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Emmanuel Macron et Bruno Le Maire à l'Elysée, en décembre 2020.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire à l'Elysée, en décembre 2020.
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Prévision, anticipation, modélisation...

Il serait pourtant utile de savoir modéliser l’impact par exemple de l’ouverture des frontières en Europe : indemniser le secteur du tourisme ou payer pour une quatrième vague accentuée par les vacances, quelle est l’option la plus coûteuse ?

Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Un nouveau conseil de défense sanitaire est prévu lundi prochain pour décider d’éventuelles nouvelles restrictions. Depuis le début de la crise, l’impact économique de chaque mesure sanitaire prise a-t-il suffisamment calculé, suffisamment modélisé ? S’il ne faut pas systématiquement privilégier l’économie à tout prix, avons-nous au moins été capables de donner une rationalité économique à nos politiques sanitaires ?

Christian Gollier : Au début de la pandémie, nous étions dans une telle incertitude qu'aucune prévision sérieuse ne pouvait être réalisée. Aujourd'hui, on a davantage de certitudes mais certains doutent demeurent, notamment tout ce qui concerne les variants. Il faut rester modeste, la science n'est pas capable de tout prédire, pas plus les biologistes et les médecins que les économistes. Ceci étant dit, quand on regarde toutes les stratégies menées à travers le monde, le Zéro Covid semble dominer toutes les autres en matière d’efficacité sanitaire et économique. On ne l'applique pas en France, notamment pour des raisons d'acceptabilité politique et sociale et de culture de l'évaluation socio-économique effectivement.

Bien souvent, la décision prise par le gouvernement (par exemple un confinement) met dans la balance intérêts économiques et vie humaines et pose un choix cornélien. D'autres stratégies permettent à la fois de sauver l'économie et les vies humaines. Malheureusement nombre d’entre elles n’ont pas été suivies – je pense par exemple à la politique de tests et d’autotests. Une autre solution, à la fois sanitairement et économiquement efficace, a été étudiée par les scientifiques via des modélisations : c’est le confinement des personnes les plus vulnérables à la place du confinement indifférencié. Encore une fois cela pose des questions sociales, éthiques et psychologiques mais c’est une stratégie qui permet de sauver à la fois des vies humaines et de continuer à faire tourner l'économie.

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Charles Reviens : La crise covid-19 a depuis son irruption une dimension globale nécessitant une vision de système incluant ses dimensions socio-économiques et sanitaires. Sur le seul point sanitaire il faut d’ailleurs faire la part entre l’enjeu covid-19 à court terme et une vision globale des questions de santé publique à moyen et long terme. Cette crise a également un caractère inédit, en tout cas dans les pays occidentaux, qui n’avaient pas connu les épisodes de type MERS présents dans les années 2000 en Asie du Sud qui avaient de ce fait un avantage en termes de réactivité. Cela impose un minimum d’indulgence sur la phase amont d’autorités soumises à une situation de crise sans références.

Pour la France, la crise se déroule dans un pays dans lesquelles les politiques publiques se définissent et se déploient le plus souvent sans aucunes études d’impact (ni ex ante ni ex post), études qui n’intéressent ni les médias ni les responsables politiques beaucoup plus attachés à des considérations idéologiques abstraites, des dimensions émotionnelles, avec comme corollaire une faible volonté de concilier les différents aspects d‘une question globale.

On oppose ainsi en France systématiquement le social et l’économique (une bien étrange attitude suivant le paradigme de l’Europe du Nord), et on a au cas d’espèce rapidement opposé économie et santé dans la gestion covid-19 : il était indiqué qu’il fallait accepter de graves sacrifices économiques et des pertes de substance économique liées aux restrictions majeures des interactions sociales et économiques pour pallier la situation sanitaire.

