Paul McCartney se lance dans le jazz. Mais où en serait John Lennon s’il était encore en vie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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On voit bien ce qui les sépare. Pourtant le secret de leur alchimie ne tient pas seulement de la compétition mais aussi de leur profonde ressemblance.
On voit bien ce qui les sépare. Pourtant le secret de leur alchimie ne tient pas seulement de la compétition mais aussi de leur profonde ressemblance.
©Flickr/michellerocks

Legendary

Paul McCartney sort ce lundi "Kisses On The Bottom" un nouvel album... de reprises de jazz ! Un tournant inattendu de la part de cette icone pop. De quoi s'interroger sur ce que serait aujourd'hui John Lennon, son acolyte des Beatles, s'il n'avait été assassiné en 1980.

Clément  Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué réfléchit aujourd'hui sur les problématiques de l'action publique, dans le domaine des relations internationales et de la santé. Diplômé de littérature et agrégé d'anglais, il écrit sur le blog letrebuchet.c.la sur l'art, la société et l'homme.

Victoria Rivemale est diplômée en Lettres.

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"Mais enfin, je fais la même taille que John !", s’exclame Paul McCartney, légèrement vexé que l’acteur choisi pour l’incarner dans le film Nowhere Boy (2010) soit plus petit que celui qui joue John. Le lecteur trouvera facilement les anecdotes, mille fois racontées, de leurs collaborations, bisbilles, fâcheries, jalousies, retrouvailles virtuelles et partielles.

Que se serait-il passé si John Lennon n’était pas mort  le 8 décembre 1980 ?

Depuis lors, McCartney n’a cessé de chercher à incarner à lui seul les Beatles. Au répertoire des Wings et à son œuvre solo, il ajoute maintes de leurs chansons et n’hésite pas à piller  ses confrères morts (en s’appropriant Something de Harrison au ukulele, par exemple). Ce n’est pas seulement McCartney fripé qu’on vient voir en concert, mais un bout du Saint-Suaire. Il ne se contente pas de jouer les morceaux des Beatles ni d’être lui-même un morceau des Beatles : il est les Beatles. Qu’importe si ses cheveux hésitent depuis 30 ans entre toutes les nuances de brun, de poivre et sel ou de roux, si la voix est trop rauque pour Michelle ou si les bajoues tombent quand il se penche pour un solo.

Si John avait vécu...

Combien de temps aurait-il fallu attendre pour que le groupe se reforme, au moins une fois, créant un évènement historique ? On aurait vu sur les télévisions du monde entier les clins d’oeil complices des compères, leurs mimiques éternelles (œillades et hochements de Paul, lèvres pincées de John, les jambes arquées comme un cow-boy, rictus denté de George, présence nasale de Ringo). Quatre vieilles danseuses jouant pour un public prestigieux (Barack et Michelle, Prince Charles, Steve Jobs) et pour leurs collègues :  Mick Jagger de ses grandes lèvres psalmodiant Get Back, Bruce Springsteen prêtant son concours au refrain de She Loves You, Yeah, Yeah, Yeah, Michael Jackson montant sur scène pour interpréter Yesterday.

Qu’a fait Paul pendant quarante ans ? Il n’a jamais cessé d’explorer la lisière entre rock et soupe. Incapable d’expliquer ses chansons ("je les fais, c’est tout"), il craint les idées et se contente de charitables engagements : mines anti-personnelles ou droit des animaux. Rockeur authentique, il s’accompagne à la contrebasse sur Heartbreak Hotel, mais il doit autant au music hall qu’à Elvis, chantant sans honte l’harmonie familiale dans un clip animé d’une niaiserie inouïe (Once Upon a Long Ago) ou à la tête d’un big band kitschissime (Comin’ Up). Celui qui déclarait en 1968 "la musique pop est la musique classique d’aujourd’hui" a réalisé son rêve. Il est l’establishment.

Contrairement à McCartney chez qui Be Bop A Lula est sensuelle et moelleuse, Lennon en fait un titre punk, acide et pressé. Que serait devenu Lennon : serait-il resté l’icône contestataire qu’il était dans les années 70 ? Aurait-il fait un album avec Dylan ? Avec Neil Young ? Aurait-il benoîtement vanté partout, comme tout le monde, les mérites de la liberté et de l’égalité ? Aurait-il fini par soutenir un candidat américain démocrate, encouragé telle ou telle action "citoyenne" ?

