Faussaires et toiles de maîtres : comment Sotheby's s'est laissé berner dans l'un des plus retentissants scandales du monde de l'art depuis 1945 <!-- --> | Atlantico.fr
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Une toile authentifiée par Sotheby's comme étant l’œuvre de l’artiste hollandais Frans Hals (et vendue sur cette base pour près de 10 millions) a été "réévaluée" par la maison de vente aux enchères et déclarée fausse.
Une toile authentifiée par Sotheby's comme étant l’œuvre de l’artiste hollandais Frans Hals (et vendue sur cette base pour près de 10 millions) a été "réévaluée" par la maison de vente aux enchères et déclarée fausse.
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THE DAILY BEAST

La société de ventes aux enchères Sotheby’s a été forcée d’admettre son rôle au cœur d’un scandale de contrefaçons qui pourrait impliquer des dizaines de millions de dollars de fausses toiles de grands maîtres.

Tom Sykes

Tom Sykes

Tom Sykes est écrivain et journaliste, auteur du blog "The Royalist" pour The Daily Beast. Il a collaboré à de nombreuses publications, et a fait un passage au New York Post comme reporter nighlife et éditorialiste people. Il a écrit plusieurs livres, et a récemment aidé John Taylor de Duran Duran à écrire son autobiographie chez Dutton. Tom vit à Londres et en Irlande.

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Copyright The Daily Beast - Tom Sykes

Cette semaine très artistique a vu l’ouverture de la foire Frieze à Londres. Ce n’était pas le moment idéal pour voir éclater ce qui pourrait être le plus grand scandale de contrefaçon depuis le scandale des faux Vermeer qui remontent à l'époque de la Seconde Guerre mondiale.

Mais, tandis que Regent’s Park était envahi par des centaines de galeries, des milliers d’artistes, et des dizaines de milliers d’acheteurs amateurs et professionnels, Sotheby's, une des deux plus grandes maisons de ventes aux enchères d’œuvres d’art et un acteur clé de la foire Frieze, a été poussée à faire des aveux humiliants. Elle se trouve au cœur d’un scandale de contrefaçon à plusieurs millions de dollars qui pourrait impliquer des dizaines de millions de dollars de fausses toiles de grands maîtres.

Plus précisément, une toile authentifiée par Sotheby's comme étant l’œuvre de l’artiste hollandais Frans Hals (et vendue sur cette base pour près de 10 millions) a été "réévaluée" par la maison de vente aux enchères et déclarée fausse.

Sotheby’s a publié un communiqué annonçant qu’une nouvelle analyse technique avait révélé que ce travail était une "contrefaçon". La vente a été annulée, et le client, un collectionneur américain vivant à Seattle, aurait été remboursé, selon Sotheby's.

En d’autres termes, la galerie a été magistralement roulée dans la farine. Mais il y a pire : désormais, l’authenticité d’autres toiles de Vieux Maîtres se trouve mise en doute. Ces présumés faux tableaux de grands maîtres d’une valeur pouvant atteindre en tout 200 millions de dollars sont tous apparus dans les galeries européennes après avoir appartenu à un même propriétaire : un collectionneur franco-italien peu connu.

L’analyse a été organisée à la suite d’une descente policière controversée de mars dernier, lorsqu’une toile datée de 1531, la Vénus au voile, détenue par le prince du Liechtenstein, a été saisie par la police française dans une galerie publique.

La loi française permet la saisie judicaire d’œuvres suspectées d’être des contrefaçons sans décision de justice dans le cadre d'une enquête. Mais le prince, qui est un des collectionneurs les plus puissants du monde, est logiquement furieux de la façon dont la police s’est emparée du tableau au vu et au su de tous, sans la moindre discrétion.

Les résultats de l’analyse n’ont pas été rendus publics. Cependant, le milieu de l’art s'accorde globalement sur l'idée que le tableau aurait été estimé inauthentique.

La Venus a appartenu un temps au même collectionneur que le Hals : un français d’origine italienne de 72 ans nommé Giuliano Ruffini.

Selon The Art Newspaper, Giuliano Ruffini a aussi été propriétaire de plusieurs autres toiles qui font l’objet d’une enquête, dont un tableau de St Jérôme attribué au Cercle de Parmigianino, qui s’est vendu pour 842 500 dollars chez Sotheby's à New York en 2012.

Giuliano Ruffini a déclaré au site qu’il était l’ancien propriétaire d’un autre tableau : David contemplant la tête de Goliath, peint sur lapis-lazuli, qui aurait été acheté par un collectionneur anglais comme étant l’œuvre de Orazio Gentileschi, oeuvre qui est elle aussi mouillée dans le scandale.

The Art Newspaper rapporte que selon Giuliano Ruffini, la plupart de ces pièces proviendraient des collections d’un ingénieur civil français. Lorsque celui-ci est mort en 1971, sa fille aurait hérité de la collection et aurait donné et vendu plusieurs toiles à Ruffini, avec lequel elle aurait entretenu une relation durant 8 ans, selon ce dernier.

