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Eduardo Rihan-Cypel : "Le PS a péché par manque d'utopie. Il doit réinventer un progrès partagé"
©XAVIER LEOTY / AFP

L'entretien politique

Eduardo est ancien député socialiste de Seine-et-Marne et actuellement conseiller national du PS. Il est coauteur de "La gauche en commun aux nouveaux paisibles", aux éditions UPPR, essai dans lequel il propose un nouveau départ à son parti.

Eduardo Rihan-Cypel

Eduardo Rihan-Cypel

Ancien Député de Seine-et-Marne 

Conseiller national du PS 

Coauteur de La gauche en commun aux nouveaux paisibles, éditions UPPR.

Voir la bio »

Jean-Sébastien Ferjou : Que vous inspire la stratégie de sortie de la crise des Gilets jaunes mise en œuvre par Emmanuel Macron ?

Eduardo Rihan-Cypel : Je suis un peu inquiet parce que je me demande si le Président ne joue pas la facilité et n’a pas simplement une stratégie qui consiste à retrouver son socle électoral et de manière un peu artificielle un leadership très relatif sur le plan politique en raison de la faiblesse des oppositions. 

Ce serait une victoire artificielle et fallacieuse d'une certaine façon, illusoire du moins, parce qu'il ne serait pas dans ce qu'il a annoncé lui-même pendant la campagne, c'est à dire la réconciliation du pays et des « France ». Là il ne parle pas à 80% des Français mais peut-être à 20%. C'est passer à côté des problèmes révélés par la crise des gilets jaunes. 
Le défi est pourtant bien celui qu'Emmanuel Macron avait identifié pendant la campagne et sur lequel il avait été en partie élu : réconcilier le pays, réconcilier les France, réconcilier les Français pour faire une France qui ne soit pas ce sentiment à deux vitesses. Si d'aventure il réussissait aux Européennes à passer devant le RN, comme l’indiquent aujourd'hui les sondages, ce serait une victoire illusoire acquise sur la division de ses opposants. 

Elle ne réglerait rien à la volonté de réconciliation, de transition démocratique, de meilleur partage des richesses. Pire, même s'il n'apporte aucune réponse réelle à ces enjeux, il pourrait malgré tout gagner l'élection présidentielle... Mais à quel prix ? Il laisserait le pays avec les mêmes fractures, les mêmes problèmes et nous serions de plus en plus proches d'un populisme ou d'une demande autoritaire qui viendraient après Emmanuel Macron. 

Je trouve qu'il rate la dimension historique du moment, qui est celle d'essayer d'associer la colère des gilets jaunes à un processus positif de réconciliation. Il ne s'agit pas d'être tous d'accord : il s'agit de pouvoir vraiment débattre. 

Ce que vous exposez sur ces défis, c'est ce que vous développez dans votre livre « De la gauche en commun aux nouveaux possibles ». Avant d'en arriver au contenu du livre, petite question : juste avant de commencer cet entretien, vous me disiez au sujet de l'habileté d'Emmanuel Macron : « ce qui me fait peur, c'est que si nous, les socialistes, étions au pouvoir, j'ai peur que finalement nous ne soyons enclins à faire la même chose ». Vous venez d'évoquer la faiblesse des oppositions. Pourquoi le PS ne semble-t-il pas capable de s'attaquer au défi politique représenté par les gilets jaunes ? 

Parce que la fracture de confiance frappe tous les responsables politiques, toutes les sensibilités politiques et toutes les élites, même lorsqu'on n'est plus au pouvoir. La fracture sociale identifiée il y a vingt ans -et qui n'a pas été résorbée- nous a amené à une fracture de confiance structurelle. Les citoyens n'ont plus confiance dans leurs représentants et cela vient de la déception de l'expérience au pouvoir de Nicolas Sarkozy et de l'échec en politique qui a été le nôtre au bout du quinquennat de François Hollande, qui est un échec collectif, une sorte de fin de cycle. Cette crise de confiance se poursuit aujourd'hui avec les échecs d'Emmanuel Macron, sans lesquels il n'y aurait pas les gilets jaunes. Et la fin de l'histoire n'est pas encore écrite... Malheureusement, ni le Président le gouvernement ne semblent véritablement s'inscrire dans une tentative de réconciliation et de transition démocratique.