On voit bien ce qui les sépare. Pourtant le secret de leur alchimie ne tient pas seulement de la compétition mais aussi de leur profonde ressemblance. Ce sont deux enfants de la guerre qui ont eu beau chercher dans la musique rock et pop un moyen d’expression, une issue aux codes rigides de l’époque et à leur milieu étriqué, ils n’ont fait que prendre des masques. John est caustique à l’extérieur et à vif à l’intérieur, Paul jovial en apparence mais profondément aigre. Leur réputation de beatniks aux mœurs dissolus est usurpée : voilà en vérité deux types assez coincés, maris pesants ("Je ne voulais pas te faire pleurer", Jealous Guy) et pères par intermittence , partagés entre tendresse et éloignement, comme la plupart de ceux qui eurent 20 ans dans les années 60 (la génération d’après se dévoua corps et âmes aux enfants). John disait d’ailleurs que son "refoulement" (répression) psychique était à l’origine de son destin de star. Esprit anglais : la rigidité trouvant à s’exprimer dans une exubérance fofolle. D’où les mimiques, petits cris, grimaces et sauts de cabris auxquels on voit Paul et John se livrer devant les caméras.

John Lennon est une figure contestataire pour le moins contestable : la seule "répression" qu’il avait vraiment à combattre étant celle de ses sentiments, ses pulsions, ses contradictions. "Les Beatles sont morts", confiait-il (en français !) à Jean-François Vallée en 1971. Ce qui les a tué ? "Le capitalisme", ne trouve-t-il rien d’autre à répondre. Mais qu’est-ce qui l’a tué, lui ? C’est peut-être précisément ce fourvoiement contestataire qui l’a fait passer de l’invitation à la libération des mœurs (All you need is love) à une morale de libération (vaguement antisystème). Du scepticisme vis-à-vis des promesses de Mao (Revolution), il passe au souhait de le rencontrer et d’aller jouer du “rock’n’roll” en Chine.

Inventeur du "look" ouvrier, casquette et marcel, on le voit jouer de la guitare au bottleneck en bluesman ; qu’il est laid ce John des bed-in, l’air maladif, il ne blague plus,  politisé, bavard, qui se pique de donner des performances "participatives", qui écrit à la Dylan des chansons engagées (John Sinclair), il espère un public qui "participe pleinement et ne fait pas qu’admirer Dieu sur scène". Il n’a pas compris son statut d’icône, ce statut que son meurtrier, Mark Chapman, voulut lui dérober. Saisi d’une culpabilité de parvenu, il s’est contraint à faire l’engagé, l’ami des ouvriers, lui le petit-bourgeois de Liverpool.  Dans cette interview, il dit refuser d’être "prisonnier d’une formule", d’une "image de marque" que "les gens reconnaissent". Ses lèvres se pincent tellement il est mal à l’aise, tellement il ment, lui qui réclame "la vérité" (Gimme Some Truth). Content d’être débarrassé du besoin de "figures paternelles", il ne saura pas trop comment être père, ni pour ses enfants ni pour ses fans, refusant d’être un mythe, un héros ("Je n’ai aucun intérêt à être un putain de héros mort", dit-il dans un ultime entretien trois jour avant sa mort). N’est-ce pas cela qui l’a tué

Yoko de son côté, en bourgeoise branchée, aime ces "chansons du peuple", "simples", qui "font boum-boum", "viennent du cœur" !

Le temps passant, le mythe aurait grandi malgré lui, condamnant Lennon au refus et au retrait, ce qui n’aurait pas manqué de le grandir encore à l’esprit des fans. Ne supportant pas d’être une idole - ce qui n’a jamais posé problème au coquet McCartney - il n’aurait pas supporté non plus, les années passant, de ne plus être la hauteur de qu’il avait été.

George, que l’on disait silencieux, était en réalité plus serein. Ses bluettes (Do yo want to know a secret) et ses plus ambitieuses odes (My Sweet Lord, While My Guitar Gently Weeps) respirent une sincérité délicate, là où John est brutal, dans le tout où rien (on se souvient de ses vagissements d’orphelin quarantenaire sur Mother) et où Paul est mièvre (comme lorsqu’il sanglote "je ne retiens plus mes larmes / Je t’aime" dans Here Today en hommage posthume à John).

Vieux, John et Paul auraient fini par se ressembler : pareillement las qu’on les interroge sur le pourquoi du comment de leurs chansons, mais répondant avec cet entrain mécanique des britanniques parlant du temps qu’il fait. Comme de vieux garçons dans le vent.

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