Christian Gollier : « Les négociations autour de la taxonomie verte européenne relèvent de négociations de marchands de tapis à la fois ultra compliquées et largement inefficaces »<!-- --> | Atlantico.fr
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Des députés européens participent à une séance de vote sur l'octroi d'un label "vert" aux investissements dans le gaz et le nucléaire décidé par la Commission européenne. 6 juillet 2022
Des députés européens participent à une séance de vote sur l'octroi d'un label "vert" aux investissements dans le gaz et le nucléaire décidé par la Commission européenne. 6 juillet 2022
©PATRICK HERTZOG / AFP

Non-sens

Les eurodéputés ont donné leur feu vert au projet de taxonomie qui intègre le nucléaire et le gaz parmi les énergies « vertes ». Pourtant, les négociations autour de cette nouvelle taxonomie se révèlent bien trop compliquées et surtout inefficaces

Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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Atlantico : La semaine passée, les députés européens ont rejeté une résolution qui visait à retirer le gaz et le nucléaire de la future taxonomie verte de l’Union européenne, c’est à dire de la liste des activités économiques considérées comme durable sur le plan environnemental. Les écologistes s’en sont largement désolés. En quoi ont-ils raison ou tort ?

Christian Gollier : Le processus de création de taxonomie verte est en cours dans l’Union européenne depuis plusieurs années. Et depuis un an, les États sont intégrés à ce développement. Sur le sujet du nucléaire et sur celui du gaz naturel, nous sommes sur des secteurs particulièrement sensibles. Sur le gaz, on doit trouver de nouvelles sources d’approvisionnements pour compenser la perte d’exportation de gaz russe vers l’Europe. Et pour le nucléaire, il n’émet pas de CO2, il est capable de produire de l’électricité à faible à coût, mais il est contesté.

Dans le cas du gaz naturel, il émet tout de même du CO2. Voilà pourquoi les Français ne voulaient pas labelliser le gaz. Le nucléaire, lui, est trop dangereux pour certains et laisse des déchets que l’on ne sait pas totalement traiter. Alors les Allemands ne voulaient pas indiquer le nucléaire comme vert car eux-mêmes ont décidé de sortir du nucléaire il y a une dizaine d’années. Mais depuis 8 mois, il y a un jeu donnant-donnant entre partenaires européens. 

Sur le fond, ce mécanisme veut inciter les investisseurs (fonds de pensions, de gestion, des assureurs, des banques…) à faire des placements plus écologiques. Dans un futur proche, ils auront besoin d’un label « vert » pour attirer de nouveaux capitaux. S’ils ne l’obtiennent pas, de nombreux intermédiaires se détourneront de ces entreprises et elles auront des difficultés à trouver des financements. Ainsi, leur compétitivité serait réduite.

Mais son impact est à nuancer. Tous les intermédiaires financiers ne veulent pas le « bien de l’humanité », ils veulent avant tout rentabiliser leurs placements. Et beaucoup d’entre eux vont se substituer aux investisseurs verts pour obtenir une meilleure rentabilité dans des marchés plus polluants car il y aura moins de concurrence.

Pour que cela marche réellement, il faudrait que l’ensemble de l’humanité accepte de jouer à l’investissement vert. Le fait qu’il n’y ait que l’Europe et quelques entreprises concernées atténue grandement le pouvoir de cette taxe. Beaucoup d’économistes sont d’ailleurs circonspects sur son résultat final.

Certains écologistes, comme Pascal Canfield, se sont félicités que le gaz ait été intégré dans la taxonomie verte européenne uniquement sous des conditions relativement strictes. Pour vous, ces conditions sont au contraire, contre-productives. Pourquoi ?

La décision qui a été prise n’est pas de dire que le gaz naturel est vert en effet mais qu’il l’est uniquement sous certaines conditions qui sont difficiles à atteindre (pas plus de 100g de CO2 émis par kWh produit). Ces objectifs sont très éloignés de ce que l’on est capable de faire aujourd’hui. Cela ne va pas permettre de garder le gaz naturel.

A court terme, dans les dix prochaines années, comment allons-nous éliminer le charbon ? Le charbon émet beaucoup plus de CO2 par kWh que le gaz naturel. Quand on remplace du charbon par du gaz naturel, on réduit beaucoup les émissions de CO2 globales.

Dire que le gaz naturel c’est vert mais qu’il faudrait qu’il ne soit presque pas émetteur de CO2 constitue un problème. Cela va maintenir le charbon plus longtemps qu’il ne serait nécessaire.

S’agit-il d’une interdiction cachée en réalité ? 

C’est bien une interdiction cachée en effet. Dans cette guerre idéologique, l’efficacité économique passe souvent à la trappe. Le désinvestissement du secteur du charbon est déjà bien avancé. Il y aura toujours néanmoins des financeurs pour le charbon comme Glencore qui est une grande entreprise américaine qui a investi beaucoup dans le charbon. Elle parvient à autofinancer ses investissements dans le charbon et n’a pas besoin d’aller sur les marchés financiers pour lever des fonds pour investir dans le charbon.

Il y a déjà un certain temps que l’industrie du charbon a cessé de s’adresser aux marchés pour lever des capitaux afin de financer ses investissements.

Pour le gaz naturel, c’est différent. Beaucoup d’entreprises du secteur se font financer par des banques ou des fonds de pension. Jusqu’à maintenant c’était considéré comme acceptable.

Le gaz naturel représente-t-il aussi une solution pour avoir une énergie peu chère et qui pollue moins ?

