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Camilla Nord, qui dirige un laboratoire de neurosciences dédié à la santé mentale à l'Université de Cambridge, a publié un livre « The Balanced Brain : The Science of Mental Health ».
Camilla Nord, qui dirige un laboratoire de neurosciences dédié à la santé mentale à l'Université de Cambridge, a publié un livre « The Balanced Brain : The Science of Mental Health ».
©MAURICIO LIMA / AFP

Santé mentale

Dans un ouvrage, la scientifique Camilla Nord s’interroge sur les connaissances sur le cerveau qui pourraient améliorer notre santé mentale.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico : Camilla Nord, qui dirige un laboratoire de neurosciences dédié à la santé mentale à l'Université de Cambridge, a publié un livre « The Balanced Brain : The Science of Mental Health ». Dans cet ouvrage, elle s’interroge sur les connaissances sur le cerveau qui pourraient améliorer notre santé mentale. Comment les neurosciences peuvent permettre de mieux comprendre et d’appréhender les troubles de la santé mentale ?

André Nieoullon : La question de la santé mentale reste l’un des grands défis de la recherche en Neurosciences et cet ouvrage traduit la préoccupation des cliniciens et des chercheurs qui, en dépit d’avancées significatives, restent globalement assez impuissants face à l’immensité de ces maladies. Cette question constitue l’un des premiers enjeux de santé publique, considérant que la prévalence des troubles mentaux est actuellement évaluée à 17,3% de la population selon les données de l’OCDE, soit dans notre pays environ 13 à 14 millions de personnes. Parmi les pathologies les plus fréquentes, la seule maladie d’Alzheimer et les syndromes apparentés touchent environ 2% de la population et les troubles psychotiques dont la schizophrénie, environ 1% des patients. Les syndromes dépressifs concernent autour de 7% de la population, dont une partie est résistante aux traitements. Quant aux troubles anxieux, dans leur diversité, leur prévalence est supérieure à 20% des 18-65 ans. Et, pour avoir une idée plus précise encore de la situation, il faut ajouter les pathologies développementales comme les troubles du spectre autistique et les syndromes d’hyperactivité de l’enfant avec ou non déficit attentionnel, ainsi que les troubles des comportements alimentaires ou encore tout ce qui concerne la dépendance, au sens large. Tel est l’enjeu auquel sont confrontés les chercheurs, les traitements, lorsqu’ils existent, étant limités le plus souvent à des approches symptomatiques et, en aucun cas, étiologiques !

Le développement des neurosciences oriente vers une forme de molécularisation de l’approche des fonctions cérébrales, conduisant à une modélisation de la santé mentale qui apparaît bien réductrice au regard de la complexité de ces fonctions, mais qui présente, faute de mieux, l’intérêt de pouvoir intervenir, pharmacologiquement notamment, sur certains aspects des maladies. De fait, les modèles biologiques sont fondés principalement sur le concept d’un dysfonctionnement de régions plus ou moins spécifiques du cerveau, en intégrant les interactions entre cerveau et environnement et la notion de neuroplasticité, bases d’une adaptabilité fondamentale en particulier au cours du développement, sans négliger les dimensions émotionnelles et motivationnelles propres à chacun, ce qui a conduit à la mise au point des thérapeutiques médicamenteuses actuelles, que ce soit les neuroleptiques, les hypnotiques et, plus généralement, les médicaments psychotropes. Mais l’approche des pathologies neuropsychiatriques fait aussi appel à de nombreuses autres méthodes utilisant d’autres dimensions que la biologie, y compris les approches psychanalytiques intégrant les concepts de mémoire inconsciente, affect, percept, ou encore pulsions, pour définir la personnalité. D’autres modèles se fondent par ailleurs sur le fait que les comportements sont construits progressivement par apprentissage postulant l’importance de l’expérience vécue, qu’elle soit le résultat d’interactions avec l’environnement « positives » ou « négatives ». Dans ce dernier cas, ces interactions seraient à même de générer des symptômes. Enfin, d’autres modèles intègrent la dimension cognitiviste, formalisant le fait que la représentation du monde pour un individu se construit au cours du développement, en accord avec ce que l’on nomme les approches cognitivistes des maladies mentales. Ainsi les schémas cognitifs qui en résultent permettent de concevoir comment les réactions émotionnelles influencent nos comportements, en postulant que l’individu procède selon son libre arbitre, ce qui lui permet de se conformer à des valeurs construites à la fois par sa propre expérience et par le cadre socio-culturel dans lequel il évolue. On le voit, se référer uniquement à la dimension biologique est excessivement réducteur. Mais, pour l’essentiel, au-delà de la psychanalyse, les Neurosciences prônent que c’est la seule dimension qui permet aujourd’hui d’esquisser une approche thérapeutique, aussi imparfaite soit-elle comme en attestent les échecs relatifs de la biologie psychiatrique.

Les neurosciences permettent-elles de savoir pourquoi certains traitements fonctionnent mieux que d'autres face aux maladies mentales ?

En accord avec les approches neurobiologiques et les données issues à la fois de l’expérimentation animale et de la clinique, de nombreuses limites apparaissent lorsqu’on s’intéresse aux effets thérapeutiques. De façon générale, il est essentiel de rappeler ici que l’étiologie des maladies mentales est très mal connue et que seuls les mécanismes de certains de leurs symptômes commencent à être décryptés. A titre d’illustration, les états dépressifs sont communs à plusieurs pathologies. Ainsi peut-on agir à l’aide d’antidépresseurs sur les dépressions accompagnant plusieurs syndromes ou encore sur les troubles du sommeil ou sur les manifestations de caractère anxieux, tout en ne traitant pas pour autant les maladies mentales dans leur ensemble. De plus, ces symptômes qui s’expriment par les mêmes manifestations n’ont pas forcément la même origine, ce qui explique les échecs thérapeutiques potentiels. En revenant aux états dépressifs, il est opportun de rappeler que certains d’entre eux, selon la pathologie à laquelle ils sont liés, sont sensibles à tel ou tel groupe de médicaments alors que dans d’autres cas, la même dépression va être sensible à d’autres catégories de médicaments ; et que de nombreux cas de dépression ne sont sensibles à aucun des médicaments actuellement disponibles. 

