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Planter des arbres n’est pas toujours bon pour la planète
©Michael TEWELDE / AFP

Atlantico Green

Atteindre la neutralité carbone en plantant des arbres : l'idée semble efficace... mais n'est-elle pas complètement utopique ?

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

Voir la bio »

Le «  Green Deal » de l’Union Européenne a comme principal objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. De nombreuses multinationales dont les principales Compagnies Pétrolières ont embrayé le pas : BP, Shell puis Total promettent la neutralité carbone de leurs activités en 2050.

« Neutralité carbone » ne veut pas dire « zéro fossiles » comme souvent compris par l’opinion publique. La neutralité carbone signifie que les émissions sont captées puis séquestrées pour ne pas être émises dans l’atmosphère. Il faut donc comprendre la neutralité carbone comme « zéro émission » et non pas « zéro fossile ». Dans son scénario Développement Durable, l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) considère qu’en 2050, le mix énergétique mondial contiendra encore 50% d’énergies fossiles contre 85% aujourd’hui. Un mix certes très différent (presque plus de charbon, beaucoup moins de pétrole mais davantage de gaz). Il sera toujours émetteur de plusieurs milliards de tonnes de CO2. Pour capter et séquestrer ces émissions récurrentes, il existe deux méthodes.

La première s’appelle le CCUS (Carbon Capture Utilisation & Storage) et consiste à capter le CO2 puis soit à le réinjecter dans le sous-sol soit à le valoriser. En conditions dites supercritiques (35°C et 70 bars), le CO2 est en effet un remarquable solvant dont les applications sont multiples. Ainsi le café est-il « décaféiné » en le faisant passer sur un lit de CO2 supercritique. Le CCUS est toutefois réservé aux émissions massives et concentrées provenant de gros émetteurs industriels (sidérurgie, verre, ciment). Il ne peut s’appliquer aux émissions diffuses comme celles provenant des transports.

La seconde sont les plantes qui via la photosynthèse se nourrissent du CO2 de l’air et y rejettent de l’oxygène. Ainsi, un arbre stocke annuellement en moyenne 35 kg de CO2. Les arbres ont l’avantage de capter naturellement toutes les émissions qu’elles soient diffuses ou concentrées.

Essayons rapidement de chiffrer son efficacité. Chaque français émettant annuellement un peu plus de 5 tonnes de CO2 devrait ainsi planter sur 20 ans (durée de vie moyenne des arbres plantés) 140 arbres pour compenser ses émissions. Pour l’ensemble de la population française cela ferait…9 milliards d’arbres. En considérant 1000 arbres par hectare, cela correspondrait à une surface boisée supplémentaire de 90000 km2 soit…une quinzaine de départements. D’autant que la France est un pays déjà fortement boisé puisqu’un quart du pays, soit 150.000 km², est occupé par les forêts. La surface boisée de la France s’est d’ailleurs fortement accrue au cours des deux derniers siècles. Occupant 15 millions d’hectares au XVIe siècle, la surface boisée française était tombée à 5 millions d’hectares à l’époque napoléonienne. Le remplacement du bois en tant que combustible par les énergies fossiles à partir de la seconde moitié du XIXe siècle a permis de reforester la France. Avec 16 millions d’hectares, la surface boisée a retrouvé son niveau du moyen-âge. Contre toute attente, les fossiles ont donc indirectement recréé en France un puits à carbone.

On peut optimiser l’efficacité des plantations en utilisant des espèces captant davantage de carbone. Ainsi, certains grands arbres à grandes feuilles et à croissance rapide comme les eucalyptus peuvent assez rapidement stocker jusqu’à 70 kg de CO2 par an soit le double d’un arbre moyen. Les émissions comme le captage n’ayant pas de frontières, il est préférable de choisir sélectivement à la fois les espèces à planter de même que la localisation des plantations. La surface des feuilles se réduisant avec la latitude et l’altitude, les régions tempérées sont moins propices à stocker du carbone que les régions tropicales. Préserver la forêt amazonienne s’avère en toute logique beaucoup plus efficace que de planter des arbres en France ou en Allemagne. Les régions du nord couvertes d’épineux comme le sapin seront encore moins propices au stockage de carbone. La reforestation d’espèces uniques peut aussi avoir des conséquences négatives sur la biodiversité. Enfin la forêt reste fragile et un effort conséquent de reforestation peut être défait en un clic par une catastrophe naturelle. Ainsi rappelons-nous la tempête Lothar qui détruisit une partie de la forêt française le 26 décembre 1999.

 En conclusion, il est utopique de vouloir atteindre la neutralité carbone en plantant des arbres car l’effet d’échelle s’avère démesuré. Si planter des arbres peut y contribuer l’impact restera faible comparé à celui du CCUS, ce dernier représentant le principal mécanisme de compensation vis-à-vis notamment des gros émetteurs industriels. Le scénario DD de l’AIE mise d’ailleurs principalement sur le CCUS et non sur la plantation pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

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