Et Marine Le Pen inaugura une nouvelle thématique politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen a organisé sa rentrée politique dans son fief d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).
Marine Le Pen a organisé sa rentrée politique dans son fief d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

La vengeance d'une blonde

Alors qu'Éric Zemmour faisait sa rentrée ce dimanche sur une ligne identitaire très ferme, la multi-candidate à la présidentielle a, elle, choisi de s'en prendre à ce qu'elle décrit comme un effondrement de l'État. Tout en questionnant la compétence d'Emmanuel Macron.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : La cheffe de file des députés Rassemblement national à l’Assemblée nationale a organisé sa rentrée politique à Hénin-Beaumont, dimanche 10 septembre. Quels sont les principaux enseignements de la rentrée politique de Marine Le Pen ?

Christophe Boutin : L’enseignement principal de la rentrée politique de Marine Le Pen hier à Hénin-Beaumont me semble être dans l’évolution de ses thématiques. En effet, la candidate à la présidentielle de 2022 a rappelé l’importance de la dimension sociale, avec notamment le problème de l’inflation qui impacte plus les revenus modestes. Elle n’a pas oublié non plus les fondamentaux du discours de son parti en évoquant ce qu’elle considère comme le laxisme de l’État en matière de sécurité et son inefficacité en matière de sécurité. Mais la nouveauté a été ici sa thématique centrée sur un « effondrement de l’État » qui toucherait tous les secteurs, de la santé à l’éducation, de la sécurité à la vieillesse, de la défense à l’industrie - et notamment le régalien. « Que reste-t-il de l’État ? », s’est-elle demandé, quand un très grand nombre de Français, confrontés au quotidien à la déliquescence de leurs services publics, tandis qu’augmentent les prélèvements, se posent cette même question. Avec cette notion de déclassement, devenue centrale dans la classe moyenne, Marine Le Pen peut accroître encore sa base électorale.

Cet effondrement complet d’un État ressemble à celui de ces immeubles dont on a saboté les fondations et qui s’écroulent sur eux-mêmes. Or, pour Marine Le Pen, Emmanuel Macron se serait lancé dans une véritable guerre pour faire éclater les institutions administratives qui structuraient et portaient l’État – elle a cité le corps préfectoral et le corps diplomatique, mais il s’agit plus largement de cette haute administration qui a toujours été la constitution administrative de notre République. En tendant ainsi la main aux représentants des élites administratives dont Emmanuel Macron est en train de démanteler les grands corps, elle montre clairement qu’elle entendrait gouverner non pas contre eux, comme le gouvernement actuel, mais avec eux, ce qui peut lui apporter des cadres et permettre de contrer l’accusation maintenant la plus fréquente contre son parti, celle de l’incompétence.

En ce sens, Marine Le Pen peut casser la logique du discours macronien : pour elle, son agitation déstabilise l’État et in fine paralyse le pouvoir politique. Renversant la dialectique macronienne entre immobilisme et mouvement, elle fait du camp de la majorité celui de l’immobilisme, et de son opposition le camp de l’action. Mais agir pour quoi faire ? Marine Le Pen entend bien ne pas laisser le mot de nation à Emmanuel Macron, qui s’en est emparé : « Sans nation, a-t-elle rappelé -, il n’y a plus ni liberté, ni prospérité, ni identité, ni progrès ». Mais on voit clairement les différences : pour le Président, il s’agit de « faire nation », projection progressiste vers le futur donc - sinon énième fuite en avant ; pour Marine le Pen, il convient surtout de « rebâtir la nation » en en restaurant les fondamentaux, une approche conservatrice qui permet d’évoluer sans faire table rase du passé. 

Selon le sondage Viavoice pour Libération, Marine Le Pen récolte 37% d'opinions favorables auprès des Français, une augmentation de 10 points par rapport à novembre 2021. Un tel score en fait la deuxième personnalité préférée des Français derrière Édouard Philippe, ex-Premier ministre qui pourrait devenir son adversaire. Environ 4 sondés sur 10 jugent que la candidate du Pas-de-Calais « incarne bien les valeurs républicaines », qu'elle est « compétente » et « présidentiable ».  Quels sont les principaux enseignements de ce sondage à l’aune de la rentrée politique de Marine Le Pen et du RN ? La stratégie de Marine Le Pen est-elle liée à ce regain dans les sondages ?

Le sondage que vous évoquez va bien au-delà de la seule question de la popularité de Marine Le Pen : il acte en effet de la manière la plus claire la fin de la stigmatisation liée au qualificatif « d’extrême droite ». Ce qualificatif, accolé au Rassemblement national, n’est en effet plus un élément qui conduirait les Français à refuser leur vote à cette formation. Alors que 75 % des Français disent avoir une perception claire de ce qu’est l’extrême droite, dont ils estiment à 39 %, que son importance est sous-estimée, 56 % d’entre eux trouvent ainsi le RN plus crédible est plus compétent que La France Insoumise - que 36 % trouvent aussi « plus dangereuse » que le RN. Les idées ? Les Français considèrent à 8 %, que les thèses de l’extrême droite sont « toujours bonnes », à 21 % qu’elles sont « toujours mauvaises », mais à 56 % qu’elles sont « parfois bonnes, et parfois mauvaises », selon les sujets, ce qui montre qu’il n’y a pas – ou plus - d’ostracisme, et que ce n’est pas – ou plus – parce qu’une idée est véhiculée par « l’extrême droite » qu’elle est disqualifiée. 