Vous répondez encore sur Emmanuel Macron... mais on en revient au Parti Socialiste ?

Je crois qu'il y a eu un échec politique – et encore je pense que le bilan qui a été le nôtre au cours de ces cinq dernières années, est globalement positif sur la dette, sur la croissance, sur le retour à l'emploi, sur l'ensemble des agrégats économique et sociaux, le pays était dans un meilleur état, mais il y a eu un échec politique.

Globalement positif, la référence est lourde... [NDLR : Georges Marchais avait employé l'expression au sujet du bilan de l'URSS] 

Oui je l'assume !

Sur le fond, puisque vous parlez de chiffres et la France n'étant pas isolée, si on compare nos résultats économiques au reste de la zone euro, ils étaient systématiquement meilleurs avant 2012, systématiquement en deça de la moyenne des autres pays européens ensuite... Au sortir du quinquennat de François Hollande la France allait donc à la fois mieux qu'en 2012 mais moins bien que ce qui aurait pu être. 

Peut-être mais je crois que nos difficultés et notre échec politique sont davantage liés à cette fin de cycle politique dans laquelle nous avons été pris avec François Hollande. C'est pourquoi ça n'a pas beaucoup de sens à mes yeux de soutenir que François Hollande est responsable de cette crise politique. Je pense qu'il a été pris, comme l'ensemble de la gauche, comme l'ensemble des partis politiques dans une fin de cycle. 

Les Français n'ont pas non plus compris la fin de cycle dans laquelle nous avons été faits prisonniers. Elle a échappé à tout le monde alors que si nous en avions pris la mesure, cela nous aurait sans doute permis d'avoir une autre posture, une autre vision de la transition nécessaire de notre pays vers un nouveau monde, vers un nouvel âge démocratique. Nous aurions pu engager un nouveau cycle politique afin d'être à la hauteur du défi. 

Derrière le constat global, que signifie « prendre la mesure » ? Prendre la mesure de quoi ? De l'impact de la mondialisation ? De l'essoufflement d'un modèle économique ?

Prendre la mesure du choc de civilisation. Nous sommes devant des transformations du monde qui sont sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Prendre la mesure que les choses ne peuvent plus durer comme avant. 

Nous avons deux façons de faire généralement dans l'histoire face à des chocs d'une telle ampleur, choc auquel vient s'ajouter évidemment la question écologique, qui change tout, qui nous rappelle à des limites fondamentales que nous ne pouvons pas dépasser au plan économique, au plan de la consommation, au plan de notre vie sauf à risquer la disparition de l'humanité. Il faut donc prendre la mesure de ce choc de civilisation à multiples facteurs. Nous n'avons pas quinze façons d'affronter, quand on est une démocratie du moins, ces moments historiques radicaux : soit c'est par la violence, par la révolution violente, soit par une transition démocratique maîtrisée. C'est cette vision, c'est cette perception, ce discours, cette démarche que nous n'avons pas réussi à porter..

Ce qui fait toujours un peu peur, parce que souvent, les transitions en France, cela se finit par une taxe en plus...

Vous raisonnez à système équivalent mais l'enjeu aujourd'hui est celui d'un changement de système. Comme les partis traditionnels, le parti socialiste ou les Républicains, n'ont pas suffisamment pris la mesure de ce besoin de changement de système, les extrêmes les ont pris à leur charge : Marine Le Pen d'un côté avec le Front National, et Jean-Luc Mélenchon de l'autre côté. 

Y-a-t-il une voie pour une transition démocratique, un approfondissement de la démocratie, un meilleur partage de la richesse produite, et une nouvelle façon de produire ? C'est ce que nous avons essayé de développer dans notre livre en parlant de nouveaux modèles économiques, productifs et écologiques. Quand on parle d'un modèle des nouveaux possibles, c'est pour concilier justement ces choses qui sont nouvelles : la question écologique, la nécessité d'avoir un nouveau développement économique, parce qu'il faut bien créer de la production et préparer la société à la nouvelle donne du travail ; les mutations qui sont devant nous : numérique et intelligence artificielle, qui bousculent et transforment tout dans la société. 

