprises extractives de pétrole et aussi de raffinage, était porteuse d’espoir également pour le gouvernement qui comptait récupérer 200 millions. Les recettes ont atteint les 69 millions d'euros. D'un point de vue budgétaire, ces dispositifs ne sont pas à la hauteur des attentes du gouvernement mais aussi par rapport aux prévisions qui avaient été faites en 2022.

Comment expliquer de tels écarts et le faible rendement final de cet impôt exceptionnel ? Faudrait-il améliorer la prévision budgétaire en matière de taxation des super profits ? Y a-t-il eu des erreurs de méthodologie ou des difficultés conjoncturelles ?

Ces dispositifs fiscaux étant innovants, il y avait peu d'expérience du point de vue des observateurs et des contribuables eux-mêmes. Il n’y avait pas de certitude concernant le périmètre exact de la mesure et ses conditions d'application et de définition des bénéfices qui allaient entrer dans l'assiette. Juste avant le dépôt des déclarations fiscales, en mai 2023, plus de six mois plus tard après l’entrée en vigueur des mesures, il était possible d’avoir une vue bien plus précise des conditions d'application.

En réalité, ces conditions d'application se sont révélées plus restrictives dans leur interprétation que celles que nous faisions fin 2022. Il a été possible d’avoir une lecture plus large du périmètre avec une considération sur tout ce qui rentrait dans la définition du règlement européen et sur qui allait devoir contribuer et de manière plus restrictive ainsi que sur la façon dont les entreprises pourraient utiliser des pertes bien antérieures pour réduire l'assiette des superprofits de 2022. Cela a contribué à réduire les recettes anticipées de presque 80 %. Ce décalage est inévitable s'agissant d'un dispositif législatif fiscal inédit et récent.

Les conditions d'application vont pouvoir avoir un impact et en particulier quand il s'agit d'une taxe qui touche peu de grosses entreprises. Si certaines grosses entreprises entrent dans les critères et qu’elles ne sont pas en mesure de déduire une grande part de leur bénéfice, cela va avoir un effet très fort sur le rendement.

A la fin 2022, il y avait une vision précise de certains éléments du profit de ces entreprises pour 2022, en particulier les recettes qu'elles allaient faire, l'augmentation des recettes qui avaient déjà eu lieu à partir de février 2022. Il était facile pour nous d’observer et de quantifier le phénomène. Mais c'est un impôt sur les profits et pas sur les recettes. Pour définir les profits, il faut aussi, face à des recettes, savoir placer le curseur sur les charges correspondantes et se demander à quel point ces charges allaient aussi augmenter. On savait bien qu'elles allaient augmenter car un raffineur vend du pétrole raffiné mais il achète du pétrole brut qui a évidemment lui aussi augmenté en prix.

Nous avions fait l'hypothèse que le taux de marge, le taux de profit sur ces recettes, allait rester constant, que les charges allaient augmenter, mais aussi que les recettes passent plus vite. En réalité, elles ont augmenté presque plus vite que les recettes. Et le résultat est que les marges réalisées par les raffineurs en valeur absolue n'ont pas bougé. Ce qui pour la France effectivement a été sur le moment difficile à prévoir parce que les résultats trimestriels au niveau global d'une entreprise comme TotalEnergies montraient que les taux de marge étaient restés tout à fait décents sur la période et que donc évidemment les marges allaient augmenter. Cette augmentation n’a pas eu lieu en France, elle a eu lieu ailleurs, en particulier en Europe, en Belgique ou en Allemagne, mais pas en France. Cela a échappé à nos informations fin 2022. Les entités françaises de ces groupes ont finalement déclaré leurs comptes et il a été possible de voir cette évolution bien spécifique et élevée des charges et donc cette stabilité des marges dans le secteur spécifiquement en France.

Comme vous l'indiquez dans votre seconde publication pour l'IPP, la taxation des rentes est-elle rentable finalement ?

Cette taxation est exigeante. C’est une assiette idéale. Pourquoi ? Parce qu'en fait la rente est ce qui reste une fois que l’on a payé les efforts de tout le monde.

Ce qui est magnifique avec la rente c'est que les gens n'arrêtent pas de faire des efforts car leurs efforts ont été au préalable rémunérés. Il s’agit d’un l'impôt parfait, c'est celui que l'on prélève et qui ne change absolument pas le comportement des contribuables et de leur investissement. Si ces rentes existent, cela est vraiment une assiette parfaite. Le problème est que cela est difficile à mesurer. Cela ne peut pas se réduire à une définition purement comptable. Il s’agit de l'impôt sur les sociétés. Il ne s'embarrasse pas de distinguer la partie des bénéfices qui est inespérée et la partie qui rémunère justement les investissements préalables. En taxant tout, cela risque de réduire l'incitation à investir mais au moins cela rapporte. Ces deux choses se contrebalancent. Cela coûte aussi à notre économie mais cela rapporte.

