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Niveau des océans et risque de déluge : le nouveau défi de l’humanité
©Mathilde BELLENGER / AFP

Bonnes feuilles

Cataclysme climatique, effondrement des énergies fossiles, bombe démographique, désastre écologique, explosion des inégalités : l’humanité fait face au déferlement de cinq vagues historiques. Comme le surfeur devant un immense mur d’eau, il nous faut affronter ces mégavagues, comprendre d’où elles viennent, où elles nous mènent – et les surmonter. Extrait 1/2.

Thierry Lepercq

Thierry Lepercq

Thierry Lepercq dirige l'opérateur d'énergie photovoltaïque Solairedirect.

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Les populations humaines et une large partie des espèces devraient pouvoir s’adapter aux évolutions de températures, mêmes importantes. Mais il n’en ira pas de même avec le niveau des océans, qui représente un enjeu autrement plus redoutable. Le débat se résume à deux grandes terres : le Groenland et l’Antarctique, les deux calottes glaciaires qui conservent les plus grands volumes, soit respectivement 2,85 et 29,5 millions de km3. Les banquises arctique et antarctique n’ont pas d’impact car elles flottent : leur fonte n’affecte pas le niveau de la mer. Les autres glaciers terrestres ne représentent quant à eux « que » 0,17 km3. Si l’on retient le scénario RCP 8,5 du GIEC, c’est l’intégralité des deux grands inlandsis qui devrait fondre, causant une montée des océans de 66 mètres, selon le National Snow & Ice Data Center, une agence gouvernementale américaine. La submersion en ce cas serait terrible : la plupart des grandes métropoles seraient englouties, y compris certaines situées à l’intérieur des terres comme Paris, ainsi que des pays entiers : les Pays-Bas, l’est de l’Angleterre, le nord de l’Allemagne, le Danemark, la Lettonie, l’Irak, le Bangladesh, le Cambodge, le nord-est de la Chine, la Floride, Cuba, le nord-est de l’Argentine…

Dans le scénario RCP 6, l’inlandsis antarctique devrait rester largement intact, dans la mesure où le réchauffement devrait y être comparativement moindre. Cela n’empêchera pas pour autant une érosion de la calotte glaciaire, en particulier celle de l’Antarctique occidental, la plus fragile, qui représente un dixième du total. Le détachement de l’iceberg B-46 (184 km2) en novembre 2018 en a fourni une illustration spectaculaire. La prolifération récente d’algues vertes sur les glaces de la péninsule antarctique est un  autre signe visible du dérèglement climatique qui commence à s’y manifester. La situation du Groenand est beaucoup plus préoccupante. La hausse de température est déjà patente dans l’Arctique (plus de 3 °C  dans certaines régions) et une spirale est engagée avec une réduction du couvert neigeux au Canada, en Alaska et en Sibérie, qui affaiblit l’effet d’albédo (réflexion de la lumière). Dans le scénario concerné du GIEC, la hausse des températures devrait y approcher 8°C au cours du siècle prochain. La fonte de la calotte glaciaire du Groenland suit une courbe exponentielle : elle est passée de 33 milliards de tonnes annuelles en moyenne dans les années 1990 à 254 milliards de tonnes (soit 277 km3) au cours de la dernière décennie, soit une hausse de 10,7% par an. L’année 2019 a même connu un pic à 370 milliards de tonnes selon le Dr Ruth Mottram, de l’Institut météorologique danois. Au rythme actuel, c’est la totalité de l’inlandsis groenlandais qui aura disparu avant la fin du siècle, provoquant une élévation de six mètres du niveau des océans.

La fonte des glaces n’est pas la seule cause du phénomène. La dilatation thermique des molécules d’eau, qui affecte la couche supérieure des océans (au-dessus de mille mètres de profondeur), y contribue aussi. On estime que chaque degré supplémentaire se traduit par 25 cm de hausse du niveau de la mer : à terme c’est donc 1 mètre qui pourrait être ajouté. Le GIEC anticipe pour sa part une montée très progressive des eaux (0,5 mètre en 2100), principalement du fait de la fonte des glaciers terrestres et du phénomène de dilatation. D’autres experts ont une vision différente, en prenant en compte une contribution beaucoup plus importante de l’inlandsis groenlandais : c’est le cas de la NOAA, dont les modèles prévoient une hausse de 2,5 mètres en 2100 dans le cas du scénario RCP 6. Cette hausse se prolongerait dans une asymptote à sept mètres à la fin du siècle suivant : une montée certes bien moindre que les 130 mètres du début de l’holocène, mais que l’on peut néanmoins qualifier de nouveau déluge, eu égard à la rapidité du phénomène.

Le défi de l’humanité : faire face au nouveau déluge

L’expérience de l’épidémie de Covid-19 le montre : lorsqu’un cataclysme se profile, il est essentiel d’en prendre toute la mesure et de s’y préparer, puis d’agir en conséquence. La perspective crédible d’un nouveau déluge l’exige, même si ses effets ne seront pas dramatiques avant deux ou trois générations.

