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 "L'extase du selfie" de Philippe Delerm : l’œil des Lettres
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Atlantico Litterati

Annick Geille revient cette semaine sur la publication de l'ouvrage de Philippe Delerm, "L'extase du selfie", aux éditions du Seuil.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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« Ecrire, c’est se hausser sur la pointe des pieds », rappelait Frédéric Beigbeder, au sujet du regard « caustique » que porte sur le monde  tout écrivain et/ou critique digne de ce nom (cf.« Bernard Frank, le patron »/ L’Express » 2010). La moindre des  politesses, en effet, lorsqu’on écrit, consiste à percevoir puis exprimer ce qui ne va pas ici ou là, en fonction de son sujet. Ceux qui refusent de lire Philippe Delerm  (Prix des Libraires et Prix Alain Fournier- entre autres lauriers), au prétexte que sa prose, toute poétique qu’elle soit, demeure dans un optimisme assez béat, vont devoir changer d’avis. Chez Philippe Delerm,  jusqu’à présent - et pourquoi pas, après tout, puisqu’il n’y a  pas de Cahier du Maître, les plaisirs de la vie  étaient non seulement une antienne,  mais, à force de succès dans les ventes, une recette, que l’essayiste du Seuil ne ratait jamais. Une entreprise littéraire à l’opposé, donc, de ce  qu’énonce - avec beaucoup de justesse et de tact-l’écrivain et critique Frédéric Beigbeder. Ces mille et une choses de nos vies ( l’autoroute la nuit, se lever le premier le matin, le vacarme de la pluie lorsqu’on est à l’abri, le dîner imprévu chez des amis,etc.…), tous ces « moments » que nous vivons ici ou là, et que l’auteur s’est plu à répertorier, composent des chroniques légères, mais justes.

Or, depuis « Et vous, vous avez eu beau temps, ou la perfidie des petites phrases » (Seuil/Points- Essais), Philippe Delerm  a pris un virage juste avant nos agacements. Quelques notes grinçantes troublent - pour notre plaisir - les musiques un peu ronronnantes dont nous avions pris l’habitude.  La vie n’est pas toujours rose, signale soudain l’auteur, et nous faisons parfois preuve de cruautés minuscules qui tentent de se cacher sous les formules de politesse, ou la  fausse cordialité. Le tout visant à déstabiliser voisins et autres « relations ». Nous avions lu  sans déplaisir les fragments de  Philippe Delerm dans : « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » ( 1997). Nous apprécions d’avantage - un brin pervers que nous sommes, le lecteur ayant toujours raison - l’ ironie distanciée qui affleure dans « Les eaux troubles du Mojito et autres belles raisons d’habiter sur terre (2015 /Le Seuil). Enfin, nous jubilons à la lecture de l’exquis « Et vous, vous avez eu beau temps , ou la perfidie  des petites phrases ». (Seuil/2018).Virage accompli plus clairement  encore dans  l’essai que Philippe Delerm  publie cet automne : « L’extase du selfie, et autres gestes qui nous disent » (Seuil). L’auteur devient sournoisement acide,  et tout en douceur narquoise, se transforme en disciple forcément cruel de La Bruyère.

Pour ce qui est de la forme, elle ne change guère. Philippe Delerm capture en autant de séquences ultra-courtes une image porteuse de sens (écriture sèche, précise, volontiers moqueuse). Il s’agit pour le portraitiste-moraliste de cadrer  le personnage ou la nature morte en gros plan, afin d’isoler ce détail qui dit tout. Le regard de l’ auteur balaie tout le champ, avant de fondre sur sa proie : le sujet est piégé par sa gestuelle plus ou moins consciente (tendresse du portraitiste : Philippe Delerm n’est jamais méprisant). Tout est dit en quelques mots révélant l'essentiel, CAD nos comédies. Les "micro-textes " de Philippe Delerm captent nos ressentis. Saveurs, parfums, textures, couleurs : l’ ancien prof de lettres - père du compositeur-interprète Vincent Delerm - saisit l'époque par ses objets emblématiques. Pas de flash, le sujet sort de l'ombre. Il nous ressemble, vertus et travers compris avec nos asservissements à la mode ou aux désirs d autrui (Barthes). Et de même que Doisneau, avec ses compositions et sa lumière, sortait un visage de la foule pour écrire son temps, Philippe Delerm photographie l’instant afin d' exprimer ce qu’il a de troublant.

Le sujet de ces polaroids littéraires est épinglé en ses petitesses et sa grandeur. 

Humains, trop humains, encore et toujours, en somme.

"L'extase du selfie" de Philippe Delerm est publié aux éditions du Seuil 

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