Une autre Europe émerge sur les décombres de l’UE techno de Bruxelles, mais quand aurons nous vraiment changé de monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, président de la République.
Emmanuel Macron, président de la République.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Union Européenne

Emmanuel Macron a rejoint à Bruxelles les dirigeants de l’Union Européenne à l’occasion d’un Conseil européen.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Les Vingt-Sept se sont retrouvés pour évoquer la guerre en Ukraine, la compétitivité de l’Union face aux États-Unis et à la Chine, le commerce, l’énergie ou encore l’immigration dans le cadre d’un nouveau sommet européen. Si l’avenir de l’automobile et du nucléaire opposent Paris et Berlin, ces deux sujets revêtent de très forts enjeux pour l’Europe tout entière. Quel bilan tirer de ce sommet européen [sur la voiture thermique, la guerre en Ukraine notamment] ?

Rodrigo Ballester : En lisant les conclusions de ce Conseil, on peut surtout tirer le bilan d’une Union droite dans ses bottes sur trois sujets cruciaux : la guerre contre l'Ukraine, la compétitivité , le marché intérieur et la coopération économique et l’énergie. Surtout sur les deux premiers, les chefs d’État et de Gouvernement ont adopté des conclusions assez longues et détaillées. Concernant l'Ukraine, les 27 confirment leur condamnation claire et nette de l’agression russe, saluent les dernières initiatives de la Cour Pénale Internationale et, surtout, mettent en place un mécanisme financier et logistique pour fournir un million de munitions à l’armée ukrainienne, voire des missiles, du jamais vu !

En ce qui concerne la coopération économique, ce Conseil européen accouche d’une stratégie ambitieuse et qui ratisse très large. Agenda vert et digital, marché intérieur, circulation des capitaux, simplification des démarches administratives pour les PMEs et j’en passe. Certes, rien de vraiment nouveau, l’UE va dans cette direction depuis des lustres et les résultats dépendront de la mise en œuvre d’une myriade d’initiatives, mais ces conclusions ont le mérite de rappeler ces fondamentaux et de maintenir l’élan.   Et surtout, de rappeler que l’UE, au-delà des polémiques, c’est surtout un Marché Intérieur qui reste le joyau de la couronne, la clé de voûte de tout l’édifice, la principale raison d’être de l’Europe. 

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Dans ce contexte, les polémiques (bien réelles, au demeurant) sur le moteur thermique et l’énergie nucléaire qui opposent principalement l’Allemagne et la France n’avaient pas la force de faire dérailler ce Conseil ou de ternir ces conclusions. Elles ont été quelque peu montées en épingle. 

Le paradoxe de la guerre en Ukraine a redonné des couleurs à  l’Europe (sur le plan de la démocratie, de la liberté par opposition aux régimes autoritaires) mais cela a mis en avant de nouvelles divisions et fait basculer les centres de gravité (entre la France et l’Allemagne). Quels enseignements tirer de ces évolutions ? 

Faisons la part des choses. D’un côté, la guerre a donné bien plus que des couleurs à l’Europe. Elle l’a fait rentrer dans l’ère de la géopolitique sous la menace et l’a fait sortir de son inexcusable naïveté habituelle. Ceci a abouti à des progrès fulgurants en matière de politique extérieure (l’achat commun de munitions adopté hier en est le parfait exemple) et a propulsé l’Union dans une dimension plus politique qui mène à une centralisation des décisions accrue et accélérée à Bruxelles. Nécessaire ? Peut-être. Souhaitable ? A voir sur le long terme. Personnellement, tout en reconnaissant que les circonstances sont exceptionnelles, j’appréhende une Europe construite d’en-haut à coups de crises, car elle se fait fatalement loin des citoyens, 

Mais, en même temps, cette union presque sacrée vis-à-vis de la guerre ne peut masquer la réalité d’une Europe très divisée en interne. Fatigue du couple franco-allemand et les querelles qui vont avec. Le nucléaire, et le moteur thermique font la une même si ces frictions sont assez habituelles (voire banales) au sein de l’UE, il ne faut pas en exagérer la portée. Mais le vrai paradoxe, à mon avis, est que même si le centre de gravité bascule vers l’Est, le clivage Est/Ouest est plus présent que jamais, avec un hostilité sans précédent. Personne n’en parle, mais à partir de septembre, deux tiers des universités hongroises seront exclues des programmes Erasmus et Horizon alors qu’aucune infraction n'a été commise, c’est extrêmement grave. Pire, la Pologne, l’un des nouveaux centres de gravité de l’UE et soutien sans faille de l'Ukraine n'a pas reçu un seul centime des fonds de relance alors qu’elle en a énormément besoin et que la conjoncture économique reste très délicate. Ces erreurs de jugements, qui passent inaperçues à l’aune de la guerre,  laisseront des séquelles très lourdes. Et après les prochaines élections, les pays d’Europe Centrale et de l'Est vont réclamer un poids plus important dans les institutions, ce qui est tout à fait normal tellement ils en sont exclus pour l’instant. Des négociations qui s’annoncent tendues. 

Le modèle européen qui misait sur l’administration et l’économie semble affaibli. A quel point, le modèle européen est-il à bout de souffle ? Qu’est-ce qui marche encore néanmoins ?

Je ne suis pas vraiment d’accord. Ce qui marche encore le mieux dans l’UE, ce sont les compétences les plus anciennes, celles sur lesquelles l’Union avait été bâtie avant Maastricht : le marché intérieur et tous ses corollaires, donc, la coopération économique et technique, la politique commerciale, la libre circulation des biens et des personnes, etc… Et ce modèle se porte bien, il ne fait pas la une des journaux, il est perçu comme ennuyeux et technocratique, mais il continue d’être la clé de voûte de tout le système, ce que l’Europe fait le mieux et de la manière la plus consensuelle. 

A mon avis, c’est l’Europe après Maastricht qui cale, celle du saut qualitatif politique, celle qui est fédéraliste à demi-mot. Alors, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, l’Europe a s’est également lancée dans des chantiers nécessaires, certains avec succès,  depuis 1993, mais il n’empêche qu’une Union plus politique que technique, plus messianique que pragmatique apporte son lot de tensions et de frictions. Entre Etats membres, mais également entre gouvernements et citoyens, ce qui peut-être mortifère sur le long terme. La guerre, certes, montre que l’UE ne peut être qu’un grand marché et qu’elle doit s’adapter à des circonstances très adverses , mais il demeure qu’une intégration bâtie par la force de crises à répétition est un géant aux pieds d’argile démocratique.

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