Édition des gènes et dilemmes éthiques : un sommet du génome crucial se tient cette semaine <!-- --> | Atlantico.fr
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Le scientifique chinois He Jiankui prend la parole lors du deuxième sommet international sur l'édition du génome humain, le 28 novembre 2018.
Le scientifique chinois He Jiankui prend la parole lors du deuxième sommet international sur l'édition du génome humain, le 28 novembre 2018.
©AFP / Anthony WALLACE

Progrès de la recherche

Le troisième sommet international sur l'édition du génome humain s'est déroulé à Londres cette semaine. Cet événement a rassemblé des centaines de scientifiques, des médecins, des bioéthiciens et des patients.

Jean-Christophe Pagès

Jean-Christophe Pagès

Jean-Christophe Pagès est professeur de biologie cellulaire à l'université Toulouse 3, où il dirige le laboratoire hospitalier de biologie cellulaire. Ses travaux de recherche portent sur la génétique et les approches de transfert de gènes, avec un accent particulier sur la biologie rétrovirale comme outils pour développer des thérapies géniques.

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Atlantico : Des centaines de scientifiques, de médecins, ou bioéthiciens se sont réunis à Londres entre le 6 et le 8 mars pour le troisième sommet international sur l'édition du génome humain. Quel était le thème de ce sommet ?

Jean-Christophe Pagès : Avec l’émergence d’outils moléculaires permettant de modifier de façon spécifique et précise les génomes (patrimoine génétique), il est possible de changer certaines fonctions des organismes vivants, de la bactérie jusqu’aux cellules de plantes et d’animaux, y compris les cellules humaines. Les objectifs de ses modifications couvrent la compréhension des mécanismes physiologiques, tous les laboratoires de recherche les utilisent, mais également les modifications en thérapeutique chez l’humain, ou des modifications chez les plantes et pour les animaux de rente (résistance aux maladies, aux stress hydriques…) pour l’agronomie. Ce qu’apportent ces techniques est la précision la rapidité, et donc de meilleures garanties de ne pas perturber la physiologie naturelle de ces organismes.

Pour les êtres humains, la question du type de cellules modifiées, somatiques (cellules du corps ne participant pas à la reproduction) ou germinales (qui participent à la formation des gamètes), se pose car en modifiant les cellules germinales la descendance sera porteuse des modifications. Or depuis la convention d’Oviedo en 1997 la majorité des états se sont accordés à ne pas modifier les génomes de façon héritable pour les humains. L’émergence du système CRISPR/Cas a bouleversé l’approche de ce point de par la précision de modification qui est aujourd’hui envisageable, et du fait que certaines maladies héréditaires ne pourraient être abordées que de cette façon-là. Attention, il ne s’agit pas de faire disparaitre les maladies héréditaires, c’est impossible du fait de néo-mutations qui surviennent à chaque génération, mais de permettre à des personnes de ne pas donner naissance à un enfant malade, comme c’est actuellement fait avec le diagnostic prénatal ou préimplantatoire.

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Toutefois, cette possibilité active la crainte de pratiques eugéniques. C’est un point majeur qui oblige les communautés scientifiques et médicales à exposer l’avancement des investigations à la société et aux décideurs politiques de sorte que le cadre d’éventuelles pratiques soit défini. Il est aussi essentiel de connaitre l’avancement des techniques pour s’assurer de leur précision, d’autres questions techniques restent également en suspens (timing de la modification dans les œufs ou les embryons…).

En quoi ce sommet était-il important ? Y-a-t-il eu de grandes annonces ?