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Je pense au contraire qu’il était et est toujours pertinent d’articuler volet sanitaire et volet socio-économique de l’approche des politiques publiques covid-19 afin de minimiser l’impact global de la pandémie : plus on a une politique sanitaire efficiente et une maîtrise de la diffusion du virus, plus on peut limiter les restrictions qui ne visent qu’à pallier une situation sanitaire devenue hors de contrôle mais qui détruit la substance économique. En France cela a été rendu possible par un discours particulièrement permissif en matière de finances publiques (le « quoi qu’il en coute ») qui adapte à la crise sanitaire le fait que tous les gouvernement assument depuis 45 ans des déficits massifs et croissants avec une situation unique en Europe avant même la crise sanitaire (déficit français égal à celui de la zone euro dans son ensemble en 2019).

Donc les principales modélisations publiques françaises ont consisté à ratifier dans les prévisions macro-économiques (notes de l’INSEE) et budgétaires les conséquences de la politique sanitaire avec très peu d’analyses concernant les éventuels arbitrages entre volets sanitaires et volets socio-économiques. On voit cela aussi bien au niveau de la stratégie globale que par rapport à l’enjeu de la vaccination.

De nombreux chercheurs, dont vous Christian Gollier, ont fait des projections sur l’impact de telle ou telle mesure. Le gouvernement vous écoute-t-il, mène-t-il ses propres études ou n’en tient-il tout simplement pas compte ?

Christian Gollier : Je ne pense pas avoir été entendu par le gouvernement mais ça n'est pas un problème. Beaucoup d'informations remontent à lui, il gère ensuite comme il le veut et le peut. La suspension de la campagne AstraZeneca ne relevait pas tant de l'analyse coût-bénéfice mais davantage d’un problème d'acceptabilité sociale au sujet d'incertitudes sur les effets secondaires. Pourtant déjà à ce moment, la science disait que les cas de thrombose induits par la vaccination étaient ultra-minoritaires. Cette décision ne répondait donc pas à une rationalité scientifique. Pour un gouvernement, assumer un coût humain, quand bien même il est extrêmement marginal, est très difficile. Au final, la suspension d’AstraZeneca au mois de mars pendant une semaine nous a coûté plus de 2 000 morts supplémentaires et n’a permis d’éviter que quelques cas de thromboses. Même si c'est une décision irrationnelle sur le plan scientifique, je pense que le gouvernement n'avait pas d'autre choix pour rassurer la population et battre en brèche les arguments des antivaccins.

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Un travail de prévision/modélisation plus efficace nous aurait-il permis d'éviter des dommages tant économiques que humains ?

Charles Reviens : Un premier travail de prévision/modélisation concerne la stratégie globale covid. De façon schématique, l’année 2020 a vu s’opposer les tenants et les pratiquants d’une approche « suppression du virus » mise en œuvre en Asie du Sud et en Océanie à l’approche « vivre avec le virus » dominantes dans les pays occidentaux. « Vivre avec le virus » consistait à assumer des niveaux élevés de circulation du virus en alternant des niveaux différenciés de renforcements (confinements) et de libéralisation (déconfinements) d’interactions sociales et économiques le plus souvent indifférenciées, suivant que le virus était sous ou hors de contrôle pour les infrastructures de santé publique. Il est évident que des niveaux élevés de restrictions abîment à court et à moyen terme. On constate en revanche que les stratégies de « suppression du virus » permises il est vrai par des niveaux de circulation toujours maîtrisés du fait d’une réactivité initiale, avec des ciblages des personnes contaminantes et contaminées sont infiniment moins délétères pour l’économie et la vie sociale.

Vient ensuite la question de la vaccination qui change la donne depuis fin 2020. Ma contribution du 23 janvier analysait les propos du professeur d’économie allemande Hans-Werner Finn qui considérait que le budget nécessaire pour vacciner les deux tiers de la population européenne (29 milliards d’euros) représentait dix jours de la crise économique et sociale covid-19. De même, Euler Hermés valorisait chaque semaine la semaine de restriction à 3 milliards d’euros incitant alors à l’accélération du rythme de vaccination, sur la base d’un retour sur investissement massif des dépenses de vaccination.

De telles analyses, à mener régulièrement face à une situation changeante, sont donc utiles et pertinentes tant pour le débat public que pour les prises de décision.