Notre appareil d’État, notre modèle social français, issu du Conseil national de la Résistance, calé sur la société industrielle des Trente Glorieuses, n'est plus tout à fait efficient pour aborder cette crise. Est-ce qu'on jette tout ? Est-ce qu'un va vers un modèle de néo-libéralisation à l'américaine, de responsabilisation individuelle ?

Modèle qui est moins en vigueur aux Etats-Unis en ce moment...

… qui est moins en vigueur depuis Trump – quoique c'est à la fois en vigueur avec un protectionnisme revenu, propre aux Américains, très libéraux à l'extérieur et très protectionnistes à l'intérieur, y compris sous Obama. Une certaine naïveté des Européens le leur avait fait oublier. 

Donc aujourd'hui démocratie locale et nationale doivent être réinventées. La Vème République ne nous permet pas la respiration démocratique attendue et souhaitée par les Français. En même temps, on voit désormais que les seuls qui peuvent réussir sont ceux qui sont préparés à la mondialisation, c'est à dire le plus souvent les Français des grandes métropoles. Les autres se sentent abandonnés. Comment est-ce qu'on peut essayer de concilier tous ses enjeux, de créer une France qui ne soit pas à deux vitesses, qui reste fidèle à son modèle social mais qui a aussi la volonté de se moderniser, une France qui est à la fois pro business et pro social ? Comment on réinvente tout cela ? Est-il possible d'avoir cet esprit du CNR et d'être en plein dans ce calage du XXIème siècle, de ces mutations. Je pense que c'est possible et que cet effort-là, nous ne l'avons pas suffisamment pris en compte pour commencer à mettre le pays sur ces rails. Notre échec est un échec de la vision politique, c'est une crise du futur, et nous avons pêché par absence d'utopie suffisante.

L’inventaire d’un quinquennat –comme celui supervisé par Olivier Faure sur le mandat de François Hollande- est toujours utile sur le chemin de cette quête d'un sens nouveau mais je trouve qu'on ne prend pas suffisamment en considération le changement de cycle dans lequel nous avons été pris et qui nous a tous entraîné là-dedans. 

Le plus important est de regarder vers le futur en s'accrochant au présent. C'est là que nous attendent les Français, notamment ceux de gauche et c'est pour cela que nous avons écrit ce livre, pour essayer de trouver du commun à gauche et de refonder une pensée possible du progressisme. Cette crise que nous traversons est une crise du progrès où même ceux qui pouvaient notamment attendre que leur futur et ceux de leurs enfants s'améliorent, sont aujourd'hui dans la désespérance. On ne croit plus le progrès possible. On pense qu'il est possible uniquement pour quelques-uns et pas pour tous. 

La crise des Gilets jaune exprime cette idée simple de l'aspiration au partage du progrès. Ils aspirent à ce que le progrès soit partagé mais aussi à ce qu'il soit « humain ». Le progrès est vécu aujourd'hui comme déshumanisant.

Précisément car nous sommes à un carrefour historique. Et dans ce contexte, la notion même de progrès est désormais beaucoup moins évidente que par le passé lorsque toute avancée scientifique était accueillie comme un progrès. Aujourd'hui certaines avancées scientifiques, technologiques sont perçues comme n'allant pas être des progrès pour les individus. Ce qui pousse à poser la question : « Qu'est-ce que le progrès pour vous » ?

Des choses très simples. Avoir une alimentation de qualité et en finir avec la malbouffe dont les victimes sont les Français les plus modestes. Lutter contre les difficultés en matière de santé, la pollution... 
Mais avec le recul historique, on s'aperçoit que l'on n'a jamais aussi bien mangé, qu'il n'y a jamais eu aussi peu de morts dans les pays développés en raison de problèmes d'intoxication alimentaire et de la même manière, jamais la pollution n'a été aussi bien gérée. La pollution dans les grandes villes n'a rien à voir avec ce que l'on expérimentait il y a 30 ans...

