De SVB au Crédit Suisse : mais pourquoi tant de trous dans la raquette de la prévention des crises financières ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Crédit Suisse
Crédit Suisse
©GABRIEL BOUYS / AFP

Plus jamais 2008… ou pas

Malgré l’énorme effort de réglementation prudentielle réalisé après la grande crise des subprimes, les Etats-Unis et l’Europe réalisent que les risques d’incendie financier ne sont pas totalement circonscrits. Et commettent encore des erreurs face aux départs de feu.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

Voir la bio »
Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

Voir la bio »

Atlantico : Que peut-on tirer comme leçon concernant les efforts faits au niveau de la réglementation prudentielle ? Qu’est-ce qui n’a pas été bien fait et qui aurait pu être évité, notamment dans les cas de plusieurs de ces banques ?

Don Diego de la Vega : La prévention est très difficile dans ce domaine puisque nous avons un système de réserves fractionnées. Dans le cadre de celui-ci, s’il y a une rupture de confiance, un début de “bank run”, ça peut aller très loin et très vite sans qu’il soit très facile de prévenir quoi que ce soit. Donc, la première chose est la modestie. Le système est intrinsèquement vulnérable. On ne parle pas de secteur bancaire, il faut toujours parler de système bancaire. Dans un système, la solidité de celui-ci peut s’évaluer à partir de la résilience du maillon le plus faible. Cela s’est vu dans le système monétaire européen il y a une douzaine d’années quand les gens ne comprenaient pas que le maillon grecque était très important. C’est une chaîne de responsabilité. La bonne image est celle du domino. Il ne suffit pas d’avoir un bon bilan, de bons actifs, de bons ratios et d’être un bon élève au sens de la régulation macroprudentielle car de toute façon on est contaminés si jamais les maillons plus faibles en amont se mettent à tomber. Cela concerne actuellement SVB et les banques locales américaines qui sont dans la tourmente depuis plus d’une semaine. Il y a pas mal d’acteurs régionaux qui sont stressés, ils font face à des retraits massifs. Puis, on retrouve le Crédit Suisse qui est une autre affaire. C’était une sorte de “bank run” au ralenti depuis plusieurs années. En crise depuis maintenant 15 ans, en particulier depuis 3 ans et encore plus depuis 6 mois. C’est une gradation dans le cadre d’une banque avec de gros problèmes depuis fort longtemps. 

À Lire Aussi

Bourses et banques en nette hausse à l'ouverture en Europe

De toute façon l'œuvre prudentielle est très difficile à la base car intrinsèquement c’est un secteur très compliqué et complexe. Malheureusement on peut avoir un bon acteur et il peut être au tapis en trois jours même s’il a respecté tous les ratios. Le levier dans ce secteur est tel que de toute façon si jamais il y a une rupture de confiance et que les personnes se jettent aux guichets, il n’est pas possible d’avoir les liquidités pour tout le monde.

Les efforts ont été faits aux Etats-Unis assez massivement en 2008-2009 car dans ce pays, ils ont recapitalisé les banques. Alors même qu'aux USA, le narratif dominant était que les banquiers commerciaux étaient responsables de la crise de 2008. Malgré cela, les Etats-Unis ont décidé de recapitaliser les banques. Le problème est qu’en Europe, c’est beaucoup plus fragmenté. Cela prend plus de temps. La BCE a annihilé le problème pendant des années et il y a eu des complications qui ont fait que la recapitalisation du système bancaire européen a été trop peu et trop tardive. Cela n’a pas été complètement parachevé. Le gros de la réglementation a été de la bureaucratie. Il s’agissait de protéger la peau des régulateurs et non pas véritablement de protéger les banques. Après, il y a eu des ratios qui ont été posés. Mais la preuve qu’il n’y a pas eu tant de mouvements que cela est que les 800 banques italiennes ou les 1500 allemandes sont toujours là. Il y a eu très peu de regroupements bancaires, ni même de transformations des pratiques. La gouvernance des banques est toujours dysfonctionnelle, ainsi que le casting. Même s’il y a moins de leviers, il y a toujours cette vulnérabilité intrinsèque. C’est un échec de la régulation mais surtout de la supervision bancaire, et en particulier du lien entre politique monétaire et régulation bancaire.

Le problème, c’est que les banquiers centraux ont posé des réglementations, mais ils ont oublié un petit détail, ils ne se sont pas posés de règles à eux-mêmes. En particulier celle qui a été violée, la règle de ne pas dépasser 300 points de base de hausse de taux sur 12 mois pour la Fed. Elle aurait dû être posée et respectée.

Eric Dor : Vous pouvez faire toute la régulation prudentielle que vous voulez en rendant les banques plus solides et c’est l’important pour protéger les déposants. Mais il n’est pas possible d’empêcher des paniques irrationnelles d’arriver. Pour le cas de SVB aux Etats-Unis, il y a un défaut de régulation. On distingue bien la responsabilité très forte de l'administration Trump qui a allégé la régulation mise en place après la crise financière. Il l’a fait pour les plus petites banques. Ce qui fait que celles comme SVB n’étaient plus soumises à un test de résistance. C’est pour ça qu’il n’y a pas de superviseur qui a constaté son exposition excessive au risque de duration, au risque de hausse des taux d’intérêts. Par exemple, ça n’aurait pas pu arriver dans la zone euro car une banque de la taille de SVB est soumise à un test de résistance. On aurait constaté une exposition excessive au risque de hausse de taux et on l’aurait obligé à corriger.

