Equipements médicaux : ce qu’on oublie de dire sur les délais d’attente pour passer une IRM en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Il faut aujourd'hui en France en moyenne 37 jours pour obtenir une IRM "dans l'urgence".
Il faut aujourd'hui en France en moyenne 37 jours pour obtenir une IRM "dans l'urgence".
©wikipédia

Et un mois d'attente pour une IRM, un !

Il faut aujourd'hui en France en moyenne 37 jours pour obtenir une IRM "dans l'urgence". Si le manque de budget et le manque de médecin sont souvent évoqués pour justifier cet état de fait, un autre facteur explicatif existe.

Frédéric  Pierru

Frédéric Pierru

Frédéric Pierru est sociologue, chargé de recherche au CNRS,au CERAPS-Université Lille 2 . Il travaille sur la réforme des systèmes de santé français et européens. Il a publié, entre autresHippocrate malade de ses réformes (Editions du Croquant – 2007), Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, Paris, Odile Jacob, 2011 ; L'hôpital en réanimation, Editions du Croquant, 2011 et L'hôpital en sursis. Idées reçues sur le système hospitalier, Le Cavalier Bleu, 2012 (avec Bernard Granger).

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Atlantico: Une étude réalisée par Cemka-Eval pour l’association Imagerie Santé Avenir montre que les délais d’attente pour obtenir un examen IRM dans l'Hexagone, en cas d’urgence oncologique, atteint, en moyenne, 37,7 jours. Moins bien équipé que la Slovénie. Cette étude témoigne-t-elle de la détérioration en termes de qualité des soins prodigués ? 

Frédérique Pierru: Je prends toujours avec précaution ce type d’études, d’abord parce qu’elles sont commanditées par des groupes d’intérêt industriel qui cherchent à faire pression sur les payeurs pour accélérer la diffusion de matériels (ou de médicaments) qu’ils produisent. Rien de mieux que d’exhiber des écarts d’équipement à d’autres pays, ici la Slovénie, pays moins “avancé”, pour faire le scandale. Cela accrédite l’idée d’une “tiers-mondialisation” de la France. Ensuite, la méthode de l’enquête, par “testing”, est sujette à caution.
Mais la critique principale est ailleurs : de telles comparaisons internationales doivent être mises en rapport avec des structures d’offre de soins et des pratiques de prescription très hétérogènes : en effet, même si cela peut-être choquant, la médecine n’est pas seulement et toujours une science : l’offre induit la demande. Ceci veut dire que les prises en charge médicale varient selon le nombre de praticiens et d’équipements dans une spécialité donnée, ici l’oncologie. Plus simplement : si demain, vous installez partout des IRM, il faudra amortir ces coûteux appareils, et donc prescrire à tour de bras ce type d’examen sans nécessairement que cela médicalement justifié. En France, la tendance est plutôt à sur-prescrire les actes techniques, en particulier radiologiques. Ainsi, les IRM ne sont se sont pas substituées aux examens radiologiques simples ou aux examens par scanner : ils s’y sont plutôt ajoutés. Ce biais en faveur de la technique se fait aux dépens de l’examen clinique classique, fondé sur l’examen du malade par le médecin : c’est tellement plus facile, moins risqué (juridiquement) et plus rémunérateur de déployer toute la batterie des examens radiologiques plutôt que d’avoir une utilisation raisonnée et prudente, plus favorable à son “flair” de clinicien.
Si certains patients qui ont vraiment besoin d’un examen IRM doivent attendre excessivement, comme par exemple, les patients souffrant d’un cancer, c’est peut-être aussi parce qu’on prescrit trop ce type d’examen pour des patients qui n’en ont pas besoin... Bref, ce type d’étude doit être pris avec précaution : il faut plutôt se demander si les accès aux IRM sont toujours justifiés. Au passage, et un peu perfidement, je ferai remarquer que la radiologie est un peu une rente en France : les radiologues, et leurs “machines à sous”, sont de loin la spécialité la mieux payée en libéral, avec 217 910 euros net (contre 71 320 euros pour un généraliste) par an en 2011, et la seconde la mieux payée à l’hôpital, avec 83 224 euros net par an en 2009... Pas de quoi pleurer misère : la radiologie, ça marche fort, peut-être même trop fort... 

Les médecins parviennent-ils toujours à s'équiper comme il se doit ?   