En premier lieu, il convient d’en mesurer les impacts. Ils concerneront au premier chef trois types de territoires : les nations insulaires de type atoll (Maldives et certaines îles du Pacifique comme les Iles Marshall et Tuvalu), les régions de deltas et les métropoles portuaires. Dans le premier cas, l’évidence s’impose : ils devront être évacués, au prix de la disparition des nations concernés, qui devront, comme les Nubiens, après la mise en eau du lac Nasser en Egypte, trouver un refuge. Le deuxième cas est plus épineux, parce qu’il s’agit de vastes espaces ouverts souvent extrêmement peuplés. Sont concernés au premier chef les deltas des fleuves suivants : Mississippi, Rhin, Pô, Nil, Tigre, Euphrate, Gange, Mékong et Yangzi. Dans certains cas, des digues et barrages pourront être construits, sur le modèle de ce que les Pays-Bas ont accompli depuis des siècles. Reste le cas des métropoles : une large part d’entre elles seront potentiellement englouties, partiellement ou totalement : New York, Miami, Amsterdam, Copenhague, Alexandrie, Lagos, Dubaï, Mumbai, Kolkata (Calcutta), Hô Chi Minh-Ville, Guangzhou (Canton), Shanghai, Tokyo… Dans ce cas, deux options seront envisageables : évacuer les zones inondées pour se reporter sur les parties restées émergées des métropoles concernées ou, pour celles qui en auront les moyens, construire des systèmes de digues.

Il est un pays maritime dont une large part (26%) est déjà au-dessous du niveau de la mer : les Pays-Bas. Son point bas est précisément à – 7 mètres d’altitude, au Zuidplaspolder. Ce territoire, situé immédiatement au nord de Rotterdam dans le delta du Rhin, était au début du XIXe siècle une tourbière, dont l’exploitation avait créé un lac artificiel menaçant d’inonder la région avoisinante. Un réseau de digues fut alors construit avec des moulins, bientôt remplacés par des pompes à vapeur.  En 1840, quinze ans après le début des travaux, le polder était asséché et transformé en une des aires agricoles des plus fertiles du pays. L’histoire des polders a aussi son lot de drames. Le 31 janvier 1953 un cataclysme historique frappait les Pays-Bas, au point qu’il y est encore simplement désigné comme « Le Désastre ». Une forte tempête associée à un coefficient de marée exceptionnel provoquait une montée des eaux de près de six mètres. Dans la province de Zélande, au sud du pays, les digues furent rompues en 67 points, inondant au passage un territoire de 1 365 km2 et provoquant la mort de 1 835 personnes. A la suite de ce tragique événement, les Pays-Bas ont engagé un programme de grands travaux défensifs nommé Deltawerke (Plan Delta), qui a duré une quarantaine d’années. A la base, se trouve un système intelligent qui calcule les probabilités d’événements extrêmes (tempêtes, marées, crues du fleuve) en différents points du territoire. Il intègre aussi la protection des biotopes et du patrimoine culturel, et vise à canaliser le mouvement des eaux plutôt qu’à s’y opposer frontalement. La protection des zones en risque d’inondation est assurée par le rehaussement des dunes, un réseau de digues à double niveau et une série d’ouvrages d’art pilotés par ordinateur. Le plus spectaculaire est un barrage anti-tempête situé sur l’Escaut (Oosterscheldekering) : long de 9 km, il recèle 62 portes-glissières en acier installées entre des piliers de 35 mètres de haut pesant chacun 18 000 tonnes. Le port de Rotterdam est quant à lui protégé par un autre barrage anti-tempête en forme d’écluse géante, le Maeslantkering, haut de 22 mètres et dont chaque bras mesure 210 mètres de long. Au total, ce sont huit barrages, quatre barrages anti-tempêtes, une écluse géante et un système de digues mobiles qui ont été construits. Apr7s un demi-siècle, les ouvrages d’art ont tenu leurs promesses face à plusieurs dizaines d’événements météorologiques extrêmes – dont aucun n’a néanmoins égalé le cataclysme de 1953. Le Plan Delta est une des « sept merveilles du monde moderne » consacrées par l’American Society of Civil Engineers, au côté du canal de Panama et du tunnel sous la Manche. Mais rien n’est garanti pour l’avenir. Le système est contrôlé et renforcé en permanence sous la supervision de la Commission Delta : celle-ci se prépare à une montée des eaux de 4 mètres avant la fin du siècle prochain.

L’Histoire dira comment les deltas et métropoles portuaires du monde entier parviendront à se protéger du nouveau déluge en tirant les enseignements du système néerlandais. Le Groenland, qui sera sans doute devenu un immense lac glaciaire comme jadis celui de Missoula, servira alors de témoin de la folie des humaines – et de leur capacité de résilience face à l’adversité qu’ils ont eux-mêmes créée.

Extrait du livre de Thierry Lepercq, "Mégavagues - Scénario pour un monde post-carbone", publié aux éditions Dunod

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