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Est il mieux de faire un travail pénible ou est-il plus pénible de ne plus en avoir un ?
©http://pixabay.com

Les entrepreneurs parlent aux Français

L’automatisation en question, une question du siècle.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Une question ne cesse de me tarauder depuis quelques jours. Nous faisions une conférence, dans le cadre de l’Observatoire de l’Ubérisation avec mon ami Nicolas Sadirac, le brillant dirigeant de l’Ecole42 (En réalité le nom est 42 tout court, mais tout le monde l’a débaptisé !). L’un des sujets abordés concernait l’automatisation, la suppression du caractère répétitif des tâches, leur suppression grâce à des moteurs de plus en plus sophistiqués et performants.

Cette automatisation touchera, non seulement les emplois les moins qualifiés, mais également et peut être surtout, les tâches réalisées par les employés les plus qualifiés, les plus diplômés. Personne ne sera épargné. La progression de ce virus de sophistication et d’automatisation, première étape d’un processus qui s’orientera de plus en plus vers l’homme augmenté, qui non seulement sera débarrassé des tâches les plus « viles », roboratives, mais également doté d’une puissance lui permettant d’offrir des performances toujours plus importantes. Présenté comme un outil démocratique qui permettra à chacun, et notamment aux plus « faibles » d’accéder au nirvana de la compétence et de l’utilité au monde qui l’entoure. OK. Nous verrons. Chaque chose en son temps.

La première réflexion qui m’est venu à l’esprit était la suivante. L’un des exemples que nous avons pris était celui des chauffeurs de poids lourds américains. Pourquoi Américains ? Parce que ce sera certainement le pays qui l’expérimentera le premier (en concurrence avec la Chine), dans un pays où la route est Reine et le train Nain, face à des distances qui imposent de servir et livrer des marchandises d’un bout à l’autre d’un des plus grands pays au monde. Les autoroutes seront équipées de capteurs prochainement et l’on estime que les 5 millions de chauffeurs pourraient être au chômage en 2023. Et la question qui se pose est simple. Sur le papier, on va « débarrasser » ces chauffeurs d’un emploi pénible, dur, éprouvant, qui les éloigne des semaines entières de leur famille, les confronte à des risques d’accidents souvent mortels, pour une tâche qui gagnerait, en sécurité, à être faite sans intervention humaine. Sur le papier tout le monde y gagne. Le climat. La sécurité routière. L’homme, qui ne risquera plus sa vie dans de mauvaises conditions. L’entreprise qui réduira ses coûts de livraison. Et peut être le consommateur qui achètera (peut-être) une marchandise devenue encore moins coûteuse. 


Tout le monde…. sauf le chauffeur lui même. Car alors la question qui se pose est simple. Est il plus pénible d’avoir un travail dur ou plus pénible de ne plus en avoir ? La principale pénibilité ne serait-elle pas le chômage ?

Si l’on considère le niveau moyen de formation d’un chauffeur de plus de 40 ans qui n’a jamais fait autre chose que de conduire un camion, et le fait que ses chances de se reconvertir dans un autre métier roboratif et simple, qui aura lui même disparu, sont donc quasi nulles, qu’allons nous faire de lui ? Ne trouvera t-il pas son canapé plus pénible que ses trajets en camion ? Son banquier trouvera t-il plus pénible de lui accorder un crédit auparavant assis sur un salaire mensuel confortable du fait des primes d’éloignement (les chauffeurs peuvent aller jusqu’à 5000$ le mois) ? Sa famille ne trouvera t-elle pas plus pénible le fait de ne plus pouvoir vivre décemment ?

En clair, comment allons nous remplacer le travail détruit ? En lui donnant un travail de services à la personne souvent payé la moitié de son salaire précédent ? Ce qui rendra sa vie certainement plus pénible. En le transformant en data scientist ? (je plaisante malheureusement) Sachant qu’il faut un niveau de math ahurissant pour pouvoir y prétendre et que son métier ne l’y a certainement pas prédisposé.

C’est l’une des questions de ce siècle. Que faire des 5 millions de chauffeurs américains, et des millions qui le suivront, poussés par une frénésie d’automatisation, qui sera certainement inéluctable, et apporte au fonds de réelles avancées, mais n’offre que du recul pour ceux qui en seront les victimes. Comment mettre dans une balance infernale, sur 2 plateaux équilibré, le bénéfice pour l’homme au sens global du terme et pour la société et le déficit clair pour la vie de dizaine, puis centaine de million d’individus sur cette planète, dont la fonction la plus automatisée sera celle qui transformera le travail en chômage. J’aimerais que l’on m’explique ce que l’on fera de lui, mais personne ne m’apporte de réponse.

Ne devrions donc pas enfin y travailler, à un niveau international, car le niveau local est sans intérêt, et préparer ces hommes, ces femmes, qualifiés ou non, qui vont perdre leur job, sans que personne ne se pose la question de leur « reversement » dans l’économie. Dépasser la théorie pour fainéant de l’économie du passé et faux experts de la destruction créatrice Schumpetérienne. Ce piège tendu par de faux intellectuels de la répétition éternelle, qui oublient de préciser que si l’histoire a prouvé que la reclassification a toujours marché (ou presque étant donné le niveau du chômage qui progresse dans tous les pays occidentaux au fur et à mesure du temps et le niveau inquiétant de ceux qui ne cherchent même plus d’emplois, pour y avoir simplement renoncé, plus de 10M aux USA seulement), c’était dans un référentiel qui évoluait mais restait le même, et notamment du fait d’une démographie croissante et d’une croissance permanente. Nous ne sommes PLUS dans le même référentiel et nous n’avons plus de démographie. Et là Schumpeter n’avait pas prévu ce moment. Et pour cause.

Nous ouvrons, nous entrepreneurs, ce débat, au sein de divers Observatoire, dont celui de l’Ubérisation. Et à vous lecteurs, j’aimerais bien savoir et comprendre vos idées, pensées, réflexions. La plage arrive et dans les longues heures qui nous séparent chaque jour de l’apéro, prenons un peu de temps pour y penser !!

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