Giuliano Ruffini nie avoir jamais présenté les toiles comme d’authentiques tableaux de Vieux Maîtres : "je suis un collectionneur, pas un expert", rappelle-t-il.

Mark Weiss, un marchand d’art londonien (qui est partie prenante de l’histoire, puisqu’il a acheté deux des tableaux à Ruffini, dont le Hals récemment déclaré faux), a rapporté au Financial Times qui n’était pas encore convaincu que le Hals n’était pas authentique et a refusé de faire davantage de commentaires.

Sotheby's s’apprêterait à poursuivre Giuliano Ruffini pour obtenir un remboursement en compensation de leurs pertes dans l’affaire du faux Hals.

L’utilisation du terme "contrefaçon" dans la déclaration de Sotheby's est très significative.

Dans le monde de l’art, il y a une différence entre les faux et les contrefaçons. Les faux sont des œuvres d’autres artistes, présentées comme les toiles de peintres plus importants.

Les faux peuvent aussi être des copies réalisées à la même époque ou dans la même région que l’original, ce qui les rend très difficiles à identifier, car la toile, la peinture et même la technique correspondent à la bonne période.

Depuis des siècles, il est tout à fait commun pour le propriétaire d’une peinture classique de faire appel à un artiste compétent pour réaliser une ou plusieurs copies, qui seront accrochées dans diverses demeures du propriétaire, ou offertes à des proches. Ainsi, si le propriétaire venait à vendre ce tableau de valeur, il lui resterait toujours une copie.

C’est aussi pour cette raison précise que les toiles de Vieux Maîtres (terme généralement utilisé en référence aux peintres européens - et particulièrement hollandais – en activité entre les 13ème et 17ème siècles) ont toujours été des cibles faciles pour les faussaires.

Les œuvres d’art sont authentifiées à l’œil – c’est-à-dire qu’un juge expert (ou un panel de juges) regarde la pièce, et déclare simplement si elle correspond au style de l’auteur présumé.

Les tests de datation des matériaux sont disqualifiés et considérés comme superflus par ces experts qui avancent que les œuvres peuvent avoir été restaurées, et que les faussaires actuels utilisent savamment des matériaux recyclés datant de la bonne époque.

Les contrefaçons, de leur côté, correspondent à ce que la plupart d’entre nous imaginons lorsque l’on songe aux délits liés au monde de l’art : ce sont des imitations réalisées délibérément par des artistes contemporains pour ressembler à l’original.

Ces révélations sur Sotheby's, victime de contrefaçons sophistiquées, arrivent à un mauvais moment pour la maison de vente.

Bien qu’assez peu de visiteurs de Frieze soient spécifiquement intéressés par les grands maîtres, Sotheby's tire parti des foires Frieze pour contrecarrer son image de maison de ventes aux enchères désuète et ringarde, et pousser son offre contemporaine avec plusieurs ventes spécialement organisées.

La "soirée d'enchères" de vendredi, par exemple, devait être dominée par une sélection d’œuvres de maîtres contemporains tels que David Hockney et Gerhard Richter.

Aucun vendeur ou galeriste contacté par le Daily Beast n’a souhaité commenter le scandale, la plupart prétextant être trop occupé à cause d’un déluge de travail lié à la foire Frieze.

"Tout ce que je sais est tiré de la lecture des journaux", a déclaré un galeriste qui expose de grands maîtres.

"Il semble vraiment que ces types ont fait un excellent travail", a déclaré une autre personnalité du monde de l’art. "Mais n’oubliez pas que les faux ont toujours existé. La première commande de Michel-Ange consistait à réaliser une imitation de statue romaine pour un cardinal."

Yan Walther, Directeur Général de SGS Art Services, qui exploite un service d’analyses médico-légales à Genève, Londres et New York, a déclaré au Daily Beast : "Chaque année, on voit apparaitre un nouveau scandale de faux ou de contrefaçon, et chaque année elle est ignorée, considérée comme un fait isolé. En l’absence d’analyse médico-légale systématique pour les œuvres de grande valeur, ces scandales sont inévitables."

Yan Walther, qui indique qu’une telle analyse coûte généralement moins de 10 000 dollars, se dit "stupéfait" de constater que des œuvres estimées à plusieurs millions de dollars ne fassent pas l’objet de tests rigoureux en amont de leur vente par les sociétés de vente aux enchères.

"A l’ère des hautes technologies, ce genre de scandale ne devrait pas se produire. Les tests rigoureux et les vérifications coûtent moins cher que le transport, l’assurance et bien sûr la commission sur les achats/ventes. Acheter une toile de grande valeur sans analyse technique revient à acheter une voiture sans ouvrir le capot."

Mais au milieu de la polémique, reste une institution doit être très soulagée : c’est le Louvre, qui avait tenté d’acquérir le portrait attribué à Hals à un stade plus précoce de sa route vers l’infamie. Le Louvre avait même lancé une campagne de levée de fonds, mais avait finalement manqué l’occasion, en échouant à recueillir les 5 millions nécessaires.

Voilà de l’argent bien gardé.

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