Énergie : la sous-estimation structurelle de la demande, l’autre erreur fatale qui nous a mené au crash<!-- --> | Atlantico.fr
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Des pylônes électriques près d'une centrale électrique dans la campagne de Saint-Laurent-de-Terregatte, dans l'ouest de la France, le 6 décembre 2022.
Des pylônes électriques près d'une centrale électrique dans la campagne de Saint-Laurent-de-Terregatte, dans l'ouest de la France, le 6 décembre 2022.
©Damien MEYER / AFP

Entre cynisme et fantasme

La plupart des scénarios de prévision en matière d’énergie étaient construits sur une réduction de la demande. Comment expliquer cette erreur et ce manque d’anticipation qui fragilisent l'Europe ?

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : Tous les scénarios de prévision en matière d’énergie sont construits sur une réduction de la demande. Mais il n’y a pas de réduction de la demande ni en France ni ailleurs. Comment expliquer cette erreur et ce manque d’anticipation ? Qui sont les responsables ? Les dirigeants ou les entreprises énergétiques ?

Damien Ernst : Les dirigeants sont aveuglés par un discours qui s’est imposé en Europe. Il s’agit du discours de la décroissance. Ils considèrent parfois même que cette décroissance doit s’appliquer aussi au niveau du vecteur de l’électricité. Cela est pourtant paradoxal car la consommation d'électricité devrait connaître une énorme croissance avec la mobilité électrique et avec plus de chauffage électrique. De plus, il va aussi falloir plus d'électricité pour produire cet hydrogène dont on parle tellement et qui sera par exemple utilisé pour remplacer le coke dans les aciéries.

Les dirigeants politiques sont aveuglés par cette fable de la sobriété énergétique. Ils n’arrivent pas à réaliser qu’au niveau de l’électricité, les besoins vont être de plus en plus grands. Il faudrait pourtant investir en fonction de ces nouveaux besoins.

Il y a tout un état d’esprit qui fait en sorte qu’il y ait un voile entre la réalité et la perception de la réalité. Ce dernier est causé par cette idéologie de la décroissance.   

Quelles vont être les conséquences concrètes de la sous-estimation structurelle de la demande sur le marché de l’énergie ?

Avec les coupures ou les augmentations de prix, cela va se manifester par une paupérisation de la population avec une électricité plus chère. Cela va nuire considérablement et mener à sa perte l’industrie européenne qui consomme énormément d’énergie. Par exemple, Volkswagen a gelé son  initiative de construction de batteries en Europe. Il n’est plus possible de développer des industries lourdes en Europe car elles consomment beaucoup d’énergie et cette dernière a un prix beaucoup  trop élevé et une disponibilité non garantie.   

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La France a-t-elle été plus particulièrement fautive que ses voisins ?

L'origine de ces erreurs en matière de politique énergétique vient de l’Europe de l’Ouest.

Les pays de l’Europe de l’Est sont beaucoup plus réalistes.

Les pires pays sont la Belgique, l’Allemagne et la France. Ces trois nations sont les plus aveuglées par cette logique écologiste décroissante et sont le plus dans l’erreur. C’est au sein de ces pays-là que l’on retrouve de forts mouvements écologistes décroissants/anti-nucléaires. Ces mouvements ne prospèrent pas en Pologne, en Italie ou en Espagne.

Cette doctrine politique s’est imposée même si elle n’a pas explosé au niveau des voix. Mais en matière de politique énergétique, elle a été extrêmement influente.  

Est-il possible de pallier ce phénomène de sous-estimation structurelle de la demande ? Comment y remédier ?

Il est important de remonter à l’erreur originelle. Elle vient d’un discours sur l’écologie et la sobriété énergétique. Tous les chiffres sont tronqués et au final cela conduit à un prix de l'énergie qui est très cher, car il y en a trop peu, comme maintenant.

Il s’agit donc d’un discours politique qu’il faut combattre.

On note que des partis de gauche ou de droite qui ne défendent pas cette écologie de la décroissance ont parfois aussi emboîté le pas de ce mouvement, sans en prendre pleinement conscience, par fainéantise intellectuelle.

Cette écologie de la décroissance est aussi très présente au niveau de la commission européenne. Il s’agit donc d’un mouvement politique très influent. Mais pas aux Etats-Unis ou en Chine où il est inexistant.

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Faut-il redouter des difficultés pour les hivers à venir à cause de ce phénomène de sous-estimation structurelle de la demande ?

Il s’agit de la malédiction des systèmes énergétiques. A partir du moment où vous êtes englués dans les problèmes, vous restez en prise avec ces difficultés pendant plusieurs années. L’inertie de ces systèmes est terriblement grande. Voilà pourquoi la France a pu faire énormément d’erreurs dans ses politiques énergétiques ces vingt dernières années sans avoir dû faire face à des risques de black-out ou des prix très élevés car il y avait une grande robustesse dans le système électrique français dans la manière avec laquelle il était conçu. Lorsque le système se dégrade, la qualité de la fourniture électrique est menacée. Les prix deviennent alors très élevés. Ce genre de phénomènes met beaucoup de temps à se résorber et à se réparer.

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