L’allègement de la régulation pour les plus petites banques était une erreur. Il y a un trou dans la raquette qui a été un peu auto-infligé par les autorités américaines mais ça n’aurait pas été valable chez nous. 

Pour le Crédit Suisse, d’une certaine manière, il n’y avait pas de défaut de régulation au sens où la banque était solvable et liquide. Elle a simplement souffert d’une panique bancaire. Le fait d’avoir annoncé, en pleine défiance bancaire à cause de SVB, qu’elle avait des défauts de surveillance a refroidi les investisseurs qui étaient déjà défiants à l’égard des banques. Et aussi le fait que son actionnaire principal saoudien dise que de toute façon il n’est pas question de remettre au pot de sa part. Tout ceci a conduit à devoir sauver la banque. Dans cette situation, on ne peut pas vraiment dire qu’il y a eu un défaut de régulation.

A quel point les régulateurs financiers européens peuvent-ils en vouloir à leurs homologues américains ?

Don Diego de la Vega : Il y a deux dimensions qui cohabitent et chacune est vraie. On pourrait reprocher aux régulateurs américains un certain nombre de choses. Et notamment que Jerome Powell et ses copains se sont débrouillés pour qu’il n’y ait qu’une dizaine de gros établissements qui soient véritablement assujettis aux règles. Toutes les autres, les petites banques, ne sont pas soumises à des ratios très drastiques. On le voit avec SVB, elle a pu avoir un portefeuille HTM qu’elle n’aurait pas eu si elle avait été régulée comme une banque européenne. Donc, on peut dire qu’il y a eu une régulation américaine qui s’est concentrée sur les très gros établissements, dits systémiques, mais du coup qui restait très laxiste sur les petits. C’est une réalité.

Mais il ne faut pas oublier une deuxième réalité. Quand les régulateurs européens donnent des leçons, c’est un peu comme l’homme des neiges qui critique la pratique du ski hors piste. C’est se moquer du monde car le régulateur européen ferait mieux de se taire une bonne fois pour toute. Depuis 15 ans, il faudrait écrire des dizaines de livres sur l’incompétence du régulateur européen. Il ne faut pas oublier la faillite totale des banques allemandes. Rien qu’en France, il y aurait moyen de rigoler. Si on veut s’amuser, on peut. Le régulateur européen ferait mieux de ne pas se mettre dans la peau typique du décideur d’Europe qui, à chaque problème, déclare que ça vient d’Amérique, que les règles sont parfaites et qu’il n’y a rien à apprendre des autres. On est les plus gros fauteur de troubles de la planète. Un peu de modestie. Si la BCE voulait s’amuser à continuer à monter ses taux, dans six mois, on aurait les problèmes des Etats-Unis mais en puissance 10. Chez nous, il n’y a pas qu’un problème de liquidité, il y a un souci de solvabilité. Les problèmes européens sont donc beaucoup plus lourds. Le régulateur devrait la jouer modeste.

Était-ce une bonne idée de renflouer le Crédit Suisse ? Et à quel point c’est vecteur de problèmes sur les autres banques ?

Don Diego de la Vega : Si on est dans une logique de prévention, vous faites le ménage, vous essayez de faire jouer l’actionnaire, vous remplacez la direction incompétente du Crédit Suisse et vous demandez des efforts car ce n’est pas normal d’avoir attendu fin 2022 pour avoir enfin un plan de restructuration. Ça c'est en amont. Une fois placé dans la situation dans laquelle nous sommes depuis une semaine, dans ce cas-là il n’y a pas le choix. Au pied du mur, il n’y a pas d’autres moyens que de donner des garanties et par la suite forcer à un mariage. Ils ont marié UBS et Crédit Suisse car il fallait l’adosser et il n’y avait pas le choix. Ils ont mis 100 milliards de garantie en échange car sinon UBS n’aurait jamais accepté. 

Une banque moderne aujourd’hui est un puits sans fond. On ne sait pas ce qu’il y a en dessous. Tant qu’elles se font confiance et qu’on est en haut du cycle, tout va bien et le levier est positif. Le problème est que quand on commence à avoir une défiance, à la limite, elle est infinie.

Le Crédit Suisse devait être adossé. Pour que cela soit adossable et que UBS ne perde pas trop de terrain il fallait que la banque de Suisse mette de la liquidité et que l’Etat donne sa garantie. Maintenant la banque et le contribuable suisse sont impliqués. Puis, certainement, UBS va procéder à des milliers de licenciements chez Crédit Suisse car ils ne pourront pas garder 50.000 personnes qui font à peu près la même chose que les 70.000 d’UBS. De toute façon, dans cette situation, c’était soit cela soit armageddon.