À preuve, si, l’on regarde l’indice de confiance envers les partis politiques, c’est le RN qui tourne en tête, à 20 %, laissant la majorité à 15 %, la NUPES à 14 %, et les Républicains à 13 %. Depuis août 2022, le RN est le parti politique qui a le plus la confiance des Français - même si 38 % d’entre eux disent n’avoir confiance dans aucune de ces formations. Il n’y a en fait que sur les questions de la transition écologique, de l’Europe – entendre ici l’Union européenne - des entreprises et des innovations technologiques que le RN n’est pas en tête : sur toutes les autres questions c’est à lui que les Français font le plus confiance pour les traiter, très loin devant les autres, en matière d’immigration et de sécurité, mais devant aussi en matière de retraite, d’éducation, de santé ou de pouvoir d’achat.

On le voit, le désaveu cinglant qui touche la classe politique française frappe moins le RN, d’où un changement d’axe d’attaque de ses adversaires : la stigmatisation « d’extrême droite » ne suffisant plus, il s’agit de mettre en doute la capacité du parti à diriger le pays dans l’hypothèse où Marine Le Pen serait élue. Pas de chance, et les chiffres que vous rappelez le montrent bien, Marine Le Pen est considérée à la fois comme « présidentiable », « compétente », et progresse dans l’opinion publique avec 37 % d’opinion favorable. Mieux, Les Français ont plus une image négative de Gérald Darmanin, Olivier Véran ou Éric Ciotti, à 55 %, quand Marine n'a cette image que pour 51 % des Français.

Le résultat est que 29 % des Français reconnaissent une évolution positive de leur perception de Marine Le Pen dans ces derniers mois, que 51 % considèrent probable son élection en 2027 - 39 % l’estiment peu probable –, et que 43 % des Français disent « avoir voté » ou « être prêts à voter » pour elle.

On assiste donc à une évolution importante en la matière, et la stratégie de Marine Le Pen s’est pour l’instant avérée payante. Cette stratégie, axée sur le social, lui a permis d’attirer à elle un certain nombre d’électeurs sensibles au sentiment de déclassement qui frappe une grande part des Français, électeurs des couches populaires sans doute, mais aussi des classes moyennes, y compris maintenant des classes moyennes supérieures. De la même manière, la politique menée à l’Assemblée nationale, d’opposition raisonnée et sobre, a été sans doute payante pour l’image du parti en général comme pour celle de son principal leader.

Les têtes de liste du RN et de Reconquête sont désormais connues dans le cadre des élections européennes. Marion Maréchal est-elle une adversaire redoutable pour Jordan Bardella dans le cadre du futur scrutin ?

Les deux sont jeunes, brillants, passent très bien dans les médias et ont un discours parfaitement cadré. Jordan Bardella a pour lui le fait de disposer de parlementaires à Bruxelles depuis des années, d’avoir derrière lui un parti bien structuré, de pouvoir compter sur ses élus nationaux et locaux. Le risque pour lui serait peut-être dans la composition de la liste. Il voudra sans doute en effet renouveler les élus et mettre en place une nouvelle génération, mais il devra se souvenir que le faire de manière trop volontariste, d’une part, écarterait des cadres de qualité qui ont fait leurs preuves à Bruxelles, et, d’autre part, donnerait du jeune président du parti une image très (trop ?) dirigiste, qu’il pourrait ensuite payer en interne.

Marion Maréchal, elle, ne dispose pas de ces atouts, mais elle a su, notamment autour de l’école qu’elle dirige, fédérer une équipe parfaitement à même de mener le combat pour ces élections européennes. La question qui se posera sera là aussi celle de la composition de la liste, certains membres de Reconquête pouvant avoir envie de toucher les dividendes de leur engagement en devenant élus européens. On l’aura compris la question n’est donc pas tant celle des capacités des deux politiques que celle de la manière dont leur leadership sera apprécié au sein de leurs formations respectives. 

Qu’est-ce qui peut être décisif pour le RN pour arriver en tête des européennes ? D’ici là que peuvent faire Marine Le Pen et Jordan Bardella ?  

Mais rien. Attendre. Sur la scène nationale, les meilleurs soutiens de Marine Le Pen sont Emmanuel Macron et l’incohérence de sa politique du « en même temps », Gérald Darmanin, qui ressemble trop à un Nicolas Sarkozy dont les électeurs de droite n’oublient pas qu’il les a trahis, ou cette France insoumise qui s’agite dans les travées et veut « déconstruire » tout ce qui a fait la nation. Les chefs du RN peuvent ainsi progresser dans l’opinion publique quasiment sans rien dire : chaque journée, soit avec des violences, soit avec une nouvelle preuve du déclassement du pays dans tous les domaines, leur apporte son lot d’électeurs. 

De la même manière, le meilleur ami du RN aux européennes s’appelle Ursula von der Leyen, autocrate affirmée, qui cherche à faire boucler avant les élections qui viennent le dossier de la répartition forcée des migrants par l’Union européenne sur l’ensemble des États membres. Les échecs de l’Union, la mainmise de l’Allemagne sur les institutions affirmée sans fard, la tutelle américaine, la soumission aux lobbies financiers, l’incapacité à contrer l’économie chinoise, l’inefficacité dans la crise ukrainienne, tout cela ne peut que conduire nombre de Français à émettre un vote critique qui se portera sur le RN d’abord, sur Reconquête ensuite, et, dans l’hypothèse où il serait reconduit comme tête de liste - mais rien n’est moins certain - sur François-Xavier Bellamy pour les Républicains. Bref, sur des listes et des leaders qui espèrent tous, en obtenant avec d’autres partis européens une majorité au Parlement, sinon empêcher les dérives de la Commission - ce que le Parlement ne peut faire seul - mais au moins les limiter.

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