Accélération du nucléaire : voilà pourquoi il faudra bien plus qu’une loi<!-- --> | Atlantico.fr
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©PATRICK HERTZOG / AFP

La France et le nucléaire

Le projet de loi "relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires" a été adopté en commission à l'Assemblée nationale ce mardi 7 mars.

Alexis Quentin

Alexis Quentin

Alexis Quentin est docteur en physique et ingénieur dans l'industrie nucléaire. Membre de l'association les voix du nucléaire.

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Atlantico : Le projet de loi "relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires" a été adopté en commission à l'Assemblée nationale ce mardi 7 mars. Quels sont les grands objectifs de cette loi ? Qu’est-il prévu pour les atteindre ?

Alexis Quentin : L'objectif de cette Loi était à la base de lever certaines contraintes administratives, sur le même principe que ce qui avait été voté pour les ENR il y a quelques semaines. Par exemple, certaines instructions pourraient être faites en parallèle plutôt que les unes après les autres, ou permettre le démarrage de certains chantiers de préparation plus tôt que ce que la législation actuelle permet.

Cependant, après sa première lecture au Sénat, d'autres points ont été ajoutés. Les sénateurs travaillent depuis longtemps sur la question énergétique et nucléaire, sous la houlette notamment de Sophie Primas, la présidente de la Commission des Affaires Economiques, et plusieurs notes sont sorties ces derniers mois à ce sujet. Les membres de la Haute assemblée ont donc modifié la philosophie du texte en y ajoutant une pointe de politique énergétique, en touchant notamment au plafond de 50% de nucléaire introduit par la LTECV du temps de la Présidence de François Hollande et modifié ensuite sous la précédente législature. L'Assemblée Nationale et la rapporteure du texte Maud Bregeon ont choisi de poursuivre dans cette voie, en adoucissant cependant certaines mesures.

Le texte voté hier peut cependant faire l'objet d'une nouvelle lecture au Sénat, eu égard au débat qui a eu lieu sur la fusion de l'ASN et de l'IRSN.

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Donc en résumé, le texte veut faciliter la vie administrative pour les chantiers d'installations nucléaires (pas uniquement les centrales, mais des installations du cycle du combustible aussi, par exemple) en simplifiant les procédures, ; il souhaite aussi poser les premières pierres de la politique énergétique nucléaire qui sera complétée lors de l'examen de la Loi de Programmation Energétique qui doit arriver à l'été.

Par contre, attention, ce texte n'est pas un texte de relance, car il n'y a pas de commandes de réacteurs ou d'usine du cycle.

Manque d'ingénieurs, de soudeurs, de compétences … Malgré ces bonnes intentions, la filière nucléaire française souffre de nombreux problèmes. Quel est l’état des lieux actuel de la filière ? Autrement dit, de quels maux, de quels retards souffre-t-on ?

Le diagnostic est assez complexe, mais sur le volet de l'emploi, nonobstant son statut de 2e ou 3e filière industrielle du pays, son état n'est pas optimal. Il y a des manques de compétences - on a pu le voir sur les soudeurs notamment - mais aussi d'expérience sur certains domaines, car on ne construit plus de séries de réacteurs depuis longtemps.

Il faut se rappeler qu'au début des années 2010, EDF a mis en oeuvre un plan de suppression d'emploi qui a aussi impacté la filière nucléaire, notamment des compétences dont on sait qu'on aura toujours besoin (robinetiers, soudeurs, ...).Ce plan avait été décidé à l'époque car toute entreprise publique se devait de faire des économies, indépendamment du contexte industriel et social. En outre, le renouvellement du parc aurait dû être décidé réellement au milieu des années 2010, ce qui aurait dû donner une ligne directrice à la filière. Mais les atermoiements politiques et l'incertitude ont eu raison de ces décisions, et les compétences se sont perdues. Par exemple, j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'entendre de la part de sous-traitants, des PME,  "pourquoi voulez-vous qu'on investisse des dizaines de milliers d'euros dans des outils et des gens si on final on ne sait pas si on va s'en servir?".