Ce sommet est important car depuis l’apparition des techniques et l’annonce par He Jiankui de la naissance de 3 enfants « génétiquement » modifiés, la majorité des sociétés savantes en science et médecine ont demandé qu’il n’y ait pas d’utilisation tant que les connaissances des impacts moléculaires n’auront pas été mieux précisées. Ce qui implique la poursuite des recherches, y compris sur des cellules humaines, mais qu’aucune application clinique ne soit entreprise. Les sociologues, les philosophes et grands courants de pensée, ainsi que les organes d’informations doivent connaitre et maitriser la portée des avancées, si l’on veut que les décisions soient prises avec la meilleure information. Ces questions surviennent dans le monde présent où la démocratie n’est plus portée par la seule représentation élue. C’est l’un des enjeux de ces réunions. Les questions d’équité d’accessibilité, de coût, surtout dans un monde où la création de nouveaux marchés est parfois portée indépendamment de la maturité des technologies ou de la préparation de la société à les intégrer. En médecine, la souffrance attire souvent autant les charlatans que les imprudents et les avant-tout businessmen. On le voit déjà dans les thérapies cellulaires. Et c’est un risque de confusion autour d’une économie de la promesse, que manipulent tant les opposants que les affairistes, ce sont alors les médecins rigoureux qui se trouvent en difficultés, et les patients (que nous sommes potentiellement tous) qui en souffriront.

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Mis à part une information sur les évolutions techniques aucune nouvelle fracassante n’est attendue.

Depuis le précédent sommet, qui a eu lieu en 2018 à Hong-Kong, la recherche en matière d'édition de gènes a-t-elle vraiment progressé ?

Oui beaucoup, sur les outils eux-mêmes, précision, taille méthodes d’utilisation, type de cellules à modifier, modèles humains. Ce dernier point étant lui-même source de controverses, jusqu’à quel stade de développement peut-on cultiver des embryons, formations de chimères… A côté de cela, dans le cadre de la thérapie génique, les essais de thérapies sur les cellules somatiques sont très nombreux et donnent des résultats particulièrement encourageants (maladies de l’hémoglobine, de surcharge métabolique, cancérologie…). Les recherches de méthodes d’apport de l’information de correction sont cruciales, c’est dans ce domaine que les attentes sont fortes. Si l’on sait couper le génome pour activer la réparation, apporter le modèle pour la correction reste complexe, bien que de nombreuses approches sont en cours d’être évaluées. Certaines prometteuses manquent encore d’efficacité.

Enfin, les méthodes de vérification de la précision des modifications sur le plan génétique sont de plus en plus précises. De ce point de vue, il serait essentiel mais complexe pour des raisons pratiques et éthiques, de mieux connaitre le devenir des enfants nés de l’inacceptables réalisation de He Jiankui.

Si ce sommet londonien laisse entrevoir de fabuleuses découvertes pour l’humanité, existe-il également des craintes au sujet des expérimentations sur l’édition de gènes ?

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Les craintes concernent l’eugénisme, l’idée que l’on se fait de ce que seraient les potentiels « d’amélioration » de l’espèce humaine. C’est un point complexe à développer en peu de ligne, mais il faut savoir que nous ne connaissons aujourd’hui toujours pas précisément le support biologique de la conscience (bien que l’on comprenne à l’échelle moléculaire le fonctionnement d’un neurone !!), qu’une définition univoque de l’intelligence est certainement impossible, que les relations génétique/environnement sont complexes, et que si nous sommes faits sur la base d’un programme génétique le développement fait appel à beaucoup de stochastique, la prévision est donc en partie hasardeuse. La médecine prédictive reste à définir, surtout sur le plan de ce qui échappera ! Toutefois, certaines caractéristiques, notamment d’esthétique, ont une génétique simple qui peut attirer certains acteurs économiques. Comme indiqué plus haut, l’égalité, l’équité d’accès à ces techniques est source d’interrogations, alors que certains des acteurs ne comprennent pas la biologie sous-jacente.

Quelles sont les interrogations éthiques qui perdurent sur ces sujets ?

La question éthique est liée, comme indiqué plus haut, à la compréhension de ce que nous sommes et aux conséquences en matière d’enjeux économiques et de société. Tant de personnes confondent évolution Darwinienne et compétition pour la survie (ce qui est en grande partie faux, il y a plus de symbiose que de compétition dans la nature), ce qui justifie à leurs yeux des approches économiques dénuées d’humanité, qu’il faut que les scientifiques et médecins rappellent notre compréhension (encore incomplète) de la biologie. Il me parait crucial de construire des espaces d’échanges, de partage, et que les acteurs politiques s’y intéressent, hors des enjeux du moment présent, prendre le temps de la compréhension. Car notre pouvoir créatif très fertile tend à nous faire échafauder des scénarios souvent inadaptés, portés par des craintes qui pourraient tragiquement être autoréalisatrices.

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