Breaking Bad pour les nuls (ou comment ne pas avoir l'air ahuri quand on vous parle de cette nouvelle série culte)<!-- --> | Atlantico.fr
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Bryan Cranston, acteur principal de la série.
Bryan Cranston, acteur principal de la série.
©Reuters

Késako

Élue meilleure série dramatique aux Emmy Awards, la série Breaking Bad, qui vient officiellement de s'achever, fait le buzz. Petit cours de rattrapage.

Vincent   Colonna

Vincent Colonna

Vincent Colonna est consultant en séries télé. Il est l'auteur de deux volumes sur la technique narrative de la série télé : L'art des séries télé, tome 1 et 2, Payot éditeur.

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Atlantico : Élue meilleure série aux Emmy Awards, Breaking Bad collectionne les bonnes critiques. Le dernier épisode, diffusé dimanche soir aux Etats-Unis a été largement salué par les fans. Mais qu’est qui fait l’immense succès de cette série ? 

Vincent Colonna : Le succès de Breaking Bad tient à trois choses,  d’abord vous avez l’anti-héros par excellence : un mec  timide qui n’ose pas s’imposer, son meilleur ami a fait fortune alors que lui est resté petit prof de physique-chimie merdique, sa femme ne l’écoute pas, à la maison tout le monde se fout de lui… C’est le looser par excellence et en plus il a une tumeur  qui le fera mourir dans quelques mois. Cette dimension du héros looser fait toute l’originalité de la série. Un peu comme dans docteur House, un homme qui boite, on n’avait jamais vu un héros handicapé avant lui ! Avant les héros étaient toujours des super héros, ils étaient  beaux, forts, puissants. Dans le cas de Breaking Bad, le looser est en plus dos au mur, puisque il va mourir. Avant justement de mourir il veut laisser de l’argent à sa famille, d’où sa reconversion dans le milieu de la drogue. Or le public aime quand le héros est au fond du trou. 

Cette image plaît au public car ce sont des choses que l’on vit. Dans la vie, les ennuis arrivent tous en même temps. Vous avez votre appartement qui brûle, votre enfant fait une énorme connerie, votre femme vous quitte... Dans la vie ce  sont des cycles. Le public aime retrouver ces cycles à travers le héros, c’est exutoire. Il y a une forme de projection et se plaît à voir une personne s’en sortir.

Troisième ingrédient, et pas des moindres, le prof de chimie décide de faire quelque chose de très transgressif. Être un prof de physique-chimie est très banal, mais lui va se servir de ses savoirs pour fabriquer des amphétamines et accéder au milieu des camés, des gangsters. Il faut qu’il y ait cet aspect transgressif dans une série aujourd'hui, sinon ça ne fonctionnerait pas. Prenons un autre cas avec Mad Men. Le héros est peut-être beau et puissant, mais c'est un déclassé social, il vient d’un milieu très modeste et a réussi grâce à une imposture. Ce talon d'Achille extraordinaire le fragilise extrêmement. C’est exactement le cas du héros de Breaking Bad : il est fragilisé sur des dimensions différentes. Dans Mad men, c’est l’adultère, on boit à l'excès, on fume des joints. Dans Breaking Bad c’est la drogue et des portraits de bras cassés, de branquignoles. On nous présente une nouvelle vision du monde.

Dans Breaking Bad, on s’aperçoit que ces mafieux, ces gangsta du rap sont des pieds nickelés. Le cinéma policier en a fait des héros tragiques (comme dans Scarface) mais Breaking Bad nous montre que ce sont des pieds nickelés. Tout repose sur le bluff. A la fin de la saison 1, le héros se rase le crane et il part avec sa mallette, d'un côté les amphétamines, de l’autre les explosifs. Cette image représente bien le côté de bluff, de défi comme au poker, tout repose sur le défi. C’est une recette importante dans la série.

Cette série peu conventionnelle convient-elle justement au public français? Peut-il s'identifier à un vendeur de drogue comme Walter White?

Attention il faut savoir à quel public on s’adresse. On ne parle pas du public en général, parce que Breaking Bad passe sur les chaînes thématiques. C’est une série calibrée pour les chaînes thématiques. Il faut faire la distinction. Je fais la distinction entre les séries sophistiquées comme Breaking Bad, avec les populaires qui passent sur TF1 ou France 2. Ce n’est pas le mêmes public. Esprit criminel est, par exemple,  une série populaire avec 7 millions de chiffres d'audience. Breaking Bad est une série sophistiquée. Si elle passait sur Canal+, elle ferait maximum 1 millions de télespectateurs.  Mad Men,  qui est une série sophistiquée, a fait de très petits scores, 70 000 sur Canal +, ce n'est rien du tout. Les journalistes se sont entichés de Mad Men mais personne ne l’a regardé. Si le public français réagit bien à cette série, il représentera une très petite cible et aurait le même problème que Mad Men. Le public féminin surtout mais aussi des hommes ne supporteraient pas un héros qui vend de la drogue. Au-delà de la morale, ça les gêne profondément, cela touche le rapport affectif. Même aux Etats-Unis, ce sont des petits publics. Il ne faut pas mélanger image et audience. Bien sûr il fait la Une des couvertures, reçoivent des prix… Mais il ne faut pas mélanger image et audience. Breaking Bad moins fédératrice que d’autres séries. TF1 a passé par exemple Dexter en seconde partie de soirée, déjà tard, ça a été une catastrophe. Ils ont été obligé de le mettre en troisième partie de soirée.  Un héros qui tue fait peur, un héros qui vend de la drogue fait peur également. Même aux Etats-Unis malgré les prix, l’audience reste limitée, c’est pourtant leur culture.  Ça froisse les gens. Regardez autour de vous, ce héros-là gêne. La série se passe dans le milieu de la gangsta, c’est déroutant, et un héros vendeur de drogue ça gêne énormément.

Le succès de Breaking Bad est également dû aux performances  de Brian Cranston, déjà célèbre pour son rôle dans la série Malcom. Cette série a-t-elle changé son image dans le monde télévisuel ?

Lorsque l’on récompense une série, ce sont surtout les performances d’acteurs qui sont mises en avant. Un ingrédient qu’on oublie souvent d’ailleurs. Comme Docteur House, Breaking Bad n'aurait pas le même succès sans son acteur principal, Brian Cranston. Il faut trouver la bonne personne, celle qui réussit à être à la fois un petit canard boiteux et un homme capable de négocier avec les gangsters les plus redoutables. Pour jouer un tel rôle il faut posséder tout un jeu de mimiques, de sourires, de gestuelle... A l'instar du cinéma, il faut qu’il émerge une alchimie entre le personnage et l’acteur. Et l’alchimie tient au charisme de certains acteurs. On a redécouvert Brian Cranston en acteur dramatique. Il aurait pourtant pu se faire enfermer dans le rôle de comique après Malcom (il jouait son père). Mais il a montré qu’il était un acteur complet, aussi bon dans le comique que dans le tragique. 

Enfin, la série joue avec un ton humoristique particulier, proche du non-sens britannique, est ce également ici une composante de son succès ?

Tout à fait. Je pense aussi que l’on a passé un seuil dans l'univers télévisuel. Aujourd’hui dans le genre criminel on ne peut plus faire du Scarface, en tout cas dans les séries… Il faut une dose de distanciation et l’humour sert à cela. Si vous faites attention, la série peut faire penser à Weeds. Les scénaristes s’en sont énormément inspiré, dans le thème bien sûr avec la drogue et le fait qu’une personne normale se mette à en commercialiser, mais surtout dans le mélange d’un milieu dangereux avec du loufoque.

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