Emmanuel Macron est-il en voie de réussir un grand coup politique et militaire dans le soutien des Occidentaux à l’Ukraine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors d'une conférence de presse commune à l'issue d'une réunion franco-allemande au château Schloss Meseberg à Meseberg près de Berlin, le 28 mai 2024
Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors d'une conférence de presse commune à l'issue d'une réunion franco-allemande au château Schloss Meseberg à Meseberg près de Berlin, le 28 mai 2024
©ODD ANDERSEN / AFP

Une première

Emmanuel Macron a pour la première fois accepté d’autoriser Kiev à atteindre des cibles militaires sur le territoire russe avec des armes occidentales.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Emmanuel Macron s'est dit prêt à autoriser l'Ukraine à frapper les sites militaires sur le territoire russe avec des missiles livrés par la France. Dans quelle mesure peut-on ici parler d'évolution radicale de la position française et européenne concernant l'engagement de l'occident dans la protection de l'Ukraine ?

Viatcheslav Avioutskii : Le président de la République réagit ici à la situation en Ukraine. Nous avons constaté que, suite à un retard des livraisons d’armes en Ukraine due aux Etats-Unis, la situation sur le front s’est considérablement aggravée. Il s’agit donc, en l’occurrence, de rééquilibrer le rapport de force qui n’est pas en faveur de Kiev, en l’état actuel des choses. Il était essentiel, dès lors, que quelqu’un prenne la responsabilité et se place à la tête de cette nouvelle politique de soutien. D’une manière très logique, la France vient de le faire. C’est une grande puissance européenne et c’est – rappelons-le ! – la seule puissance nucléaire de l’Union européenne. Il apparaît évident que celle-ci a toute sa place pour participer à ce rééquilibrage géopolitique et qu’il lui revient de motiver d’autres membres de l’alliance, parfois plus réticents ou cherchant davantage à apaiser Moscou qu’à épauler l’Ukraine. La menace à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés n’est autre que l’effondrement du front en Ukraine.

Au-delà de la question d’une évolution de la position française, il faut surtout souligner qu’il était nécessaire d’en arriver là. Je suis convaincu que l’Union européenne – comme l’OTAN, d’ailleurs – a eu tort de ne pas le faire plus tôt. D’une façon générale, il aurait fallu faire usage de la force bien avant. Pas de manière militaire, s’entend, mais bien de manière démonstrative. Ainsi, dès 2014, il eut été utile pour l’Union européenne, pour l’OTAN et pour d’autres pays du Vieux continent de dépêcher des troupes en Ukraine pour prévenir l’invasion du Donbass que tout ou chacun sentait arriver. Idem pour 2022. Nombreux sont ceux qui voyaient le conflit à deux doigts de démarrer, sans pour autant croire que Vladimir Poutine franchirait effectivement le rubicon.

Pour éviter cette guerre que tous croyaient impossible, il aurait pu s’avérer utile d’envoyer des contingents sur le sol ukranien. Nous avons des raisons de penser que Vladimir Poutine n’aurait probablement pas choisi de s’engager dans un conflit armé si l’Ukraine avait bénéficié d’un soutien important caractérisé par la présence sur son sol de forces armées étrangères. Le scénario auquel nous faisons face aujourd’hui n’est pas si différent ! Notons d’ailleurs que la décision d’Emmanuel Macron s’inscrit dans un contexte très particulier : celui de la tentative, par la Russie, d’élargir le front. Depuis l’attaque lancée contre Kharkiv il y a maintenant deux semaines, le Kremlin s’y essaye activement. Les militaires ukrainiens nourrissent d’ailleurs de nombreux reproches à l’encontre de leurs alliés occidentaux depuis, précisément parce que ceux-ci leur interdisent d’utiliser les armes livrées pour frapper le sol russe et lancer une contre-offensive. Particulièrement quand on sait que la ligne de front passe précisément sur la frontière entre la Russie et l’Ukraine.

La logique voudrait qu’un pays attaqué sur son propre sol puisse riposter ; y compris en frappant le terrain de l’ennemi de l’autre côté de sa frontière. Comment se protéger de ses assauts, s’il n’est pas possible de réagir à une menace que l’on voit pourtant sous prétexte qu’elle n’a pas passé la ligne de front ?

A quel point la position d'Emmanuel Macron fait-elle aujourd'hui consensus, au sein de l'Union européenne ? Fait-il pression sur ses partenaires et notamment Olaf Scholz ?

L’Union européenne est une machine bureaucratique particulièrement lourde. La recherche de consensus est longue. Elle nécessite beaucoup de temps, mesurable en semaines sinon en mois. Rappelons ainsi que pour se mettre d’accord au sujet de la livraison d’armes à l’Ukraine, il aura fallu plusieurs mois à l’Union européenne pour se décider. Pour la livraison d’avions, cela a pris près d’un an et demi. Il y avait ici urgence à ce que les choses avancent et à ce que quelqu’un – la France, en l’occurrence – prenne la tête de ce soutien au front ukrainien pour mobiliser les autres nations d’Europe et créer une dynamique permettant d’éviter la défaite de l’Ukraine face à la Russie.

