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Brise de détente avec la Corée du Nord : le régime de Pyongyang pourrait-il survivre en étant moins paranoïaque ?
©JUNG Yeon-Je / AFP

Besoin d'ennemi

L'annonce d'un sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un a pris le monde par surprise. Mais l'attitude de conciliation qui pourrait se dessiner entre Pyongyang et Washington pourrait priver Kim Jung-un du levier qu'est l'opposition à l'occident.

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico : En quoi l'attitude de conciliation qui pourrait se dessiner entre Pyongyang et Washington pourrait priver Kim Jung-un du levier qu'est l'opposition à l'occident ? En quoi la conciliation pourrait elle être une menace pour le régime ?

Barthélémy Courmont : Il convient d’abord de rappeler que si l’annonce d’une rencontre est une bonne nouvelle, les contours de celle-ci ne sont pas encore clairement définis. Au risque même de s’interroger sur la possibilité d’une incompréhension réciproque autour d’éléments à la fois sensibles et essentiels, comme la différence entre un gel des activités nucléaires de Pyongyang, et une dénucléarisation. Quelle est la part de sincérité, et quelle est la part de l’effet d’annonce, dans ce qui reste un jeu de dupes? La Corée du Nord et les Etats-Unis sont engagés dans une bataille de réthorique, et l’un et l’autre doivent garder la tête haute. Mais derrière ces déclarations de bonnes intentions, ne doit-on pas considérer que parce qu’il s’agit de sa meilleure assurance survie, le régime nord-coréen n’a pas grand intérêt à se défaire de ses capacités nucléaires? À moins que les Etats-Unis ne proposent de réelles garanties sécuritaires et la levée des sanctions - mais le peuvent-ils? - il est assez difficile à ce stade d’imaginer que Kim Jong-un renoncera aussi facilement à ce qui lui permet de négocier, et même marchander, la survie de son régime. Difficile également d’imaginer que Kim Jong-un ne soit pas méfiant, et donc dans un calcul. En dialoguant directement avec le président américain, le dirigeant nord-coréen remporte une victoire diplomatique, puisque c’est précisément directement avec les Etats-Unis qu’il souhaite négocier. Pour son prestige, autant que pour l’affichage du régime, c’est un succès, et rappelons que l’initiative vient de lui (un rencontre était inimaginable pour la Maison-Blanche il y a encore quelques semaines), ce qui est révélateur. Kim Jong-un garde la main à ce stade.

Quels sont les ressorts dont le régime ne peut se passer pour se maintenir ? 

L’arme nucléaire est incontestablement son principal atout. Mais il n’est pas le seul. La perspective d’un effondrement de la Corée du Nord est en soi suffisamment effrayante pour ses voisins pour justifier une forme de statu quo. La proximité de grandes agglomerations, Séoul en particulier, en fait des cibles a portée de tir d’armes conventionnelles, au point qu’en Corée du Sud, la menace nucléaire n’a pas la même résonance que dans le reste du monde, car la menace « conventionnelle » de la Corée du Nord est tout aussi pertinente. Néanmoins, la stratégie du fil du rasoir menée par Pyongyang depuis deux décennies est crédibilisée par le nucléaire, aussi la perspective d’une de nucléarisation, déjà évoquée en 1994 lors des accords de la KEDO (a une époque où la Corée du Nord n’avait pas encore testé d’arme nucléaire), n’est pas encore à l’ordre du jour.

En marge de cette stratégie du fil du rasoir, bruyante et marquée par une avalanche de sanctions en représailles, la Corée du Nord est en train de réformer son économie, avec des résultats qui a défaut d’être spectaculaires n’en sont pas moins significatifs. Cela a surtout pour effet de diminuer l’impact des sanctions, tout en renforçant la légitimité du régime en interne. Là où les espoirs d’une chute du régime s’appuyaient sur les effets d’une stratégie d’étranglement par des sanctions très strictes (et dont la population est la principale victime), c’est désormais une attitude vis-à-vis de ce pays qui est à revoir. Contrairement à son père qui devait gérer un pays en marge de la communauté internationale mais aussi privé de tout, Kim Jong-un bénéficie d’une situation plus favorable. Cela n’est pas une bonne nouvelle pour ceux qui pensent, et ils sont nombreux dans l’administration Trump, que les sanctions peuvent faire plier le régime.

Peut-on imaginer que les dernières annonces faites concernant la dénucléarisation de la péninsule et la rencontre entre les deux présidents soit une tentative de Pyongyang de remettre Pyongyang dans une perspective de "patience stratégique" qui prévalait durant les années précédentes ? Faut-il s'attendre à des déceptions concernant les espoirs suscités ?

La patience stratégique a permis à la Corée du Nord de maintenir son régime dans un environnement post-guerre froide qui n’est pas à son avantage. De fait, Pyongyang alterne en permanence l’affirmation d’une menace, nucléaire de surcroît, et la possibilité de négocier, selon les termes fixés par le régime. Ce fut déjà le cas en 2007, quand l’administration Bush accepta de retirer la Corée du Nord de la liste des États soutenant le terrorisme, répondant ainsi à l’une des exigences de Pyongyang préalable à toute discussion sur son arsenal nucléaire. Penser que la Corée du Nord aurait depuis totalement changé de stratégie serait se tromper sur le régime. Il convient de rappeler que lors de leur rencontre, Donald Trump va apporter comme exigence la dénucléarisation, comme ses prédécesseurs avant lui. Mais face à lui, Kim Jong-un aura une longue liste d’exigences, ce qui lui offre de multiples avantages dans la négociation. Le nucléaire nord-coréen est ainsi une arme de dissuasion politico-diplomatique.

Côté américain, l’urgence est à reprendre pied sur un dossier qui échappe de plus en plus à Washington depuis des mois, et en particulier depuis l’élection de Moon Jae-in à la présidence sud-coréenne et la volonté de Séoul de s’émanciper de son allié américain en prenant l’initiative (avec un succès notable à ce jour) sur ce dossier. De fait, la confusion semble régner à Washington quant à l’attitude à adopter à la fois à l’égard de Pyongyang, mais aussi de la diplomatie expresse entreprise par Séoul depuis janvier, et les déclarations des membres de l’administration Trump traduisent une forme d’incohérence.

Pour ces différentes raisons, il faut rester très prudent quant aux décisions qui seront adoptées à l’occasion de cette rencontre, et surtout leur concrétisation. Il s’agit d’un pas important vers la reprise du dialogue, mais le chemin à parcourir vers une pacification de la péninsule et, plus encore vers une dénucléarisation, reste très long et semé de multiples embûches. Après tout, Américains et Nord-coréens se sont déjà parlé à de multiples reprises, et la visite à Pyongyang de la Secrétaire d’Etat Madeleine Albright en 2000, autant que l’évocation d’une rencontre entre Bill Clinton et Kim Jong-il, furent alors décrits comme le signe d’une détente. On connaît la suite...

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