Le gaz naturel est une énergie de transition. Tant que le problème de stockage de l’électricité n’est pas résolu, nous allons avoir besoin de gaz naturel quand il n’y a pas de vent ou pas de soleil et en particulier dans les pays qui n’ont pas de nucléaire. Nous allons avoir besoin dans les temps difficiles, lorsque les conditions météorologiques ne sont pas bonnes et lorsqu’il n’y a pas de vent, de gaz naturel pour se chauffer et pour se déplacer. Les besoins en électricité vont être beaucoup plus importants à l’avenir. Le secteur de la mobilité va être électrifié, via notamment les voitures électriques. Le résidentiel est aussi concerné avec le chauffage électrique et les pompes à chaleur. Nous allons donc avoir besoin de cela. Nous allons encore plus dépendre de l’électricité demain. Se pose la question de savoir ce qu’il est possible de faire en l’absence de vent et de soleil.

Une énergie intermittente et contrôlable sera requise. Pour l’avenir, il vaudrait mieux que cela soit le gaz naturel plutôt que le charbon.

Le nucléaire connaît-il le même sort que le gaz dans cette taxonomie européenne ?

Non car le nucléaire est considéré comme vert mais il n’a pas les contraintes qui sont imposées sur le gaz naturel pour être considéré comme vert. Il y a bien des contraintes mais elles correspondent à de meilleures technologies et à de moindres risques dans le secteur nucléaire. Les technologies sont disponibles et cela est réalisable. Pour le gaz naturel, l’objectif de moins de 100g par kWh va être compliqué à atteindre.

Pour vous, ces débats sur la taxonomie verte européenne passent à côté de LA mesure qui pourrait vraiment se révéler efficace pour la transition écologique, à savoir la taxe carbone. Mais les taxes ne sont-elles pas rejetées par la population ?

La limitation des investissements que vise la taxonomie européenne est un mécanisme à la fois très complexe et très inefficace. Une taxe sur le carbone qui stipule que pour le CO2, il va falloir payer pour les dommages  que vous allez engendrer, est a l’inverse un mécanisme simple. Comme le charbon nécessite beaucoup plus de CO2 par kWh produit que le gaz naturel, mettre un prix sur le CO2 contribue à handicaper le charbon par rapport au gaz naturel mais dans un mécanisme complètement transparent et qui est la simple application du principe pollueur-payeur.  

La taxe carbone peut certainement provoquer des crispations mais son bénéfice demeure incomparablement supérieur aux débats de marchands de tapis que suscitent les negociations autour de la taxonomie et dans lesquelles la réalité des enjeux économiques et technologiques est complètement passée à la trappe.

La meilleure solution serait d’oublier cette taxonomie et d’appliquer le principe pollueur-payeur, que ce soit pour les industriels ou pour les consommateurs : si vous consommez du CO2, il faudra payer  une certaine somme pour compenser. Il n’y a que cette solution qui puisse rapidement éliminer le charbon du bouquet électrique européen.

La complexité de la taxonomie n’est elle pas un moyen détourné de contenter tout le monde ?

Oui. Mais ce sont néanmoins des politiques à la petite semaine. On sait que tarifer le carbone est socialement difficile à faire accepter car cela démontre à tous qu’il va falloir faire des sacrifices pour la transition énergétique. Les gens n’ont pas encore compris cela. Il n’est pas possible de leur dire de vive voix. Donc on utilise des procédés et des méthodes très compliquées en montrant que c’est est une approche responsable. Et cela va imposer aux secteurs de la finance des obligations de responsabilité très compliquées.    

Aujourd’hui chaque kWh produit avec du charbon émet entre 800 et 1000 grammes de CO2. Pour produire ce même kW avec du gaz naturel, les émissions sont diminuées de moitié. La bascule du charbon vers le gaz naturel permet de réduire grandement les émissions de CO2. C’est ce que les Américains ont fait en produisant du gaz de schiste, qui a fait baisser le prix du gaz. Aux États-Unis, il y a eu une bascule de la production vers le gaz alors qu’en France et en Europe, le charbon est toujours un peu moins cher que le gaz naturel par kW produit. C’est pour cela qu’il résiste en Europe.

Si l’Europe parvenait à remplacer le charbon par le gaz naturel on y gagnerait, mais si on le taxe de « non vert » cela ne marche pas. Cette semaine, il a été taxé de vert seulement en substitution du charbon, s’il n’émet pas plus de 100 grammes de CO2 par kW. Aujourd’hui, c’est extrêmement difficile voire impossible. Il s’agit donc d’une victoire à la Pyrrhus pour les Allemands et le gaz est coincé en Europe étant donné qu’il est impossible de produire de l’électricité avec du gaz en émettant 100 grammes de CO2.

Tout cela est contre-productif car cela protège même le charbon de la concurrence du gaz naturel. C’est une catastrophe qui crée une autoroute pour l’utilisation charbon polonais et de lignite allemand.

Afin de diminuer les émissions carbone, y aurait-il une solution plus simple et plus claire que l’UE pourrait mettre en place ?

Le gaz naturel n’est pas parfait et bien que l’éolien et le solaire, mais en Europe, dans un monde où nous sommes contre le nucléaire, il n’y a pas de solution pour gérer l’intermittence de l’éolien et du solaire. Demain, il sera crucial de produire de l’électricité, pour affronter la demande été comme hiver à l’heure où nous électrifions tous nos usages et qu’il n’y a pas de capacité de stockage. La seule solution est le gaz naturel.

Sans solution alternative, il va encore falloir planifier la disponibilité des ressources d’énergie comme le pétrole et décarboner le secteur sans tenir le collet à ceux qui explorent de nouveaux champs pétrolifère ou gazier. Les prix doivent rester acceptables et accompagner les populations vers la sobriété. Il faut agir et utiliser une taxe carbone efficacement. La solution qui est en train d’émerger est absurde et dangereuse socialement.

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