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Voilà pourquoi les critiques ont un impact plus durable que les compliments
©Pexels / Liza Summer

Blessure narcissique

Nous avons tous déjà été confrontés à des remarques, des insultes ou des commentaires négatifs. Un phénomène qui peut nous marquer de manière durable si nous ne prenons pas la distance nécessaire

Vincent  de Gaulejac

Vincent de Gaulejac

Vincent de Gaulejac est professeur de sociologie à l'UFR de Sciences Sociales de l'Université Paris 7 Denis-Diderot.

Il est l'auteur du livre Les sources de honte (2011, Point), Travail, les raison de la colère (2011, Seuil). Il a également publié Manifeste pour sortir du mal-être au travail avec Antoine Mercier (2012, Eds. Desclée de Brouwer), Dénouer les noeuds sociopsychiques (Odile Jacob, 2020), a co-écrit La lutte des places avec Isabel Taboada-Léonetti chez Desclée de Brouwer, a collaboré à De la lutte des classes à la lutte des places. Son dernier ouvrage, Mettre sa vie en jeux: Le théâtre d'intervention socioclinique, co-écrit avec René Badache est sorti en 2021 aux Éditions Seuil.

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Atlantico : Nous avons tous, au cours de notre vie, subi des insultes ou des commentaires sarcastiques. Contrairement aux blessures physiques, celles-ci peuvent nous marquer pendant de très longues périodes, voire toute notre vie. Comment l’expliquer ? Sommes-nous tous égaux face à ce phénomène ? 

Vincent de Gaulejac : J’ai écrit un livre sur les sources de la honte dans lequel j’évoque les cours de récréation. C’est un milieu très violent dans lequel les enfants apprennent à faire face aux moqueries, aux insultes, au rejet … Certains y arrivent très facilement, par exemple en répondant avec humour ou en prenant de la distance. D’autres, au contraire, sont beaucoup plus sensibles. 

Dans nos sociétés contemporaines, de plus en plus narcissiques et individualistes, on assiste à une fragilité accrue des individus. Dans cet environnement, certaines personnes peuvent se sentir particulièrement blessées par des petites phrases stigmatisantes. Le narcissisme est une maladie de l’idéalité. On intériorise une image de soi tellement élevée qu’elle devient précieuse, montée en épingle. Quand le Moi n’est pas à la hauteur des exigences de l’Idéal du Moi, il se retrouve fragilisé. 

J’aime beaucoup citer Coluche qui disait « nous sommes tous égaux mais certains le sont plus que d’autres ». On peut l'apercevoir dans les fratries, ou les mécanismes de défense sont parfois très différents entre les individus. Certains enfants apprennent plus vite, semblent naturellement mieux « armés » que d’autres. Est-ce lié au cerveau, comme l'affirment les neurosciences ? À l’inconscient, comme le dit la psychanalyse ? Tout cela est l’objet de multiples approches. 

En réalité, ce phénomène est socio-psychique. Certains individus vivent des humiliations diverses dans leur enfance et en gardent des séquelles, parfois à vie. Il y a donc un facteur psychologique lié à l’histoire personnelle, au caractère. Enfin, il y a un facteur social. Notre société actuelle exacerbe ces phénomènes. Il n’y a pas plus ou moins de violence qu’auparavant mais cette dernière a changé de nature. Avant, la violence au travail était souvent liée au physique. Le corps était l’objet des attaques ou du pouvoir. Aujourd’hui, les violences sont davantage psychologiques. Il s’est développé une sorte de conflictualité psychique qui est exacerbée par des phénomènes comme la pandémie, l’angoisse par rapport à l’avenir de la planète, la perte de confiance envers nos institutions… Je nomme ce phénomène la lutte des places. Comme on ne fait plus confiance en la police ou en la justice, on se retrouve seuls garants de notre sécurité, ce qui peut être une source d’angoisse pour certaines personnes.

Comment expliquer que nous avons souvent tendance à mieux retenir les critiques que les commentaires positifs ?

L’idéologie gestionnaire, managériale, nous envoie une injonction qui prône la positivité : « ici il n’y a pas de problèmes, que des solutions ». On voit apparaître des techniques de développement personnel pour être bien dans sa peau, bien dans son corps … De nombreux coach peuvent désormais nous aider à « être nous même ». Cette injonction positive nous empêche d’exprimer nos pensées négatives. Comme pour un individu refoulé, ces pensées ressortent à un moment où on ne s’y attend pas. Au lieu de nous protéger, cette injonction à la positivité nous empêche d’exprimer notre négativité et conduit à ce que les psychanalystes appellent le passage à l’acte. On ne peut plus contenir une violence réprimée pendant de longues années et notre action devient beaucoup plus violente qu’elle ne le devrait.

Les commentaires négatifs peuvent-ils parfois avoir des impacts positifs pour notre bien-être ?

Au travail, de nombreuses personnes se plaignent d’être harcelées par un chef ou un collaborateur. Pour certains, c’est complètement invivable. Pour d’autres individus, cela peut être l’élément déclencheur d’une prise de conscience et leur permettre de se dégager d’une situation toxique, ce qui est une sage décision. L’objectif est de faire la part des choses entre ce qui nous met en difficulté et ce qui nous apprend à vivre. 

Quels sont vos conseils pour appréhender au mieux ces commentaires qui peuvent être blessants ? 

Il y a plusieurs façons de se défendre par rapport à la honte. Mon premier conseil serait d’utiliser l’humour. C’est un outil formidable pour prendre de la distance par rapport aux moqueries. Cela permet de se moquer de l’autre, mais aussi de soi-même et donc de ne pas prendre les choses trop au sérieux. 

Quand on va vraiment très mal, il faut faire un travail de groupe pour parler de soi mais aussi comprendre le processus qui nous met en difficulté. Jean-Paul Sartre disait que la honte naît sous le regard d’autrui. Je pense que le dégagement de la honte se fait aussi sous le regard d’autrui. Ce dernier est primordial pour sortir d’une mauvaise passe. Pour reprendre l’exemple d’une cours de récréation, on remarque bien que les enfants qui s’en sortent le mieux sont ceux qui sont bien entourés. Un individu qui reste seul pense qu’il l’unique responsable de ses échecs, alors que le collectif aide à réguler ses sentiments et trouver une bonne médiation. 

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