Les patients souffrant de dépression partagent-ils des schémas distincts dans certains circuits cérébraux ? Comment les antidépresseurs agissent-ils sur le cerveau pour faire pencher les préjugés émotionnels négatifs dans une direction positive ?

Votre question illustre parfaitement mon propos. De façon générale, il est communément admis par les tenants de la psychiatrie biologique que les dépressions sont liées à une déficience de la neurotransmission utilisant la sérotonine, un neurotransmetteur essentiel du cerveau. De nombreuses données sont en faveur de cette hypothèse, ce qui conduit à la prescription fréquente des antidépresseurs tricycliques dont les effets principaux se traduisent par un renforcement de cette transmission sérotoninergique. Mais, dans d’autres cas, ce sont les antidépresseurs agissant plutôt sur les systèmes neuronaux utilisant un autre neurotransmetteur, la noradrénaline, qui présentent une meilleure efficacité thérapeutique, et même, dans des cas moins fréquents, ceux agissant sur les systèmes à dopamine du cerveau. Tout ceci pour illustrer le fait que le symptôme de dépression, dans sa diversité, peut avoir des étiologies différentes en rapport avec les effets différentiels de ces médicaments. Et dans une conception plus avancée de ces théories, il est postulé que les troubles de l’humeur ne sont généralement pas liés à l’atteinte d’un seul des systèmes neuronaux mais, possiblement, à plusieurs d’entre eux simultanément. Ainsi, si sérotonine, noradrénaline et dopamine peuvent être associés aux troubles de l’humeur, il est concevable que chacun de ces neurotransmetteurs puisse intervenir en propre sur l’une ou l’autre des composantes de ces troubles de l’humeur, par exemple plus spécifiquement l’impulsivité pour la sérotonine, l’intérêt pour les choses en ce qui concerne la noradrénaline, ou encore la motivation pour l’action, exprimée chez les patients en termes d’apathie, pour ce qui concerne la dopamine. On le voit la notion même de dépression est en elle-même empreinte d’une forte hétérogénéité et nécessite une analyse fine en ce qui concerne la symptomatologie pour proposer l’antidépresseur le plus adéquat, conduisant, comme vous le formulez, à faire que les préjugés émotionnels perçus de façon négative puissent in fine avoir une valence positive.

La recherche de médicaments efficaces contre la maladie mentale n’est-elle pas entravée par le fait que chaque substance chimique du cerveau joue de multiples rôles ? (L’hormone dopamine étant par exemple impliquée dans la dépendance, l’attention et le mouvement). Trouver de nouvelles façons d'identifier le schéma cérébral dans différents cas de maladies mentales pourrait-il aider les patients en proposant un traitement personnalisé et améliorer la recherche de traitements ?

Vous mettez l’accent sur un point essentiel de ces recherches : la question du diagnostic différentiel de ces pathologies mentales. Je viens de mentionner que plusieurs pathologies mentales peuvent avoir en commun un certain nombre de symptômes, ce qui rend la classification clinique de ces maladies parfois bien complexe. Ceci est en partie lié au fait, que vous mentionnez également, que tel ou tel système neuronal peut être lié à plusieurs fonctions cérébrales. Pour reprendre l’exemple de la dopamine, certes sa contribution à la fluidité de la motricité est bien connue mais la dopamine est effectivement, d’une part, l’un des chainons-clé des processus motivationnels (les aspects limbiques des comportements) et, d’autre part, des aspects cognitifs de ces mêmes comportements. Ce domaine est bien documenté et les neurobiologistes ont commencé à décrypter les mécanismes sous-jacents, en considérant notamment que c’est en agissant de façon différentielle à un niveau cortical et sous-cortical que le même neurotransmetteur peut influencer les différents aspects des comportements. Ainsi, selon la composante principalement atteinte par telle ou telle maladie, il est proposé que le syndrome comportemental qui en résulte soit plutôt de type maladie de Parkinson, schizophrénie ou encore exprimé en termes d’altération de ce que l’on nomme « la mémoire de travail » ou de troubles attentionnels. On le voit, s’agissant ici d’un seul système neuronal, la symptomatologie résultant de son atteinte peut s’avérer d’une grande diversité, sans compter que si, au lieu d’un dysfonctionnement qui affaiblit son activité, il existe au contraire une hyperactivité de ces systèmes, alors la résultante comportementale relève par exemple plus d’une hyperactivité motrice ou encore d’un processus de dépendance.

Au total, en accord avec les propos du Dr Nord, ces quelques exemples illustrent la difficulté d’une approche sémiologique de la maladie mentale et la nécessité de mieux comprendre son étiologie, c’est à dire son origine. Beaucoup reste à faire et l’on ne peut que prôner pour une recherche plus active, notamment en ce qui concerne ses aspects dits « translationnels », schématiquement de la paillasse du laboratoire au lit du malade. Malheureusement, ce domaine de recherche n’a pas jusque-là bénéficié dans notre pays d’un soutien institutionnel affirmé et l’on ne peut que souhaiter, qu’en rapport avec les enjeux rappelés ci-dessus, un sursaut puisse intervenir pour faire de ces recherches dans la durée une réelle priorité nationale.

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