C'est vrai mais le problème c'est que lorsque vous affinez en fonction des catégories professionnelles vous vous apercevez qu'il y a des inégalités majeures. Que les ouvriers ont une espérance de vie bien inférieure par exemple. Les Gilets jaunes sont l'expression de ce creusement inégalitaire. Les Gilets jaunes qui ne sont pas les « vainqueurs » de la mondialisation voient bien que leur monde est en train de disparaître et ont peur de cette marche du monde qui est enclenchée. Ils voient que c'est une société violente, brutale où il y a de moins en moins de solidarité, de fraternité et que c'est une société dans laquelle seuls les « plus forts » peuvent s'en sortir. Où est la France républicaine qui permet à chacun de réussir et donne en principe aux gens un pied d'égalité pour réussir sa vie ? C'est de cela dont on parle.

Dans votre livre, vous faites des propositions concrètes. Sans rentrer dans le détail du livre qui est touffu, quelles mesures vous paraissent prioritaires ?

Il faut que la question de l'écologie soit centrale dans toutes les politiques publiques. On a essayé de le faire. Sous Hollande il y a eu une très grande loi sur la transition énergétique et aujourd'hui on s'en éloigne avec Emmanuel Macron. Sa politique n'est pas claire. Il faut repenser un modèle économique avec des investissements à long terme sur ce qui fera demain la croissance et la richesse. Il faut investir dans les nouvelles technologies, penser comment cette nouvelle économie va pouvoir venir nourrir et aider des territoires qui aujourd'hui sont abandonnés. Il faut explorer la piste du télétravail. 

Il faut aussi réfléchir sur la santé et la penser de manière transversale, ce que l'on appelle une politique de « grande santé » où à la fois l'alimentation, l'équilibre biologique et psychique soit assuré.

L'intelligence artificielle peut nous aider à construire ces politiques de « grande santé » qui permettrait aussi de répondre à la problématique des déserts médicaux par exemple.

Il faut aussi porter à l'échelle de l'Union européenne un certain nombre de combats. On ne peut pas rester dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Il faut lâcher la bride sur la question des 3% de déficit public. Parler des grands investissements stratégiques que l'Europe devrait faire pour la transition énergétique et avoir une vraie politique d'innovation pour que, demain, sur ce continent de 500 millions d'habitants qui est la première puissance économique et commerciale au monde, l'on se dote d'une vision géopolitique et stratégique qui porte nos valeurs.

Il faut lâcher cette bride ubuesque des 3% pour investir sur notre sécurité collective, investir sur les politiques d'innovation que les États ne peuvent pas faire seuls. Il faut faire en sorte que l'Europe devienne une nouvelle utopie. C'est à tout cela que nous devons penser mais il faut une vraie vision de l'Histoire pour reprendre le contrôle de la notre.

Vous parlez de reprendre le contrôle mais comment reprendre le contrôle dans un monde où des multinationales échappent à la territorialisation alors que les citoyens eux ne peuvent pas y échapper. 
C'est la grande bataille du 21e siècle dont l'Europe est encore absente. Nous sommes une colonie numérique des États-Unis et il faudra je crois prendre au sérieux la bagarre pour protéger nos citoyens au 21e siècle. Ce qui suppose de concevoir une notion nouvelle que nous avons fait figurer dans ce livre qui est celle de « l' intimité numérique ». La protection des données personnelles est une protection de notre intimité. 

Notre vie dans le cyberespace n'est pas suffisamment protégée aujourd'hui. Je pense qu'il y aura un immense rapport de force au 21e siècle entre des entités privées extrêmement puissantes ayant pour elles le pouvoir de la techno-finance et de l'autre côté les entités publiques, États ou entités supranationales, qui devront assumer le bras de fer pour savoir qui contrôle quoi. 

Comment nous assurer que les citoyens ne soient pas victimes de nouvelles spoliations par des entités privées (comme les GAFAM) ? Comment ne pas être sous le joug d'un droit privé ? Tout ça, ce sont des questions que nous devons nous poser collectivement et un combat que nous devons mener. Ce que nous avons essayé de faire dans ce livre c'est justement de proposer des pistes. 

L'enjeu, c'est de construire la démocratie de la société numérique qui est en train d'advenir. 

Votre livre est riche en propositions mais pour être un peu provocateur, si l'on raisonne en termes d''efficacité politique, est-ce qu'il ne vous manque pas le concept qui permette en une seule phrase de définir le projet politique ? 

Quand il y a un problème de fond, il y a toujours un problème de langage. Quand vous avez le mot c'est que vous avez le concept. Pour moi, pour résumer je dirais que l'on pourrait résumer tout cela à l'idée de « progrès partagé ». Mais encore une fois que met-on dedans ? Il faut un nouveau système pour d'abord créer le progrès et arriver à le partager. En France comme on le soulignait il y a des améliorations mais le progrès est mal partagé, de plus en plus accaparé par les « puissants », ceux que les gens appellent « les élites ». 

On a voulu mettre dans ce livre un cadre d'idées qui permet de produire une doctrine politique nouvelle du progrès qui ne s'arrête pas à la seule gauche. Je n'ai jamais considéré que la droite était uniquement bêtement conservatrice. De Gaulle a porté de grandes innovations industrielles. Nous en avons hérité le TGV, le nucléaire, la modernisation de l'agriculture... Les frontières politiques ne sont pas aussi simples et c'est bien la raison pour laquelle il avait un spectre politique très large. C'est la raison pour laquelle il avait réussi y compris avec des communistes à la Libération. 

Je suis convaincu que je peux me retrouver avec beaucoup de gens sur ce qui est écrit dans ce livre et pas uniquement avec des gens de gauche. Aujourd’hui par exemple l'écologie n'est plus l'apanage de la gauche. Elle est une victoire culturelle de l'ensemble des forces politiques. 

Deux questions sur la gauche justement. Une sur le futur. Vous parlez beaucoup d'écologie, de manière plus large la gauche semble vouloir se reconstruire autour de cela, on le voit avec Raphael Glucksmann par exemple. Est-ce ce thème qui pourrait unir de nouveau la gauche ? Deuxième question qui elle porte plus sur le passé, le sociologue américain Robert Patnam expliquait dans son livre Bowling Alone que l'Etat providence quand il devient trop gros est un monstre qui dévore ses propres enfants car d'une certaine manière il finit par tuer les réseaux de solidarité naturelle et donc tuer la confiance par laquelle il existe. 

La gauche s'est perdue ces 15 dernières années dans une vision social-libérale et en investissant uniquement le terrain de la gauche sociétale. En oubliant la radicalité du social à laquelle Jacques Lacan nous invite à penser en disant que « l'inconscient c’est le social ». Il y a beaucoup de profondeur dans cette phrase. Dans le social il y a la radicalité des rapports et de la vie et c'est ce que la gauche a oublié. C'est cette gauche sociétale qui a longtemps été incarnée par un certain nombre de figures politiques notamment écolo qui ont nourri le PS et qui nous ont fait oublier un certain nombre de fondamentaux et en investissant de plus en plus un chemin « social libéral ».

Ce qui a donné « L'UMPS » ou « En Marche » ?

Cela a pu effectivement nourrir l' « UMPS » ou ce qui a fait la force d'Emmanuel Macron, l'idée du « ni droite ni gauche » pendant la présidentielle. L'avenir ne peut pas être cette « gauche sociétale.

Pour revenir à la question, est-ce que trop de social n'a pas fini par tuer le social ? 

Non, je pense qu'il y a des évolutions dans la société et que l’État providence qui était calé sur un modèle industriel et des gens « massifiés » devient aujourd’hui moins efficient. J'ai développé l'idée d'une « Europe providence ». Il faut un nouveau partage justement des politiques de solidarité et d'aides entre collectivités locales, nations, Europe. Il faut repenser les rapports et les puissances publiques doivent venir aider les initiatives locales. Il faut laisser la société faire mais l'aider à faire là où elle fait bien. Que l'on n'aille pas inventer des usines à gaz quand les initiatives locales se font et se font bien.