L'avantage de l'impôt sur les sociétés par rapport à l'impôt sur les rentes est qu'il repose sur un bénéfice comptable que chacun peut facilement mesurer ou déclarer. Pour l'Etat, la rente est beaucoup plus compliquée. C'est un mélange de deux, c'est un mélange d'une définition comptable, celle qu'on a vu dans le cas présent des pétroliers, c'est-à-dire il faut tout ce qui dépasse de 20 % la moyenne des exercices antérieurs des quatre exercices antérieurs. Mais en réalité, la définition comptable ne suffit pas. Pourquoi quatre années antérieures ? Pourquoi pas cinq ? Pourquoi pas six ? Pourquoi pas sept ? S’il y a une année qui est meilleure que les autres, il y a aussi des années qui sont moins bonnes. Il n’est pas possible de s'en sortir sans avoir des éléments additionnels.

Cet élément additionnel a été la guerre en Ukraine qui a fait monter les prix de manière totalement exogène. Cela pouvait être un élément important dans la définition de cette rente et la rendre tangible.

Mais cela n'a pas été suffisant puisque le rendement a été, même dans ce cas, très faible. On a donné des conditions de déductibilité suffisamment fortes pour qu’au final, même dans ce cas-là, il ne soit pas possible d’arriver à dégager une assiette qui ne soit pas négligeable. Il a manqué beaucoup d'informations économiques au législateur au moment de décider et de fabriquer ces nouveaux impôts.

Il manquait évidemment d'information sur quel était l'état des marges en France et pas juste au niveau mondial. Sans ces informations, il y a un risque de légiférer à l'aveugle.

Peut-être que l'on permet de manière plus libérale de déduire certaines pertes car on pense qu’il y a tellement de marges que ce n’est pas grave de permettre une déduction des pertes très ample. Mais la réalité est que la marge réalisée en France n’est pas si importante et que dans ce cas-là, il faut être particulièrement attentif au périmètre que l'on choisit, aux charges que l'on permet de déduire. Il est important de border les risques de recours lorsque l’on décide d'un impôt nouveau, avec des conditions, des définitions très détaillées. Cela peut faire prendre des risques de recours dans les années qui suivent. Pour éviter ces risques de recours, il faudrait contacter au préalable les autorités européennes constitutionnelles un peu plus qu'on ne le fait actuellement ou qu'on ne le ferait pour un impôt normal.

Est-il possible d'améliorer et de mieux adapter de tels outils fiscaux afin qu'ils soient  plus efficaces et que leur application apporte plus de résultats ?

Il faudrait effectivement que le législateur ait les armes pour se préparer à ces événements un peu exceptionnels. Il faut demander au législateur de se préparer à l'exceptionnel. Cela est donc un peu contradictoire. Cela supposerait qu’une information rapide sur ce qu'il est en train de se passer au moment où on observe la rente soit d'ores et déjà disponible à l'administration. Le législateur manquait clairement d’information sur le résultat de ces entreprises, non pas au niveau mondial mais au niveau français. Cette information aurait permis de générer des scénarios de rendement budgétaire suivant telle ou telle forme de l'impôt.

Les impôts ont été construits sans pouvoir en aucune manière les simuler. Lorsque l’administration prépare des lois de finance, elle propose des simulations budgétaires de recettes. Elle est en mesure de le faire car elle a déjà eu une photo des contribuables, une photo de l'assiette de l'année précédente. L’administration, avec ces éléments, peut donc appliquer de nouveaux taux. En faisant cela, il est possible d’avoir une idée assez précise du rendement.

Mais quand il s'agit d'un impôt nouveau dans une situation exceptionnelle, cette photo n'existe pas. On ne sait pas exactement à quoi il sera possible d’appliquer l'impôt. Des informations beaucoup plus précises sont nécessaires par rapport à ce nous disposions sur l’assiette que l’on chercherait à taxer. Cela n'a pas été le cas.

Pour éviter des déconvenues dans les textes d'application, il faut effectivement consulter les parties prenantes, les contribuables. Il est très important de connaître leur opinion. Ils ne sont jamais contents mais cela reste important d'avoir cette information. Cela a été fait dans le cadre de la taxe sur les pétroliers. Le PDG de Total a été entendu dès septembre 2022 à l'Assemblée, même si c'était dans le cadre d'une mission d'information. Cela pourrait être quelque chose de plus formalisé, pourvu bien sûr que cela soit transparent.

Lorsque l’on laisse des textes d'application prendre forme comme cela et finalement avoir un impact aussi important, le risque principal est celui du manque de transparence. Personne ne sait exactement pourquoi telle ou telle décision a été prise.

Ces choses doivent être faites de manière transparente. Il est important de consulter autant que possible à la fois les entreprises qui pourraient être touchées, mais aussi les autorités de recours qui pourraient donner leur avis de manière publique, et notamment lorsqu'il s'agit d'instruments totalement nouveaux.

Dans l'histoire des impôts, la première année de la mise en place, il n’est pas rare de faire face à de sévères déconvenues. Mais quand précisément, il s'agit d'un impôt qui a vocation à être exceptionnel, une fois que le problème a été découvert, il est trop tard. Il n'y a plus de superprofits, il n'y a plus de rente. On se réveille trop tard. C'est pour cela que c'est un impôt exigeant. 

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