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Impact économique des gilets jaunes : faut-il croire à l’impact sévère évoqué par le gouvernement ?
©LUCAS BARIOULET / AFP

Bouc émissaire

La baisse considérable des ventes pour la grande distribution lors du premier week-end des gilets jaunes ne serait que la partie immergée de l'iceberg, selon le gouvernement. Mais sont-ce les gilets jaunes qui sont responsable de la mauvaise santé de l'économie ?

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Après une baisse considérable des ventes (-35%) pour la grande distribution lors du premier week-end d'action des gilets jaunes, l'économie française commencerait à souffrir du mouvement de contestation, provoquant la formation d'une cellule de crise à Bercy. Bruno Le Maire a pu ainsi déclarer "Il est trop tôt pour indiquer s'il y aura un impact sur la croissance, mais tous les acteurs indiquent que l'impact sur l'activité économique est sévère". Quelles peuvent-être les conséquences réelles des gilets jaunes sur l'économie française ? 

Nicolas Goetzmann : Théoriquement, de telles manifestations peuvent évidemment avoir un impact sur la conjoncture économique. La perturbation des chaînes de production, de distribution, les destructions de matériels sont des éléments qui viennent peser économiquement. Il s'agit d'un choc négatif de l'offre, qui, toujours en théorie, contribue à réduire le niveau de production et peut pousser à une hausse des prix. Mais nous n'en sommes pas là, et le caractère "sévère" dénoncé par Bruno Le Maire permet surtout de masquer une conjoncture qui n'est pas favorable depuis le début de l'année. Il faut rappeler que les PMI publiés en fin de semaine dernière montraient que la zone euro est proche de son plus bas conjoncturel de 4 ans. Le ministre de l'économie vient justifier cela par les gilets jaunes comme le gouvernement cherchait à justifier les mauvais chiffres du premier semestre par les mouvements liés à la réforme de la SNCF.

Lorsque l'on parle de baisse de chiffre d'affaires de l'ordre de 35%, on ne parle que de la grande distribution, l'histoire ne dit pas dans quelle mesure les ventes en ligne- donc chez d'autres acteurs - ont pu venir compenser ces pertes. Si tel était le cas, l'effet produit par les gilets jaunes serait surtout de déplacer les ventes d'un vendeur à un autre, ce qui est négatif pour le premier, et positif pour le second. L'impact des gilets jaunes serait plus lourd s'il était accompagné de mouvements de grève, mais les journées d'action les plus importantes ont eu lieu le samedi, ce qui vient limiter les perturbations sur la production qui auraient pu être engendrées par des centaines de milliers de jours de grèves. On peut également noter que ces heurts, largement relayés médiatiquement, peuvent produire un impact sur le tourisme ou sur les décisions d'investissement dans le pays. Lors de sa dernière enquête de conjoncture, l'Institut Markit indiquait : "L’économie française a en outre été ébranlée par les récents mouvements sociaux formés pour protester contre les taxes sur le carburant, certains répondants attribuant l’allongement des délais de livraison observé en novembre aux manifestations".

S'il ne faut pas nier l'impact de ces mouvements sur certains acteurs, il paraît excessif de prétendre que le mouvement a un impact sévère sur l'économie pour le moment. L'impact est pour le moment marginal, mais il s'additionne à un ralentissement économique qui touche le pays depuis le début de l'année. Il suffit de rappeler que la croissance allemande est négative au T3 2018, sans que les gilets jaunes n'interviennent...

Comment mesurer les responsabilités concernant les chiffres économiques de cette fin d'année 2018 ?

Le premier facteur n'est évidemment pas les gilets jaunes, mais le ralentissement économique en cours dans la zone euro, qui est d'abord le résultat de la normalisation de la politique de la BCE qui est un frein à la demande intérieure du continent. D'autres zones économiques, comme la Chine, connaissent également un ralentissement, ce qui a également un impact sur les exportations. L'Allemagne vient ainsi de publier un chiffre négatif pour sa croissance du troisième trimestre, soit -0.2%, tandis que la zone euro prise dans son ensemble affiche un chiffre décevant de 0.2%. Dans ce contexte, la France a fait eu peu mieux en cette fin d'année puisque Paris est moins exposé au commerce international, comparativement à l'Allemagne par exemple, qui est frappée de plein fouet.

Sur le plan strictement intérieur, la situation est également un peu ironique puisque la hausse des taxes qui a été le déclencheur du mouvement des gilets jaunes avait également eu un effet sur la croissance du pays, notamment sur le niveau de consommation, au début de l'année. Le gouvernement récolte ainsi le double effet de sa décision. En termes de responsabilité, on peut donc lister, par ordre d'importance, la responsabilité de la BCE qui est en cours de resserrement de sa politique monétaire par le biais de l'annonce de l'arrêt de son assouplissement quantitatif, la vulnérabilité du modèle économique européen qui repose de façon substantielle sur ses exportations, les décisions fiscales d'Emmanuel Macron, et ensuite viennent se greffer quelques éléments dont les grèves du rail, ou le mouvement des gilets jaunes.

Dans quelle mesure le lien entre gilets jaunes et ralentissement économique est-il en ce sens crédible, d'un point de vue politique ?

Du point de vue du gouvernement, il est évidemment plus facile de faire porter la responsabilité aux gilets jaunes qu'aux orientations économiques du quinquennat. C'est ce que fait Bruno Le Maire. Mais concernant les orientations économiques de la zone euro, Emmanuel Macron n'a rien fait qui pourrait aller dans le sens d'une relance économique du continent. Concernant le commerce international, il a préféré soutenir la position allemande qui consiste à nier le problème causé par les excédents de Berlin sur le reste du monde, alors que la France est confrontée au même problème que les États Unis. Et concernant les réformes menées dans le pays, aucune n'est réellement susceptible d'apporter une contribution à la croissance en dehors de la taxe d'habitation en cette fin d'année. Il y a une accumulation de nuages sur la zone euro, et la situation pourrait encore se détériorer en 2019, mais il va être compliqué de faire porter le chapeau d'un problème qui touche l'ensemble du continent européen aux gilets jaunes. Cela est peut-être distrayant sur le plan politique, mais cela n'est pas suffisant pour expliquer la situation.  

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