5 questions gênantes pour comprendre à combien nous reviendrait une réforme des retraites<!-- --> | Atlantico.fr
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La réforme des retraites doit être présentée ce mardi 10 janvier.
La réforme des retraites doit être présentée ce mardi 10 janvier.
©GONZALO FUENTESPOOL / AFP

Nos (si) chères réformes

Alors que le gouvernement doit présenter les contours de sa réforme des retraites ce mardi, un calcul s’impose pour tenter de mettre en balance les économies qu’elle permettrait de réaliser avec les coûts cachés qu’elle pourrait porter.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Patrick Aubert

Patrick Aubert

Patrick Aubert est expert senior à l’IPP (Institut des Politiques Publiques), chef du projet « revenus et incapacités », ancien secrétaire général adjoint du Conseil d’orientation des retraites.

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Atlantico : La réforme des retraites doit être présentée ce 10 janvier. Selon les informations dont nous disposons déjà, combien est-elle supposée nous faire économiser ? A quelles échéances ?

Patrick Aubert : Il n’y a pour l’instant aucun chiffre officiel sur les économies attendues de la réforme, et il faudra attendre l’étude d’impact présentée au Parlement pour cela. Le rendement attendu ne peut en effet pas s’inférer simplement en extrapolant les effets des réformes passées du même type, car tout dépendra des modalités de la réforme : quel calendrier ? Quel rythme de montée en charge ? Quelles exemptions ? Quelles mesures de compensation ? 

Selon des chiffrages présentés aux organisation syndicales et patronales, et qui ont été cités par divers médias, un recul de l'âge légal d’ouverture des droits à 65 ans permettrait d'économiser environ 32 milliards d'euros par an en 2035. Ce chiffre doit cependant être pris avec grande prudence, car on n’a aucun détail sur ses hypothèses, en particulier sur le fait que celles-ci correspondent bien ou non aux modalités du projet qui sera présenté le 10 janvier. Il semblerait qu’il corresponde aux économies « brutes » du seul relèvement de l’âge minimal : les économies réelles seront donc sans doute moindres, une fois déduits les coûts des exemptions et des mesures de compensation.

Michel Ruimy : Les rapports du Conseil d’orientation de retraite se succèdent et se contredisent. Quelle que soit votre opinion sur la réforme, vous trouverez une étude officielle pour la justifier. Il n’en demeure pas moins que notre système de retraites parvient à l’équilibre qu’au prix d’un effort des contribuables : 30 Mds EUR de subventions sont versés, chaque année, au régime qui réduisent les moyens d’action de l’État.

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La ligne directrice envisagée par le gouvernement est déjà connue : l’ajustement se fera par un recul de l’âge de départ à la retraite. Cette réforme permettrait de récupérer, à terme, 10 à 15 milliards d’euros par an – ceci suppose que le scénario de l’exécutif se réalise - c’est-à-dire la moitié du véritable déficit actuel soit l’équivalent de 3 à 5% du budget (300 Mds EUR) ou encore 6 à 10% des coûts de la crise Covid (150 Mds EUR). Des économies qui permettraient de financer d’autres mesures voulues par l’exécutif comme la baisse des impôts de production, le « grand âge », l’école ou encore la transition écologique.


Que représentent ces économies en termes d’ordre de grandeur ? Par rapport au budget de l’Etat ? Et ce qu’il a dû dépenser ces dernières années (par rapport à la crise énergétique ou celle du Covid par exemple) ?

Patrick Aubert : Les dépenses de retraites s’élèvent à 332 milliards d’euros en 2020, donc les économies liées à un report à 65 ans de l’âge minimal légal pourraient en représenter de l’ordre de 10 %. Cela représenterait aussi environ 4 % de l’ensemble des prestations de protection sociale, ou 2 % des dépenses publiques. Mais ces ordres de grandeur ne sont qu’un majorant. Encore une fois, il faudra attendre l’étude d’impact présentée par le gouvernement pour avoir le chiffrage précis, prenant en compte l’ensemble des mesures contenues dans la réforme. 

Que savons-nous des coûts indirects de cette réforme ? Et notamment sur les autres dépenses sociales ?

Patrick Aubert : Le conseil d’orientation des retraites a étudié, en début d’année dernière, des simulations de l’impact d’un relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite de 62 à 64 ans sur les autres dépenses sociales : chômage, invalidité, minima sociaux, etc. Ces dépenses sociales, liées aux personnes qui ne pourront pas rester ou retrouver un emploi entre 62 ans et le nouvel âge de la retraite, représenteraient près d’un tiers des dépenses de retraite économisées, et viendraient donc diminuer d’autant les gains de la réforme. 

