2023, année électorale : et si le sort de l’UE se jouait en partie en Pologne et en Espagne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Pologne, « vedette » des relations houleuses avec Bruxelles.
La Pologne, « vedette » des relations houleuses avec Bruxelles.
©WOJTEK RADWANSKI / AFP

Perspectives pour 2023

2023 verra deux scrutins cruciaux dans deux poids lourds de l’UE : la Pologne, « vedette » des relations houleuses avec Bruxelles et, l’Espagne, pays qui échappe étrangement aux radars des institutions européennes et des médias mais dont la situation est alarmante à bien des égards.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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2022 restera dans les annales de l’UE. Pour la première fois, une organisation dont la raison d’être est la paix et qui semblait suivre le cours tranquille de la fin de l’histoire s’est frottée à la guerre. La vraie, à ses propres frontières. Après presque une année de conflit, le bilan est en demi-teinte. Mention honorable aux progrès fulgurants des premiers mois en matière de politique étrangère, avec six paquets de sanctions adoptées par unanimité à une cadence supersonique comparée au rythme habituel. Depuis, les 27 se sont mis d’accord sur d’autres sanctions (neuf paquets en tout) à quelques aménagements près et, quoi qu’on en dise, sans blocages majeurs. En outre, l’Union a fait usage de ses instruments financiers pour envoyer des armes à l’Ukraine, a serré les rangs pendant le Conseil européen de mars à Versailles, a ressuscité sa politique d’élargissement en offrant des perspectives européennes à la Moldavie et, bien entendu, à l’Ukraine.

Par contre, cette même guerre a fait rougir d’aveuglement idéologique les désastreuses politiques énergétiques de Bruxelles depuis des lustres et a peiné à éviter un-sauve-qui-peut national pour passer un hiver qui, fort heureusement, est pour l’instant clément. En outre, l’effet de certaines sanctions, notamment l’inflation, et une récession économique qui s’annonce sérieuse ainsi que des tensions internes in crescendo ont bel et bien terni cette unité de façade. En effet, malgré la guerre, l’UE n’a pas emprunté le chemin du pragmatisme et a accentué ses antagonismes internes à coups de conditionnalité et de blocage de fonds et n’a absolument pas remis en cause ses dogmes énergétiques et climatiques. Un messianisme, par ailleurs, brutalement battu en brèche par le Qatargate qui a fait tomber très bas, et de très haut, un Parlement imbu de vertu et de lui-même.

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Finalement, l’année qui s’achève restera également marquée par quelques scrutins marquants. La quatrième majorité absolue de Viktor Orbán en Hongrie (et dont la procédure de conditionnalité des fonds lancée deux jours après par la Commission sonne en partie comme une punition politique contre ses électeurs) ; la réélection d’Emmanuel Macron accueillie avec un soulagement non dissimulé à Bruxelles ; le revirement historique en Suède qui a abouti au premier gouvernement de droite depuis soixante-dix ans ; et, surtout, la non moins historique victoire de Giorgia Meloni en Italie (avec en prime la gaffe/lapsus monumentale d’Ursula Von der Leyen) dont les premiers mois au pouvoir démentent sèchement les cris d’orfraie bien-pensants qui hurlaient au loup fasciste en mode pavlovien.

Qu’en sera-t-il de 2023 ? Bien entendu, la guerre contre l’Ukraine continuera de marquer le tempo et l’agenda. Négotiations, recrudescence, enlisement, impact économique ? Nul ne le sait. Les prévisions démenties et hasardeuses des derniers mois sont autant d’invitations à ne pas en formuler pour l’année qui commence. Par contre, 2023 verra deux scrutins cruciaux dans deux poids lourds de l’UE : la Pologne, « vedette » des relations houleuses avec Bruxelles et, l’Espagne, pays qui échappe étrangement aux radars des institutions européennes et des médias mais dont la situation est alarmante à bien des égards.

Les élections polonaises prévues pour septembre s’annoncent aussi serrées que tendues sur fond de blocage de fonds européens, d’accusations d’ingérence de Bruxelles et d’extrême polarisation sociale. Ce n’est un secret pour personne, le torchon brûle entre le gouvernement conservateur du PIS et Bruxelles depuis de nombreuses années. Il brûle également entre Varsovie et Berlin qui entretiennent désormais des relations exécrables. En même temps, la Pologne a forcé le respect en soutenant sans failles l’Ukraine, y compris militairement, et en accueillant à bras ouverts un nombre inégalé de réfugiés sans avoir ouvert, fait remarquable, un seul camp tellement l’accueil de la population a été chaleureux et généralisé.

Cependant, le pays est financièrement exsangue et sa générosité n’a en rien entamé l’intransigeance de l’UE avec un Parlement Européen vent debout contre tout compromis. Comble du dogmatisme, un bon tiers des députés a même déposé une motion de censure contre la Commission quand Von der Leyen a « osé » approuver le Plan d’Investissement polonais. Résultat, l’UE insiste mordicus sur la mise en œuvre de toutes les réformes exigées au nom de « l’Etat de droit », Varsovie s’y refuse au nom de sa souveraineté nationale et, à la clé, les 35 milliards d’euro du Fonds de Relance post Covid restent bloqués.