Pour la vaccination, pourquoi n’a-t-on pas anticipé ce qui était le plus judicieux entre négocier le prix des doses ou miser sur la rapidité ? Aujourd’hui, ne serait-il pas utile de savoir ce qui est le plus coûteux entre fermer les frontières et indemniser le secteur du tourisme ou payer le prix d’une quatrième vague accentuée par les vacances ? 

Christian Gollier : On pourrait effectivement le faire. Les modèles sont aujourd'hui capables d'estimer l'impact de la fermeture ou de l'ouverture des frontières sur la propagation du virus. C'est quelque chose qui parait judicieux étant donné que certains voisins dont la Catalogne subissent une quatrième vague. Le coût économique de cette fermeture pour le secteur du tourisme pourrait également être estimé. Mais on ne fait pas ses calculs. Je pense que c'est parce qu'ils sont difficilement entendables par l'opinion publique. Dire qu'il y a un compromis à faire entre préserver notre économie et sauver des vies supplémentaires est une idée qui ne passe pas. C'est un débat qui est très compliqué à tenir. Les politiques, surtout en période de réélection, ont tendance à adopter des discours qui vont dans le sens des croyances des gens. Si l'Etat est accusé de ne pas faire le maximum pour sauver les vies, il agira en conséquence. Même si tout le monde a vu le drame des restaurateurs, une grande partie de l'opinion était favorable à plus de fermeté.

Sur les doses de vaccins, le retard européen de la campagne de vaccination par rapport à la Grande-Bretagne ou le Royaume-Uni a coûté très cher à l'Europe en vie humaines et en relance économique. Effectivement, les technocrates bruxellois ne l'ont pas prévu et sont partis négocier au centime près le prix le plus faible avec les laboratoires. 

Quels sont les blocages qui ont empêché le gouvernement de s’appuyer sur une rationalité scientifique pour appuyer leurs décisions ?

Christian Gollier : Je travaille personnellement depuis un an et demi sur la façon de rationaliser la décision politique dans la gestion de l'épidémie. Le gouvernement n’est pas dans cet esprit. Il a à sa disposition un conseil sanitaire qui fait un bon travail mais qui ne compte aucun économiste. Je ne vois pas dans l'exécutif l'organisme où des gens pourraient prendre des décisions en mettant dans la balance les aspects économiques et sanitaires. Je pense qu'il aurait fallu un autre groupe d'experts qui, recevant des informations sanitaires (du conseil scientifique notamment), aurait pu proposer des arbitrages et rationaliser les décisions politiques. A ma connaissance, cela n'a pas existé. Et même dans les médias, il n'y a pas eu de débat éclairé sur ces sujets.

Le gouvernement est obligé de faire des compromis entre des objectifs (parfois) contradictoires. Faire ces arbitrages de façon totalement transparente est très compliqué. Notamment parce que l'opinion publique n'est pas disposée à rationaliser la situation.

Charles Reviens : Le premier élément de blocage concerne les orientations et la stratégie de communication des pouvoirs publics français au cours de la crise sanitaire. En 2020 il y a eu une stratégie anxiogène « tout covid » avec plusieurs cycles de confinement qui ont connu l’assentiment d’une large majorité de l’opinion publique face à un choc cognitif et émotionnel inédit. Parallèlement la question de l’économie a été traitée par le « quoi qu’il en coute » et l’ouverture des vannes budgétaires largement financées par la BCE.

Un autre blocage tient à l’appétence française pour les polémiques portant sur des droits abstraits : débat de l’été dernier sur l’application stop covid, débat en cours sur la vaccination obligatoire. On note ainsi le paradoxe selon lequel le pays n’a pas pu ou voulu mettre des restrictions de libertés ciblées sur des publics à risque au nom d’un principe abstrait d’égalité, ce qui a conduit à imposer des restrictions absolument inédites à l’ensemble de la population quand le virus redevenait hors de contrôle au prise de destructions majeurs de la substance économique.

Il y a enfin la faible appétence des médias et du personnel politique et au final du public pour la question des études d’impact et de l’évaluation des politiques publiques. On peut noter ironiquement que les commissions parlementaires sur la crise sanitaire covid-19 ont eu beaucoup moins d’impact que celles sur l’affaire Benalla de 2018…

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