Mais attention : la simulation du COR concernait une réforme analogue, dans ses modalités, à celle de 2010, ce qui ne sera pas forcément le cas de la réforme à venir. Le gouvernement a par exemple annoncé que les personnes invalides et handicapées ne seraient pas concernées par le relèvement de l’âge d’ouverture des droits. Si c’est confirmé, il n’y aura donc pas de surcroît de dépenses de pensions d’invalidité et d’allocations adulte handicapées Or ces prestations représentent justement une part importante des dépenses sociales après 62 ans. Cette exemption diviserait par deux le coût indirect de la réforme par rapport à la simulation du COR.

Au-delà de ces coûts indirects, il faudrait aussi tenir compte des gains indirects, par exemple en termes de cotisations supplémentaires et d’impôts sur le revenu payés par les seniors qui prolongeront leur carrière. Ces gains n’ont pas été chiffrés. Plus globalement, les coûts et bénéfices globaux de la réforme dépendront également de son impact sur l’ensemble de l’économie, au-delà des seuls impacts sur les seniors. Par exemple, le fait que des travailleurs âgés restent plus longtemps en activité jouera-t-il ou non sur le chômage des jeunes, et si oui dans quel sens et dans quelle mesure ? Ces effets macroéconomiques sont très difficiles à prévoir. La direction générale du Trésor et l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) avaient tous deux réalisés des simulations pour le compte du COR en janvier dernier, mais aboutissaient à des résultats très différents !

Michel Ruimy : Si les actifs doivent travailler plus longtemps, la moitié des « seniors » en âge de faire valoir leurs droits à la retraite pourraient se retrouver en invalidité, en longue maladie ou au chômage, certaines entreprises rechignant à les garder en poste ou à les recruter en raison de leur inaptitude au travail, notamment dans les métiers les plus pénibles. Prolonger de deux ans sa carrière ferait donc automatiquement augmenter le nombre de seniors en difficulté et, par la même occasion, les sommes destinées à les aider.

Selon la Drees, si l’âge légal avait été de 64 ans au lieu de 62 en 2019, la facture aurait atteint près de 3,6 Mds EUR (hors retraite et assurance-chômage). Les pensions d’invalidité auraient alors enregistré 160 000 bénéficiaires supplémentaires pour un montant de 1,8 Md EUR et les arrêts maladie auraient coûté 0,97 Md EUR. Par ailleurs, selon une étude de la Dares, les dépenses liées à l’assurance-chômage auraient été rehaussées de près de 1,3 Md EUR sur la même période. Ainsi, la facture totale aurait été de l’ordre de 5 milliards d’euros.

Afin de contrer cet effet, le gouvernement est dans l’obligation de présenter un certain nombre de mesures pour favoriser l’emploi des seniors et mieux prendre en compte la pénibilité. Reste à savoir si elles seront suffisantes car une partie des économies générées par la réforme pourrait être rognée.

En 2019, une mission parlementaire rapport que durant la crise des gilets jaunes, les assureurs ont indemnisé « 217 millions de préjudices », tandis que l’INSEE parlait de 0,1 point de PIB causé par le mouvement. Un mouvement social face à la réforme des retraites pourrait-il aussi alourdir le coût de la réforme et amoindrir ses bénéfices ?

Patrick Aubert : De tels coûts peuvent exister, même s’ils sont, là encore, très difficiles à estimer. Il s’agit cependant de coûts par nature transitoires, pendant la période de discussion de la réforme, alors que les effets de la réforme sont eux structurels, et se cumuleront donc sur de nombreuses années. Il n’est donc pas forcément pertinent de tenir compte des premiers pour juger de l’opportunité ou non de la réforme, car ils devraient rester de second ordre par rapport aux seconds.

Michel Ruimy : En 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, les élus avaient adopté une réforme faisant passer l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans. À l’époque, plusieurs manifestations avaient été organisées pour dénoncer ce changement. Plus récemment, un mouvement de contestation s’est également opposé à une première tentative d’Emmanuel Macron de légiférer sur le dossier des retraites, qui a été finalement abandonné, en 2020, pendant la pandémie du Covid-19. Quelle sera la réaction en 2023 ? Va-t-on vers un printemps de contestation ? Difficile à prédire. La France est un pays à la conflictualité très élevé, toutefois difficilement prévisible. Il est tout à fait plausible qu’à partir de la fin du mois de janvier, la France vive un conflit social de grande ampleur… comme il est tout à fait possible que cette réforme des retraites passe, finalement, avec quelques petites difficultés, mais sans encombre majeur.

