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Ce que les dépressifs ont à espérer de la découverte par des scientifiques de la zone du cerveau responsable de leur maladie
©Reuters

Vague à l'âme

Des neuroscientifiques ont identifié la région du cerveau responsable de la dépression et de l'anxiété. Dans les tests sur des animaux, les experts ont réussi à stimuler cette région du cerveau, appelée noyau caudé, qui est liée à la prise de décision émotionnelle et au pessimisme. Cette découverte pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements.

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

Voir la bio »

 Atlantico : Comment cette découverte pourrait-elle aider les spécialistes à mieux comprendre les effets de la dépression ?

Catherine Grangeard : Si vous souhaitez que l’on se penche sur les effets de la dépression, vous avez bien raison ! Que les causes soient selon ces neuroscientifiques strictement localisables, il n’empêche qu’une personne subira des effets que nous connaissons très bien, comme le manque d’envie, la difficulté à faire voire l’impossibilité de se mettre en route. L’aboulie, l’apathie sont des manifestations de syndromes dépressifs, très douloureux à vivre.

Ce sont sur ces effets que nous pouvons nous interroger. Comment avoir une tolérance supérieure aux manques de productivité, aux ralentissements et aux manques de performance ?

Dès le début de cet article, il faut montrer combien des difficultés peuvent être empirées, ou amoindries, par d’autres facteurs. C’est la combinaison entre des éléments innés et d’autres modulables qui permettent de s’extraire d’un déterminisme autrement plus « coinçant » que toute autre chose. L’individu a une marge de manœuvre et c’est celle-ci que nous nous évertuons à développer. L’individu appartient à un système social qui conditionne le propre regard qu’il se porte à lui-même.

A considérer les effets de la dépression comme faisant eux-mêmes souffrir l’individu qui les vit, nous avons une nouvelle piste de prise en charge, une ouverture. Nous avons donc des leviers si on veut bien envisager un individu dans sa globalité…

Les scientifiques ont pu inciter les animaux à prendre des décisions négatives. Selon eux, cette perspective pessimiste sur la prise de décision s’est poursuivie au cours de la journée, bien après la stimulation initiale. À quel point la perspective pessimiste joue-t-elle un rôle sur la dépression ?

C’est dangereux de manipuler telle sphère cérébrale, puis telle autre. Et qui prendra les décisions qu’il faut un peu plus de ceci et un peu moins de cela ? Au nom de quoi ? Je veille ici à faire s’interroger tout un chacun sur ces faits. Aimeriez-vous que l’on intervienne ainsi sur votre cerveau, en amont pour orienter vos décisions ?

Bien sûr que « la perspective pessimiste » a un rôle majeur sur la dépression ! Mais, sa seule origine est-elle dans notre capital physique ou nos conditions d’existence influent-elles ? Ces questions sont à se poser avant de s’engager dans un mode de résolution. Est-ce parce que l’on saurait influer chimiquement ou chirurgicalement qu’il faudrait le faire, ou le privilégier ?

En cas d’échec, pour des dépressifs profonds, une stimulation pourrait éventuellement donner de bons résultats. Vous voyez les précautions de langage que j’emploie. Et ce n’est pas en première intention que ce recours puisse être envisagé. Et d’abord, comment ces personnes sont devenues de telles dépressives ?

Il est donc plus important de s’intéresser d’abord et avant tout à ce qui est plus facilement modifiable dans la vie des patients. Quelles sont leurs conditions de vie ? Il faut tout de même avoir du bon sens. Si quelqu’un est dans des conditions de vie épouvantables, pourquoi ne pas se pencher sur comment les améliorer avant de médicaliser ? C’est effarant de constater comment on ferme les yeux sur le mode de vie et on invente des remèdes !

Vous voulez des exemples ? Quelqu’un qui se sent inutile, sans emploi et sans perspective d’avenir, a-t-il besoin d’une stimulation cérébrale ou de travail pour payer le loyer ? Une personne victime de violences conjugales, d’humiliations, ne devrait-elle pas être aidée à trouver une solution à ce problème de couple qui la détruit ?

Quel peuvent-être les risques de tenter d'expliquer la dépression uniquement d'un point de vue scientifique ? Ne risque-t-on pas d'oublier les facteurs psychologiques ?

La dépression ne peut être expliquer d’un seul et unique point de vue, y compris scientifique. Les risques sont même immenses. C’est tout simplement oublier l’humain, ce qui fait son humanité. Sommes-nous des animaux de laboratoire, des robots ? Par cette question un peu brute, je résume un propos qui demanderait un long déroulé. On peut même se demander pourquoi il y a tant de gens déprimés avant de penser à résoudre la question. Pourtant l’être humain a toujours eu un cerveau !

Parfois, la dépression est un mode d’expression, le seul à disposition d’une personne réduite à s’exprimer par la maladie ! Il serait très peu éthique de refuser de s’interroger avec la personne sur ce qu’elle vit et se contenter de lui administrer un traitement, ou se centrer sur un comportement en négligeant de s’intéresser à elle. Je pense à ces personnes en obésité qui disent manger pour se réconforter, comme avaler des antidépresseurs…

Les facteurs psychologiques sont à examiner non pas à part, en plus, mais faisant partie intégrante d’une personne, qui ne se réduit à aucun de ses aspects, qu’il soit génétique, physiologique, d’une part ou d’autre part comportemental ou enfin environnemental, social. On oublie, en règle générale, de tous les considérer. En revanche, on privilégie tel mode de prise en charge et… ça rate ! Ce qui se comprend. Puisque toute personne est la somme de toutes ces paramètres. Il me semble que c’est parce que l’on ne sait pas travailler ensemble que ça se passe comme ça.

Quels progrès restent-ils à faire tant au niveau de la compréhension de la maladie que de son traitement ?

La transversalité est la réponse. Reprenons les deux exemples donnés à la question 2. Dans ces deux cas, négliger les difficultés de vie de ces personnes et les « soigner » est une erreur, voire une faute car on peut aggraver la situation. Si la personne est déprimée, c’est aussi parce qu’elle a de quoi ! Donc aidons-la socialement, si on le peut. La violence conjugale exige le silence et l’isolement. En parler, d’abord en amont, en prévention, c’est éduquer à ce qu’elle ne se justifie jamais. Ainsi les passages à l’acte diminuent, la tolérance vise le zéro. Et s’ils ont malheureusement lieu, punir l’auteur et le soigner permet à la personne et aux co-victimes de remonter la mauvaise pente. Nous n’avons pas agi directement sur les symptômes dépressifs mais il y a fort à parier qu’ils diminuent…

En ce qui concerne le manque de perspectives quant à l’avenir, le travail, et ce sentiment d’inutilité, est-ce seulement à l’échelle individuelle qu’il faut poser un diagnostic ? C’est extrêmement culpabilisateur de vouloir traiter la dépression alors qu’elle résulte parfois de conditions de vie qui ont à être considérées bien en amont. Alors, nous verrons d’un autre œil ce qui doit être penser comme progrès pour ces « maladies », qui peuvent bien ne pas en être dans certaines situations.

Les dépressions sont plurielles et leur appréhension se doit de l’être également. Isoler la Santé du reste de l’existence est coûteux et n’a pas de sens. Ce n’est pas seulement les manifestations de dérèglement qui sont à traiter mais c’est essentiellement en amont que des facteurs favorisant le syndrome dépressif doit être considéré.

Pour conclure, je vous rappelle que la solitude tue. Plus que d’obésité pourtant tant et tant dénoncée… Parmi les gens dépressifs, cette solitude est durement ressentie y compris en compagnie… Oui, on crève de solitude !

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