Electoralement, cette situation est explosive car elle antagonise les deux camps en lice et risque d’octroyer un rôle décisif aux fonds européens en incitant les électeurs à voter « comme il faut » : soutenir Donald Tusk, le candidat de la Plateforme Civique, ancien Président du Conseil Européen et du Parti Populaire Européen et soutenu sans complexe par Bruxelles, serait synonyme de manne européenne ; voter pour le gouvernement sortant équivaudrait à rester dans l’impasse. En attendant, aucune perspective de compromis jusqu’aux élections prévues en automne et d’amers reproches d’ingérence électorale qui ne vont en rien redorer la réputation de l’UE dans un pays à fleur de peau. Avec en filigrane une questions cruciale : comment reconduire la relation avec Bruxelles en cas de victoire de la coalition conservatrice au sein du cinquième Etat membre le plus peuplé, puissance militaire européenne en devenir et pays incontournable sur l’échiquier géopolitique actuel ? En misant si clairement sur un candidat au détriment d’un autre, Bruxelles prend un risque considérable.

Autre poids lourd qui se rend aux urnes en fin d’année, l’Espagne. On en parle peu et pourtant, tant de choses s’y passent dans l’indifférence générale, y compris sur des sujets qui font normalement sortir Bruxelles de ses gonds. Le pays est polarisé comme jamais depuis quarante ans, et pour cause. Tout d’abord, le pays est gouverné par une coalition de socialistes (parti principal), communistes (Unidas Podemos, parti auxiliaire) et une éventail de partis nationalistes catalans et basques, y compris Bildu, l’ancien bras armé du groupe terroriste ETA. Une éventail disparate et radical dont les seuls dénominateurs communs sont de vouloir dynamiter le système actuel (voire démembrer le territoire) et d’être à la pointe européenne des politiques « wokes » de tout poil (loi trans applicable aux mineurs, euthanasie permissive, loi éducatives idéologiques, refus radical de l’énergie nucléaire, bien-être animal, etc…).

A tout cela, vient s’ajouter la personnalité très clivante de Pedro Sánchez, le Premier Ministre actuel, et sa façon « cavalière » d’exercer le pouvoir. Narcissique, obsédé de communication et de mise en scènes, menteur assumé, cet aventurier de la politique a fait du clivage et du passage en force sa marque de fabrique. Y compris au détriment de « l’État de droit » sur lequel Bruxelles se montre si sourcilleuse avec d’autres pays. Que ce soit la colonisation d’entités publiques, le changement sur mesure du Code Pénal pour ses alliés de coalition (y compris la désactivation du délit détournement de fonds à des fins politiques !) ou la réforme à la hussarde du pouvoir judiciaire. Certes, la nomination des membres du Conseil de la Magistrature est bloquée depuis des années, à torts partagés, par les deux principaux partis, et ceci conditionne de nombreuses désignations de juges dans les plus hautes instances, et il faut y remédier. Débloquer la situation, c’est une chose. Prétendre changer les lois organiques par une procédure d’urgence, au détour d’une loi qui n’a rien à voir, en menaçant les juges de sanctions pénales tout en accusant la Cour Constitutionnelle d’ourdir un coup d’Etat, c’est une autre. Et pourtant, Sánchez l’a tenté en décembre avant que la cette même Cour intervienne in extremis. Du jamais vu.

Surtout que Bruxelles se montre étrangement regardante. La Commission a certes émis des réserves sur cette façon de procéder et a rappelé Madrid aux bons usages constitutionnels. Il est vrai qu’elle a averti la classe politique au sujet de son attachement à l’indépendance des juges et son souhait de voir les juges nominer leurs pairs, pas le Parlement, ni le Gouvernement. Mais rien d’autre, alors que la situation espagnole ressemble à s’y méprendre à celle de la…Pologne, justement, qui paye au prix fort des faits très similaires. Du coup, dans un pays traditionnellement pro-européen, la colère monte dans une partie de l’électorat contre cette Europe hémiplégique, complaisante envers Sanchez malgré ses dérapages à répétitions et qui semble même lui faire les yeux doux. Sans parler de la situation économique d’une Espagne à bout de souffle (endettement, PIB toujours en deçà du niveau pré Covid, chômage, retraites) qui a pourtant reçu la part du lion du Fonds de Relance (après l’Italie) et dont les déboires économiques pourraient affecter toute la zone Euro.

Contrairement à la Pologne, le principal parti d’opposition ( qui a de fortes chances de gagner le scrutin) est clairement favorable à l’UE. Mais peut-être devra-il composer avec une droite conservatrice plus bélligerante avec Bruxelles et qui capitalise ce ras-le bol envers une Europe génétiquement globaliste et systématiquement « de gauche » même quand elle est dirigée, en théorie, par le centre-droit. Mais surtout, la gestion volontairement clivante et économiquement téméraire de Sánchez pourrait mener à une tempête parfaite en 2024 dans un pays qui est systémique dans l’UE et dans la zone euro.

L’Espagne, prochain grand malade de l’Europe ? Réponse définitive en 2024, année, par ailleurs, d’élections européennes qui seront, plus que jamais, déterminantes. Mais il se pourrait bien qu’une partie de l’avenir de l’Europe se joue dans ses deux Etats membres.

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