Un fort mouvement prolongé de mécontentement aura inévitablement des répercussions économiques, notamment liées aux débordements. Par exemple, concernant la séquence des « Gilets Jaunes », les assureurs ont indemnisé les entreprises à hauteur de 217 millions d’euros pour vols, incendies, dégradations, pillages… Mais, ce chiffre ne correspond qu’à la « partie émergée de l’iceberg ». Il convient d’élargir l’analyse à la baisse de fréquentation des hôtels, à celle des centres-villes le samedi qui ont causé des pertes de chiffre d’affaires comprises entre 20 et 30% pour les commerces. Les centres commerciaux, quant à eux, ont fait état de pertes de l’ordre de 2 milliards d’euros, les collectivités locales ont dû mettre la main à la poche pour la dégradation d’équipements et de mobiliers urbains et l’Etat a dû faire face à des coûts directs de rémunération de forces de l’ordre pour les heures supplémentaires effectuées, etc. On le voit, le mouvement de protestation a coûté des centaines de millions d’euros, tous secteurs confondus.

Aujourd’hui, un mouvement social semble probable car même si, sous Emmanuel Macron, leur influence semble avoir diminué - les derniers mouvements de grève l’ont confirmé : ils n’ont plus le monopole des grands mouvements, ni des moyens de pression -, les syndicats sont unanimes dans le refus d’une augmentation de l’âge de départ à la retraite. Cette réforme, associée aux impacts de l’inflation, à la question du pouvoir d’achat et à une méfiance des Français envers Emmanuel Macron pourrait devenir un élément déclencheur de contestation et leur permettre de saisir l’occasion de se faire de nouveau entendre.

Cette réforme « comptable » des retraites a-t-elle véritablement du sens au regard des enjeux ? N’est-elle pas mal calibrée ? 

Michel Ruimy : Sans réforme, le déséquilibre des systèmes de retraite devrait se dégrader dans les prochaines années. Le ratio entre le nombre de retraités sur celui des personnes en emploi est absolument déterminant pour l’équilibre des comptes de retraite. La déformation de ce rapport est assez forte en raison notamment du vieillissement de la population. Selon l’OCDE, en 1950, on comptait environ 5 personnes actives sur le marché du travail pour 1 retraité français. En 2020, ce ratio était passé à environ 1 pour 3 et, en 2050, on dénombrera moins de 2 Français potentiellement actifs sur le marché du travail par retraité.

L’opposition frontale à toute réforme des retraites se nourrit aujourd’hui d’un aveuglement sur la situation financière de nos régimes. Cette question de l’équilibre des retraites est pourtant cruciale : si on peut légitimement recourir à l’endettement pour financer un investissement, qui produira, à terme, des recettes pour l’État, ce n’est pas le cas pour les dépenses de retraite. Car s’endetter pour payer les retraites, c’est mettre à la charge des générations futures une dette qui n’a aucune contrepartie en termes d’actifs publics

Toutefois, pour assurer la pérennité du système, travailler plus ou l’allongement de la durée de cotisations ne sont pas les seules options. D’autres leviers existent, comme l’accroissement des recettes, notamment via la hausse de la part de cotisations de l’employeur ou de l’État, ou la diminution du niveau des pensions de retraite. Mais, l’augmentation des cotisations risquerait de renchérir le coût du travail, qui est déjà l’un des plus élevés d’Europe. L’autre option est socialement explosive, surtout en période d’inflation, même si les retraités ont un niveau de vie globalement plus élevé que le reste de la population.

Le gouvernement n’a-t-il pas trop tendance à raisonner en statique et pas en dynamique (c’est à dire en intégrant les coûts liés à l’adaptation des comportements humains) ?

Michel Ruimy : Au-delà de la question d’un raisonnement statique ou en dynamique, il me semble que le paradoxe dans ce conflit est que les Français comprennent le besoin d’une réforme de leurs systèmes de retraite pour tenir compte du fait qu’ils vivent plus longtemps et qu’en conséquence, les méthodes de financement doivent s’ajuster. Mais, ils ne font pas confiance à leur gouvernement pour y arriver. Une méfiance qui provient de l’attitude et des paroles des élus. Des politiciens jugés incapables de bien comprendre la situation des personnes qu’ils doivent servir. C’est un sujet important pour mener de grands chantiers qui visent le système de protection sociale auquel les Français sont si attachés. 

Or, pour négocier une réforme, les partenaires doivent se faire mutuellement confiance. Si on ne fait pas confiance à l’État (à ce gouvernement) pour réformer tout en préservant le système, alors la situation devient impossible.

En définitive, les gains que le gouvernement espère tirer de cette réforme, pour des marges budgétaires, sont-ils trop optimistes ? 

Patrick Aubert : Une fois encore, on ne pourra répondre à cette question que lors que le gouvernement dévoilera officiellement les gains qu’il espère tirer de la réforme, donc au moment de l’étude d’impact !

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