"Mal de mères" de Stéphanie Thomas : un coin de voile est levé sur un sujet inexploré, encore largement tabou. Courageux<!-- --> | Atlantico.fr
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"Mal de mères" de Stéphanie Thomas a été publié aux éditions Jean-Claude Lattès.
"Mal de mères" de Stéphanie Thomas a été publié aux éditions Jean-Claude Lattès.
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"Mal de mères" de Stéphanie Thomas a été publié aux éditions Jean-Claude Lattès.

Véronique Roland pour Culture-Tops

Véronique Roland pour Culture-Tops

Véronique Roland est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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"Mal de mères" de Stéphanie Thomas

JC Lattès
Paru octobre 2021
200 pages
18 €

Notre recommandation : EXCELLENT

THÈME

En 2015, Stéphanie Thomas restait atterrée à la lecture d’un article de Libération intitulé : « Le regret d’être mère, l’ultime tabou ». L’article évoquait l’étude de la sociologue et féministe israélienne Orna Donath, pionnière sur ce sujet inexploré car inexplorable. Mère elle-même à l’époque, Stéphanie Thomas n’imagine même pas qu’on puisse regretter de l’être.

L’article la touche profondément et pousse la journaliste qu’elle est à questionner sans biais ni préjugés le regret de maternité en France. Elle passe un appel à témoins sur des forums de discussion en ligne ; très vite, l’anonymat libère la parole, elle reçoit des réponses. Le coin du voile est levé…  Ce livre est le recueil des témoignages de dix des femmes les plus représentatives de ce regret d’être mère. Chacune est unique, par son histoire et par sa relation au regret. Aucune n’est monstrueuse.

POINTS FORTS

Une tribune pour un tabou – autant la littérature sur la dyade mère/nourrisson est fournie – notamment grâce à la psychanalyse et à la pédopsychiatrie – autant la relation des femmes à la maternité après-coup, dans le temps, à mesure que grandit l’enfant, est passée sous silence, sauf quand il s’agit d’éclairer la maltraitance voire l’infanticide. Inspirée par Orna Donath, l’auteure offre la possibilité à des mères aimantes mais désillusionées et en souffrance de parler de leur regret d’avoir des responsabilités maternelles. Possibilité rare et précieuse, tant notre culture associe la femme à la maternité et la maternité à la joie comme si l’équation était naturelle.

La déconstruction du mythe de « l’heureux événement » à notre époque - Ces mères ne sont ni négligentes ni égoïstes. Au contraire, ainsi que l’écrit l’auteure : « C’est justement l’intérêt que ces femmes portent à leur regret qui fait d’elles des femmes investies dans leur rôle de mère ». La froideur est maltraitante, pas le regret. Les mères qui se confient à S.Thomas sont ce que le pédopsychiatre Donald Winnicott appelle des « mères suffisamment bonnes », c’est-à-dire de bonnes mères. Elles aiment leurs enfants, s’en occupent du mieux qu’elles peuvent. Mais elles font un constat aussi amer qu’honnête : les aspects négatifs de la maternité l’emportent largement, pour elles, sur les promesses sociales et familiales de « joie ». Elles n’aiment pas être mères et doivent vivre au quotidien avec ce sentiment coupable, très différent de la simple ambivalence, et tabou.  

Dix facettes du regret d’être mère – Certaines ont eu l’intuition de ce regret avant même de tomber enceintes mais ont espéré se tromper. Certaines ont compris très vite après la naissance qu’elle avait commis une erreur. Chacune à sa façon s’est sentie dépossédée – de son identité de femme, de sa vie. Car toutes, en fait, ont abdiqué de leur liberté et cédé à des pressions : les amis (« Alors, vous vous y mettez quand ? »), la famille (« Pas d’enfant ? Tu regretteras ! »), la société qui attend que soient respectées les normes, la conformité. C’est ce qui explique aussi que, souvent, malgré le regret, ces femmes fassent plusieurs enfants. Un enfant unique ? Il sera malheureux. Alors, identité perdue pour identité perdue, elles s’oublient encore un peu plus.

QUELQUES RÉSERVES

Forcément, on touche aux limites d’un exercice degrande vulgarisation. Le sujet est survolé du fait du format de l’ouvrage (200 pages) et du nombre réduit de témoignages (dix seulement).

ENCORE UN MOT...

On remercie Stéphanie Thomas d’avoir abordé pour le grand public ce sujet délicat qui fera forcément grimacer, et d’avoir permis à ces mères de s’exprimer sans peur alors que toutes les constructions culturelles et sociales leur ordonnent de se taire. L’époque n’est plus en France où l’on exigeait des femmes qu’elles repeuplent le pays (je pense à Pétain accusant les femmes de frivolité pour n’avoir pas assez pondu et les rendant responsables de la défaite) ; mais on n’est pas encore prêt à entendre avec tolérance et empathie celles qui voudraient pouvoir dire : J’aurais préféré n’être « mère de personne ». L’ouvrage soulève une autre question de fond : l’enfant du regret doit-il être mis au courant, ou bien « protégé » par le secret ?

Pour aller plus loin, on lira l’étude (excellente et tout à fait accessible) d’Orna Donath – à laquelle Stéphanie Thomas fait d’ailleurs de nombreux renvois : Le Regret d’être mère (éditions Odile Jacob). Le roman La Jongleuse, de Jessica Knossow, tout récemment publié chez Denoël, illustre à sa façon ce désir déchirant de n’être « mère de personne ».

UNE PHRASE

Dès le début, je n’ai pas aimé la maternité. La nuit je ne me levais pas pour donner les biberons, le soir je laissais le père leur faire prendre le bain. Jouer avec eux était pénible. A la limite, j’aimais bien leur lire des histoires, mais en réalité toutes ces tâches ne m’intéressent pas. Je voulais les fuir et moi avec (…) J’ai beau être instit, savoir gérer une classe de trente enfants de maternelle, je n’ai jamais aimé m’occuper des miens (…) Ils prennent beaucoup trop de place. J’ai longtemps protégé ma mère d’elle-même, je m’en suis protégée en retour. Aujourd’hui, je ne suis plus capable d’en faire autant pour mes enfants. (p.125)

L'AUTEUR

Stéphanie Thomas a été réalisatrice de reportages pour France Inter en Afrique, en Océanie et en Europe. Pour France Culture, elle produit des documentaires sonores de société et d’histoire dans les séries Sur les docks, Les Pieds sur terre et La Fabrique de l’histoire. Ses documentaires télévisuels co-signés avec Pierre Chassagnieux et diffusés sur France 5 ont été primés ( Les Enfants volés d’Angleterre, et Les Enfants perdus d’Angleterre, à propos du travail des services sociaux). Dernièrement, L’Enfant du double espoir, documentaire qui traite du sujet des bébés médicaments a également été diffusé sur France 5.

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