Ces deux causes sont indéniablement les principales, mais il y a aussi eu l'image du nucléaire, assez mauvaise jusqu'en 2018, qui a eu une influence sur le choix des étudiants d'aller se former sur le sujet. C'est quelque chose que j'ai pu observer dans des établissement d'enseignement supérieur où j'ai pu intervenir.

Donc en synthèse, la filière a souffert de plans de réduction d'emplois non pertinents, d'une incertitude politico-industrielle, mais aussi d'un défaut d'image de l'énergie nucléaire.

Au cours des dernières décennies, dans quelle mesure nos dirigeants ont accéléré la destruction et la désindustrialisation de la filière nucléaire française ? Peut-on parler d’un sabordage de la filière par nos dirigeants actuels et passés ? 

Il est indéniable que les décisions politiques de ces dernières décennies ont eu une influence néfaste sur l'industrie française en général, et pas seulement sur le nucléaire. Sur ce point, je tiens à saluer le travail de la commission d'enquête parlementaire sur la perte de souveraineté énergétique présidée par Raphaël Schellenberger et rapportée par Antoine Armand qui a réalisé jusqu'ici un travail de très grande qualité. Le rapport devrait d'ailleurs être publié dans les prochaines semaines. Ces auditions ont permis de montrer plusieurs choses :

- les dirigeants politiques n'assument pas ou très peu leurs erreurs, et rejettent les responsabilité sur les successeurs,

- la question énergétique n'a jamais vraiment été prise au sérieux et ne servait que de monnaie d'échange pour des accords électoraux. Et même une fois que ces décisions étaient prises, rien n'était fait pour les accompagner. On l'a vu notamment lors des fermetures des sites charbon ou de la centrale de Fessenheim.

J'ai du mal par conséquent à utiliser le terme de sabordage car cela signifierait que les dirigeants étaient conscients de détruire l'outil. Là on a juste l'impression que ce n'était qu'un jouet, des lignes dans un tableur excel en oubliant que derrière les chiffres il y a des personnes, des territoires, et plus globalement l'économie d'une Nation.

In fine, dans quelle mesure faudrait-il plus qu’une simple loi pour reconstruire une véritable filière nucléaire et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ? Quels sont les points les plus importants à mettre en place (formation, etc…) ?

Vaste programme, pour paraphraser le général de Gaulle. Le gros du travail sera fait sur la loi de programmation énergétique qui doit arriver à l'été au Parlement, et à la SFEC, la stratégie française énergie climat, en cours de définition au sein du gouvernement. Si on veut filer la métaphore des dirigeants du vingtième siècle, la neutralité carbone demandera de manière certaine des sueurs et des larmes, et il faut aussi prendre les décisions adéquates pour éviter le sang. Dans la sueur, évidemment l'industrie nucléaire doit y avoir toute sa place. Pour cela, il faut une vision claire, à plusieurs décennies de ce que l'on veut sur le plan de la production d'électricité, du cycle du combustible, mais aussi de certains secteurs comme la production d'hydrogène ou la production de chaleur ou le nucléaire peut avoir sa place.

En outre, il faut un réel plan Marshall sur la formation. La filière aura besoin de plusieurs milliers d'embauche chaque année dans les décennies à venir, et il faudra donc avoir les structures de formation idoine, que ce soit en formation initiale, mais aussi en formation continue. La transition vers la neutralité carbone va entraîner de profondes mutations sur la nature même du travail, en plus des effets du changement climatique. Ces mutations doivent être prises en compte dès maintenant et la formation continue professionnelle est un outil pertinent pour cela.

Enfin, il faut aussi "donner l'envie d'avoir envie". Pour renforcer la filière, il faut aussi que les salariés restent longtemps à l'intérieur, pour garder les compétences et faire monter l'expérience. Cela passe donc par une politique sociale adéquate, liée à une refonte peut-être de la politique salariale, et en plus concernant les sous-traitants à un statut ou une convention collective spécifique qui permettrait d'améliorer leur condition.

Il y a du pain sur la planche, mais rien n'est insurmontable.

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