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"Winter is coming"... mais pas que : comment Game of Thrones réussit à nous alerter sur les dangers du changement climatique
©Capture d'écran

Bonnes feuilles

Apprenez comment forger la plus parfaite des épées, concocter un poison foudroyant, ou abattre un mur (supposé) infranchissable. Levez le voile sur les secrets du feu grégeois, de l'acier valyrien, et partez à la rencontre des dragons, loups géants, et autres créatures de légendes qui vivent au-delà du Mur. Extrait de "Science & magie dans Game of Thrones" d'Helen Keen, aux éditions Albin Michel (2/2).

Helen Keen

Helen Keen

Helen Keen est une auteure, comédienne et journaliste de radio anglaise. 

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Dans notre monde comme dans celui des contrées de l’Éternel Hiver, au nord du Nord de Westeros, le froid préserve toutes sortes de secrets. Les chercheurs qui travaillent en Antarctique se servent de foreuses spéciales pour creuser à des profondeurs jusqu’à trois kilomètres dans l’épaisseur des glaciers et des plaques de glace. Ils en extraient des tiges de glace appelées carottes, grâce auxquelles ils peuvent avoir un aperçu de notre histoire très ancienne. Ces carottes nous ont permis de remonter jusqu’à huit cent mille ans dans notre passé, et l’on espère pouvoir un jour atteindre, et même dépasser, le million d’années.

Quand j’ai rencontré la Dre Tamsin Edwards, enseignante en sciences environnementales à l’Open University, elle rentrait à peine du laboratoire du BAS (British Antarctic Survey). On peut voir une photo d’elle sur Twitter, le visage illuminé d’un sourire ravi tandis qu’elle tient une petite esquille de glace près de son oreille. Les membres de l’expédition conservent un sac de fragments de prélèvements inutilisables et les visiteurs peuvent les prendre et les frotter entre leurs doigts, tout en écoutant ce qu’il se passe. Exposée à la chaleur du corps humain, cette glace libère les bulles d’air qu’elle a conservées d’un lointain passé avec un pétillement audible. Des gaz emprisonnés alors que les mammouths laineux, les Grecs de l’Antiquité ou les Élisabéthains à fraise hantaient encore le monde, retrouvent la liberté après leur interminable et glaciale réclusion. « En plus, elle est tellement belle à voir ! Parfaitement transparente, hormis ses myriades de bulles minuscules toutes identiques », souligne Tamsin Edwards avec un sourire de fin connaisseur.

En analysant la composition des bulles d’air prises dans ces carottes de glace, les chercheurs peuvent nous donner une idée de ce qu’était l’atmosphère de la Terre dans notre lointain passé.

Les glaciers sont constitués d’innombrables couches de neige durcie, disposées en strates. Pour les glaciologues, l’épaisseur et le nombre de ces strates sont l’équivalent des anneaux d’un tronc d’arbre pour un spécialiste de la dendrochronologie. Ils peuvent, par exemple, nous dire s’il a beaucoup ou peu neigé durant telle ou telle année. Et grâce aux petites quantités de gaz, de poussières, de particules et autres débris encapsulés lorsque les flocons s’accumulent et gèlent, ils peuvent nous apprendre des tas de choses sur les conditions qui régnaient à l’époque où cette glace s’est formée.

On y retrouve les pollens des antiques végétations qui poussaient aux environs ; leur analyse permet aux climatologues de déterminer d’où soufflaient les vents, et ils sont en mesure de détecter d’autres détritus apportés d’autres régions du monde par les courants atmosphériques. De la même manière, les éruptions nous ont laissé, mêlées aux cristaux de glace, des couches de cendres et de minuscules fragments de verre volcanique qui nous racontent d’anciens cataclysmes, intervenus bien avant les toutes premières transcriptions de l’histoire humaine.

La Dre Edwards m’a montré les données qu’elle utilise pour son enseignement : la mesure des proportions de plomb dans la poussière déposée entre les couches de glace, il y a de très nombreuses années, qui y est demeurée emprisonnée depuis. Si, comme moi, vous n’êtes pas particulièrement adepte du ménage, vous avez sans doute l’habitude de faire toutes sortes de trouvailles intéressantes sur votre passé, à partir de la poussière de votre appartement (de préférence quelques minutes avant l’arrivée d’un visiteur important). La qualité et le degré de détails historiques révélés par l’analyse des carottes de glace sont extraordinaires.

