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"Météores" de Stéphane Barsacq : la levée d’un espoir nous exhortant à "l’insoumission devant les défaites du temps"
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Météores ? En Grèce, on parle de « monastères suspendus au ciel ». Ici, ce sont des Fusées. Depuis ces Météores, Stéphane Barsacq nous invite à scruter notre temps fait d'inquiétudes et de lueurs. Et à s'élever, quand tout alentour semble sur le point de s'effondrer.

Alice Ruffi

Alice Ruffi

Alice Ruffi, issue d’une famille d’amateurs d’art, est une lectrice passionnée de tous ces auteurs « irréguliers » d’hier et d’aujourd’hui, dont l’écriture nous éclaire et nous transforme.

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Vie : « (…) par définition, nous sommes posthumes. » Météores, p.157

Dans un recueil d’articles publié en 1905 intitulé Hérétiques, Chesterton pointait du doigt « la morbidité incurable de l’éthique moderne », cause de l’incapacité de nos sociétés dites « progressistes » à établir une définition éclairée du progrès. Avec son humour tonitruant, le grand écrivain anglais avait prophétisé le triomphe du scepticisme et du déterminisme, et le chaos engendré par cet « esprit négatif ».

Notre époque est à l’évidence noyée dans une déréliction aussi bien matérielle que spirituelle. À cette dévastation à l’oeuvre, Stéphane Barsacq répond avec un livre, Météores, qui incarne la levée d’un espoir nous exhortant à « l’insoumission devant les défaites du temps ». Mais il ne faut pas se méprendre : ce livre ne contient aucune trace d’une pensée moralisatrice si en vogue de nos jours ! Dans cette suite d’aphorismes, de méditations ou de réflexions, Barsacq nomme tour à tour ce qui nous opprime et ce qui nous sauve. Une mise à l’écart de l’actualité est indispensable afin de nous placer hors du temps et accéder au coeur de l’éternité. D’où le titre du livre qui transporte d’emblée le lecteur dans les régions supérieures du ciel, et pour parvenir à s’élever au-dessus de lui-même, l’auteur l’invite à se retourner d’abord vers le dedans car « il n’y a qu’une seule loi, être soi-même ». Si Barsacq fait le choix de la forme brève si chère aux moralistes du XVIIe siècle, c’est pour rendre plus percutantes des paroles de vérités oubliées ou taboues. Et la vitalité que la brièveté confère au texte, favorise une prise de part active du lecteur à la réflexion, libre d’accepter ou de récuser ces pensées déclinées dans un abécédaire. Sont ainsi mêlés aux grands thèmes universels des noms d’écrivains, musiciens, compositeurs, peintres, cinéastes ou saints, mais également des notions devenues presque désuètes comme « attention », « confiance », « dignité », « délicatesse », « exigence », « grandeur », ou « gratitude ». Or, si l’on peut lire entrée par entrée quel que soit l’ordre, sur le mode d’un système ouvert ayant pour but de créer un sentiment libérateur chez le lecteur, une unité profonde se dégage de cet ensemble régi par une construction des plus rigoureuses où chaque fragment renvoie à un autre. Des variations et des jeux d’échos résonnent au fil des pages comme dans une composition musicale. S’il y avait un index des noms, on remarquerait immédiatement que Mozart ne figure pas à la lettre « m » mais en revanche est cité bien sûr dans « adagio » mais aussi dans « antidote », « Balthus », « camps » ou « gratitude ». En fin connaisseur et amateur de musique, Barsacq joue à merveille du système contrapuntique, et de cette superposition de voix émerge son propre « klang », la sonorité du poète.

Si d’une publication à l’autre, l’auteur aime à déjouer les catégories établies, Météores constitue peut-être son ouvrage le plus audacieux, revêtant à la fois les formes du traité ou de l’essai, de la partition musicale ou de l’autobiographie car « les livres disent qui vous êtes mieux que tout miroir », mais également celle du manifeste. En effet, face à cette « défaite programmée de l’humanité », Barsacq nous invite à « traquer tous les germes de la résistance » et « à penser ensemble l’effondrement et ce qui résiste à l’effondrement ». C’est en poète-penseur de notre temps qu’il défie le nihilisme triomphateur invoquant « le pouvoir de dire non » au désespoir et à la médiocrité, dans les pas d’Armel Guerne mais sans le ton souvent violent du grand poète et traducteur dont il a participé à sortir l’oeuvre de l’oubli. Avec une gravité joyeuse, rehaussée d’ironie et d’humour, Barsacq place le combat contre les séductions tentaculaires du néant sous le signe de la création, « ce mouvement par lequel on engendre le monde », et nous lègue avec Météores une ouverture vers l’immémorial, vers ce qui mérite d’être sauvé et aimé. Une poétique du coeur comme rempart contre la dissolution, où écrire, penser et agir signifient d’abord une aventure spirituelle.

"Météores" de Stéphane Barsacq, éditions de Corlevour, 2020, 15€

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