Et parfois les initiatives d'acteurs privés ?

Exactement quand elles se font bien là encore. Et c'est là que la gauche doit se rénover. Ce n'est pas simplement la « gauche pro-business » comme l'a déclamé Manuel Valls et qui avait des accents de voix conservatrice. Il faut être pro-business là où le business est le plus inventif, là où il est le plus disruptif. 

Aujourd’hui en France vous avez par exemple toute une économie viticole qui s’est réinventée grâce aux nouvelles technologies. On arrive grâce à ces dernières à mieux comprendre les phénomènes météorologiques par exemple. En tant que chef d'entreprise aujourd'hui, c'est ce que je fais moi aussi. Avec mon associée, nous fabriquons des caleçons en coton mais en essayant d'avoir un peu d'inventivité, d’innovation dans un domaine traditionnel. 

Ce genre d'initiatives vous en trouvez partout et il faut créer un modèle de puissance public national qui ne soit pas un mammouth incapable d'avoir l'agilité nécessaire pour laisser faire là où cela se passe bien. Il faut aujourd'hui une nouvelle hybridation entre l’État, les collectivités locales et les citoyens.

Que manque-t-il à la gauche pour y parvenir ? 

Il nous manque de l'inventivité et simplement l'envie de vouloir réussir ensemble et la capacité d'inventions pour viser une nouvelle utopie. 

Du coup l'écologie n'est-elle pas un cadeau empoisonné  dans le sens où évidemment, c’est une thématique qui recouvre des enjeux déterminants mais où cela peut aussi empêcher de réfléchir à d'autres enjeux ? 

La thématique écologique est un problème lorsque l'on en fait juste un totem, un emblème. Croire que tout se résoudra d'un coup est faux. C'est pour cela que la loi sur la transition énergétique est importante. Moi par exemple je suis pour le nucléaire car c'est un enjeu de souveraineté important mais je sais qu'il faut en sortir sur le long terme. Il faut utiliser ce que l'on a investi dans le nucléaire pour arriver dans une société nulle à la fois en carbones et en déchets nucléaires. Mais c'est un travail à mener sur le long terme. 

Mais la gauche a-t-elle le temps devant elle justement ? Les enquêtes d’opinion pour les Européennes montrent que l’électorat existe mais qu’aucun candidat ne parvient à s’imposer dans l’univers de la gauche ni « mélenchonienne », ni « macronienne ». La crise des Gilets jaunes ne montre-t-elle pas l'urgence absolue d'une reconstruction ?

Complètement. Dans ce livre lorsque l'on parle de la dépression française, des nouvelles douleurs contemporaines, nous avons compris que tout cela pouvait exploser à n'importe quel moment du fait d'une perte de sens. Les gens ne croient plus au progrès ni à la possibilité du progrès pour tous.

C'est la raison pour laquelle si la gauche doit réinvestir l'idée de progrès de manière sérieuse. L'écologie doit en être le moteur pour cela. Elle est un moteur qui refixe ne chose simple que l'on a oublié car nous sommes tous collectivement dans l'idée de la « toute puissance » de l'enfant. Nous pensons être tout puissants mais ce n'est pas vrai. Nous ne pouvons pas tout commander, tout produire. Il y a des limites qui, si elles sont franchies conduiront à la disparition de l'Humanité. 

Nous avons une chance aujourd'hui, c'est que nous sommes en train de construire un monde totalement nouveau. Si nous sommes intelligents et que nous visons loin nous pouvons faire face à ce choc de civilisations. Jamais la gauche n'a réussi autrement que dans les grands moments d'Histoire. Nous sommes dans un monde instable et dangereux. Un grand peuple comme le peuple français peut reprendre la main sur la maîtrise de son destin. Les conditions historiques, économiques et sociales sont réunies. Donnons-nous simplement la volonté politique, un peu de confiance en l'avenir. 

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