Les climatologues peuvent ainsi identifier la période où les humains ont découvert la coupellation (un procédé utilisé en métallurgie à partir de l’an 500 av. J.-C., pour séparer l’or et l’argent des métaux moins nobles). On constate une augmentation notable de la pollution par les poussières de plomb à l’époque où la frappe des monnaies s’est généralisée, d’abord dans la Grèce antique, puis dans l’Empire romain, un pic bien antérieur à celui de la révolution industrielle – puis à une soudaine décroissance correspondant à l’épuisement des mines de plomb romaines, avant le déclin de l’Empire lui-même.

Grâce aux bulles de gaz emprisonnées dans les carottes de glace extraites dans l’Antarctique, des scientifiques comme Tamsin Edwards peuvent analyser le taux de dioxyde de carbone (CO2) et autres gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère de notre lointain passé, et comprendre comment ces gaz sont apparus. Il s’avère que les atomes de carbone sont d’excellents chroniqueurs, et qu’ils ont une très bonne mémoire des dates et des lieux. Par exemple, en mesurant les ratios de différents types (ou isotopes) d’atomes d’hydrogène, les chercheurs peuvent distinguer le CO2 émanant de créatures vivantes de celui produit par la combustion de carburant fossile lorsque la révolution industrielle a vraiment démarré, au xixe siècle. Chaque tronçon d’une carotte de glace raconte une histoire sur le monde d’où il vient, ses conditions climatiques, et la quantité de glace qui existait sur la planète à ce moment-là.

En combinant ces informations, les climatologues ont créé le fameux graphique en dents de scie qui illustre les variations climatiques et la longue histoire de glace et de feu de notre Terre. On constate que les ères glaciaires interviennent tous les cent mille ans, à peu près, avec une élévation et une baisse du taux de gaz à effet de serre selon un cycle régulier. Mais l’accélération du progrès technologique, l’augmentation de la population et de la consommation ont fait grimper en flèche les émissions de CO2 au cours des cent dernières années, avec des conséquences qui pourraient se révéler catastrophiques pour l’espèce humaine.

Inévitablement, les modifications du climat jouent un rôle majeur dans Game of Thrones. Comme l’a dit George R. R. Martin lors d’une interview sur Al Jazeera America, en 2013, « en fin de compte, le changement climatique… [représente] une menace pour le monde entier. Mais au lieu de s’en préoccuper, certaines personnes l’utilisent comme argument de leur match de football politique… On imaginerait pourtant que nous voudrions tous unir nos forces. Il s’agit de quelque chose qui peut potentiellement aboutir à l’extinction de l’espèce humaine. C’est pourquoi j’ai voulu faire une analogie, pas spécifiquement avec la situation de notre époque moderne, mais en tant que concept général dans la structure des romans ».

Dans notre monde, les politiciens et les grands dirigeants de la planète ne pensent qu’à leurs guerres et à leurs querelles, et ne prêtent que très peu attention au danger qui nous menace tous, celui de la fonte des calottes glaciaires. Dans les Sept Couronnes, les nobles maisons, trop occupées par leurs prises de bec, ne tiennent aucun compte de la menace des sinistres Marcheurs Blancs qui attendent leur heure dans les brumes glacées au-delà du Mur.

Pour en revenir à notre Terre, les spécialistes comme la Dre Edwards ne demandent qu’à tendre la main à tous les acteurs du débat sur le réchauffement, afin de discuter des limites de notre savoir, de la complexité croissante des modèles prédictifs et de l’estimation des risques (et des possibilités) d’une modification drastique du climat. Quelles que soient vos opinions, je pense qu’il est difficile de ne pas se sentir fasciné par la magie des carottes de glace de l’Antarctique et par le souvenir de l’apogée et du déclin de grands empires préservés dans la poussière de l’Antiquité, ou l’eau et les gaz figés dans le temps que nous avons retrouvés dans les tréfonds de ce continent inhabité, à l’extrême bout du monde.

Extrait de "Science & magie dans Game of Thrones" d'Helen Keen, aux éditions Albin Michel 

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