Quand vous regardez l’étude de près, vous notez que la France, dont nous, les cotisants et contribuables, a fait un gros effort de rattrapage en terme d’équipement IRM : on est ainsi passé de 230 appareils en 2003 à 646 en 2013, soit une augmentation du nombre d’IRM de 181% en 10 ans !
L’étude signale d’ailleurs que l’objectif du plan cancer de 10 appareils pour un million d’habitant a été atteint (et même légèrement dépassé), même si c’est avec deux ans de retard. Je rappellerai que cet effort substantiel a été réalisé sur une période où la contrainte financière s’est beaucoup resserrée, surtout depuis 2010. Donc il n’y a pas de quoi crier au scandale, sauf si en tant qu’industriel vous cherchez à vendre davantage d’appareils ! Le plus préoccupant est plutôt que des écarts régionaux substantiels subsistent. C’est cela la grande faiblesse du système de santé français : vous avez beau investir massivement dans tel ou tel équipement, les écarts demeurent même s’ils sont tirés vers le haut. C’est aussi vrai des inégalités territoriales en matière de densité de médecins : entre 1968 et 1980, on a formé massivement de nouveaux médecins et cela n’a pas réduit les écarts historiques... 

De quand date ce décrochage et quel est le processus responsable ? 

S’il y a un décrochage, ce n’est pas celui que vous croyez : il est à la hausse et non à la baisse et il date du premier plan Cancer qui a impulsé un effort substantiel dans l’équipement en IRM de la France ! Ce n’est pas le goût du paradoxe qui me fait dire cela : c’est l’étude même que vous invoquez qui le dit !!! Si les lecteurs sont dubitatifs, je leur recommande la page 3 de l’étude de 2013. Magnifique exemple du verre à moitié vide ou à moitié plein... Je rappelle que tout cela est de la dépense publique et que donc il faut s’interroger sur son “efficience”. On ne va pas mettre des IRM dans chaque hôpital pour le seul plaisir de “rattraper” la Slovénie et de remplir les poches déjà bien pleines des industriels et des radiologues aux dépens de la Sécu. Que ceux qui ne sont pas convaincus par cette analyse aillent se faire soigner leur cancer en Slovénie, ils verront la différence ! Au passage, je soulignerai que cet usage aussi intellectuellement paresseux qu’économiquement intéressé des comparaisons internationales commencent vraiment à lasser, pour ne pas dire plus, en santé comme ailleurs. Comparaison n’est pas raison. Il est extraordinairement difficile de faire des comparaisons intelligentes des systèmes de santé. 

Quels sont les domaines de la santé les plus touchés ?  

Ce qui est exaspérant avec ce type d’études destinées à faire le buzz c’est qu’elles détournent l’attention des vraies pénuries et des véritables goulots d’étranglement dans l’offre de soins, comme par exemple la médecine générale, de moins en moins attractive financièrement et symboliquement alors même que l’on sait qu’il faut aller vers une offre de soins davantage structurée autour des “soins primaires”. Des spécialités médicales connaissent elles une paupérisation relative tangible : psychiatres, dermatologues, pédiatres, médecine interne à l’hôpital, etc. D’une façon générale, en France, plus un acte est intellectuel et faible en teneur “technique”, moins il est rémunéré et reconnu. A cet égard, la radiologie se situe à l’autre pôle : revenus très confortables, importants investissements publics, etc. Bref, on est dans le contresens le plus total. 

Quelles conséquences cela a-t-il aujourd’hui sur la qualité des soins ? Et à long terme ? 

La qualité des soins, je le répète, n’est pas fonction du recours systématique à la technique. Parfois c’est même le contraire ! Ce qui compte c’est le juste soin, au bon moment, au juste coût. Améliorer la qualité des soins suppose d’abord de faire en sorte que chaque patient puisse accéder aux soins qu’il nécessite médicalement dans le bon timing... Cela suppose par exemple de remédier aux déséquilibres territoriaux en redéployant les moyens et les professionnels. Il serait temps qu’en France on arrête de croire que plus de technique est synonyme de meilleure médecine. A cet égard, il faut davantage inciter les jeunes professionnels de santé à avoir un recours réflexif et raisonné aux examens diagnostiques et mobiliser davantage leur sens clinique. C’est là que réside la bonne médecine. Parfois, certains prescrivent des examens dont ils ne savent pas ou ne daignent pas lire les résultats, c’est quand même un comble éthique et un gouffre financier ! Ainsi, les patients qui ont réellement besoin d’une IRM pourront y accéder dans des meilleurs délais. N’en déplaise à certaines multinationales... 

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