L’Union européenne, nul ne l’ignore, est une grande puissance économique. C’est aussi une entité dépourvue, pour l’essentiel, de toute puissance militaire. Son influence géopolitique réelle, y compris au sein des zones limitrophes de ses frontières, est quasi-inexistante. La France, à travers les déclarations d’Emmanuel Macron, cherche à montrer à Vladimir Poutine que l’Union européenne peut devenir une puissance géopolitique, qu’elle est capable d’apporter une réponse réelle et crédible aux défis qui lui sont opposés. Y compris sur le plan sécuritaire.

En l’état actuel des choses, l’UE doit effectivement faire face à plusieurs défis. Au Sud, elle est confrontée à la déstabilisation islamiste que l’on connaît bien aujourd’hui. A l’Est, dorénavant, c’est la Russie qui représente une menace. Malheureusement, l’Union européenne n’a pas su – ou pas pu – présenter une vision commune de la politique à tenir face à l’un ou l’autre de ces défis jusqu’à présent. Elle n’a pas développé de solution efficace.

Le discours allemand, notamment sur la question de l’utilisation par l’Ukraine de missiles Taurus, semble moins fermé qu’il n’a pu l’être par le passé. Peut-on penser que la position française finira par s’imposer en Europe ?

L’attitude de l’Allemagne, qui se refuse jusqu’à présent à autoriser l’utilisation de missiles Taurus contre des cibles militaires russes installées sur le sol du Kremlin, peut se concevoir. Depuis les débuts de la construction européenne, l’Allemagne a choisi de s’incarner dans le rôle du moteur économique de l’Union. Bien souvent, elle a préféré laisser le leadership politique à la France, comme cela a pu être le cas quand le général de Gaulle ou Georges Pompidou occupaient l’Elysée. Force est de constater, néanmoins, que c’est un rôle que la France a commencé à perdre au fur et mesure que la puissance économique allemande a cru. Il est aujourd’hui grand temps pour l’Hexagone de réinvestir cette mission de leader et d’incarner cette vision géopolitique.

Naturellement, il apparaît logique, pour l’Allemagne, de tenir la position qu’elle tient aujourd’hui. C’est cohérent avec son histoire, avec les relations qu’elle a pu entretenir avec la Russie depuis le sortir de la Seconde Guerre mondiale. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas aller vers un consensus rapide, faute dans le cas contraire de pouvoir suivre les évolutions sur le front ukrainien. Le rythme de fonctionnement de cette imposante machine bureaucratique qu’est l’Union européenne ne permet pas d’aller assez vite pour éviter la possible catastrophe qui pourrait arriver.

La société allemande, aujourd’hui, est très divisée sur cette question. Une moitié, peu ou prou, de la population espère encore l’apaisement de la Russie et plaide pour une solution diplomatique ou politique. L’autre moitié, en revanche, est très solidaire de l’Ukraine et des Ukrainiens. Le chancelier Scholz essaie pour sa part de faire se rencontrer ces deux positions, ainsi que pourrait le faire un équilibriste. Ce que l’on peut dire, c’est que au courant des deux années de guerre que nous avons vécu, l'Allemagne a cédé progressivement face à l’élan des autres pays de l’Union. Elle ne pourra pas toujours rester isolée.

Compte tenu de la violence des bombardements subis par Kharkiv, d’aucuns pourraient penser que l’opinion publique allemande penche à terme davantage en faveur du soutien à l’Ukraine, mais cela ne reste qu’une hypothèse. Ce qui n’est pas une hypothèse, en revanche, c’est la position de la ministre allemande de la Défense, qui s’est toujours prononcée très en faveur au soutien à l’Ukraine.

Que répondre à celles et ceux qui soutiennent aujourd’hui que la prise de position du président de la République est de nature à provoquer une évolution dangereuse du conflit ainsi qu’un refroidissement nette de la Russie à l’encontre de l’Occident ?

Je dirais qu’il est temps de ne plus se bercer d'illusions, qu’il faut arrêter d’être aveugles. Et cela je ne le dis pas en mon nom propre : c’est une citation que j'emprunte à Sylvie Kauffmann, journaliste au Monde et auteure d’un livre sur les relations entre la France, l’Allemagne et la Russie intitulé “Les aveuglés”. Comprenons-nous bien : la Russie déteste l’Occident. Elle cherche une confrontation avec ce dernier et le considère comme son adversaire existentiel. Dès lors, il est évident qu’une fois que l’Ukraine passera sous son contrôle, le regard du Kremlin se portera sur un autre pays, probablement membre de l’OTAN. C’est une nation hyper agressive et ne pas s’en rendre compte c’est se tirer une balle dans le pied.

Il ne s’agit pas de dire que la guerre est inévitable : elle l’est. Nous pouvons l’éviter. Mais encore faut-il, pour cela, s’y préparer, s’y engager, montrer que nous sommes en mesure de défendre nos intérêts au-delà de nos seules frontières s’il le faut. C’est la condition sine qua non à la dissuasion de nos potentiels agresseurs. Si nous ne voulons pas que l’escalade se poursuive, que des chars russes traversent un jour la frontière avec les pays baltes, il faut agir maintenant et réaliser que la Russie n’est pas neutre, qu’elle frappe partout où elle le peut et qu’elle cherche toujours à ronger la zone d’influence francophone (notamment) quand elle en a l’occasion. Elle tente de rééquilibrer les rapports de force à son avantage. Ce n’est pas un jeu auquel nous pouvons nous permettre de ne pas jouer.

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