Eric Dor : On a sauvé SVB au sens où elle était confiée en gestion au centre des dépôts américains qui va très certainement la revendre à une autre banque pour la continuité des activités. Pour le moment, l’activité de SVB continue mais elle est sous administration temporaire du fond de protection des dépôts. Les déposants ont été sauvés intégralement parce qu’il y avait un début de panique bancaire aux Etats-Unis. Par contre, les actionnaires de SVB ont tout perdu. Mais la banque existe toujours et elle va surement être tôt ou tard vendue. Par exemple Signature, l’autre banque qui a plongé quelques jours après, a été rachetée. La filiale britannique de SVB a elle aussi été rachetée pour une livre sterling par HSBC. 

Aux Etats-Unis, il y a eu une ou deux banques comme SVB qui ont souffert d’une erreur de gestion. Un bilan déséquilibré avec une exposition excessive au risque de hausse des taux et qui n’a pas été couverte par des instruments dérivés. C’est passé en dessous des radars car on a allégé la régulation et on n’a plus appliqué de tests de résistance à une banque comme SVB. Donc là, effectivement, on peut dire qu’il faut muscler la régulation. Il faudrait que de nouveau on étende aux petites et moyennes banques la régulation. Mais aussi, on soit encore plus coercitif à l’égard des banques quand on identifie les problèmes. Car maintenant on révèle que la Fed avait depuis un an déjà remarqué des défauts chez SVB et l’avait fait remarquer. Manifestement, la partie institutionnelle n’était pas telle qu’il y ait une autorité qui puisse forcer SVB à corriger le tir. Donc aux Etats-Unis, il y a encore des progrès à faire en matière de régulation pour les structures disons plus petites, qui ne sont pas des banques systémiques globales.

Ce n’est pas du tout la même chose qu’en 2008-2009 car à cette époque là, presque toutes les banques occidentales avaient le même problème. C’est-à-dire qu’elles avaient acheté des actifs adossés à des prêts immobiliers trop risqués aux Etats-Unis. Ces prêts avaient été titrisés, ce qui veut dire qu’on avait fait des paquets et on les avait vendus à des investisseurs du monde entier dont des banques partout sur la planète. C’est ainsi qu’une caisse d’épargne allemande pouvait se retrouver avec, à son actif, des prêts immobiliers pourris aux Etats-Unis. Mais c’était le cas de tout le monde. On avait donc des raisons réelles de se méfier de toutes les banques car presque toutes étaient exposées à ces actifs toxiques. Aujourd’hui, nous n’avons pas du tout un problème partagé par toutes les banques du monde. Il y a quelques banques avec quelques soucis particuliers qui ne reflètent pas du tout l’état général des banques. Ils ont donc annoncé une mauvaise nouvelle au mauvais moment dans un contexte où tout le monde se méfie des banques.

Le Crédit Suisse a déclaré aux employés que les primes seraient toujours versées plus tard dans la semaine. Est-ce une bonne chose et qu’est-ce que cela peut en dire de l’état du secteur financier ?

Don Diego de la Vega : Cela ne veut rien dire et personnellement ça ne me choque pas. Ce qui est choquant, c’est les dirigeants, pas les cadres, ni les salariés. Ce qui est embêtant, c’est le top management. On sait bien que dans les banques, il y a une petite tendance à avoir une asymétrie d’information. C’est un sujet car cela représente une petite caste. Les hauts dirigeants sont une petite caste, ils se recrutent entre eux, ils ne sont pas très nombreux, souvent ils ont des liens très consanguins avec la banque centrale et ils se traitent très bien. C’est totalement le genre à revendre leurs actions 15 jours avant que la banque fasse faillite. Et ça, malheureusement, à part des enquêtes parlementaires ou des juges, il n’y aura pas de changement. Normalement, ce qui devrait réguler ceci c’est la concurrence mais le problème c’est qu’il n’y en a pas beaucoup. Il n’y a pas beaucoup d’entrants ni de sortants, c’est un peu l’omerta et tant qu’on aura ce genre de personnel avec aussi peu de concurrence, je pense que ça se maintiendra. Peut-être qu’en Suisse il y aura un peu de démocratie mais par exemple, en France, il y a très peu de commissions d’enquêtes sur ce genre de sujets.

Que peut-on reprocher aux régulateurs européens ? Puis, le renflouement du Crédit Suisser va-t-il impacter les banques françaises ?

Don Diego de la Vega : Les régulateurs ne prévoient rien depuis 15 ans et ils ne sont pas très bons. Malheureusement, on a confié le gros de la supervision à un banquier central dont ce n’était pas le métier initial. Il a fallu qu’il s’équipe et qu’il se forme, donc pour le moment, il est un peu à la ramasse. 

Pour la deuxième question, ce n’est pas d’actualité. L’avantage de la France c’est que les banques sont très grosses et concentrées, un peu comme au Canada. Ce qui est plutôt positif par rapport à des pays qui ont des banques régionales ou fractionnées. Donc pour le moment, il n’y a pas de sujet en France. Par contre, quand nos autorités disent qu’il n’y a pas de problème, ça me fait rigoler car ce n’est pas un secteur, c’est un système.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !