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Pourquoi il est si difficile de s’abstenir de regarder les écrans des autres
©ROBERTO SCHMIDT / AFP

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Les écrans sont partout : ordinateurs, tablettes, portables, etc., ont envahi l'espace public. Et lorsque vos voisins sortent les leurs, il est souvent difficile de ne pas céder à la curiosité de regarder ce qu'ils font ou écrivent.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Que cherche-t-on lorsqu'on regarde l'écran de quelqu'un d'autre ? Est-ce une démarche consciente ?

Nathalie Nadaud-Albertini : On regarde les écrans des autres dans des situations où l’on se retrouve en présence de personnes que l’on ne connaît pas et avec qui on n’est pas censé communiquer. Les transports en commun par exemple.

Si l’on suit l’étude réalisée par l’équipe de chercheurs de l'université Ludwig Maximilian de Munich, on regarde essentiellement les écrans des autres de façon informelle et opportuniste, par curiosité et par ennui. Ce n’est pas une démarche immédiatement consciente de la part de celui qui regarde. C’est un coup d’œil jeté à la sauvette, rapidement, sans penser réellement à mal. En revanche, la plupart du temps, cette démarche est ressentie négativement par ceux dont on regarde l’écran. De la même façon, elle est mal vécue par les personnes qui observent, surtout lorsque ces dernières s’aperçoivent que leur regard a été surpris. On a alors de la gêne et de la colère pour les premiers, ainsi que de la culpabilité et un sentiment de malaise pour les seconds.

Sommes-nous tous de potentiels "voyeurs" ?

Avant de répondre, il convient de s’entendre sur ce que l’on entend par voyeurisme. Dans sa définition première, il s’agit à la fois d’une maladie mentale et d’une déviance qui consiste à regarder l’autre à son insu, de préférence dans des situations de nudité, pour en retirer une gratification d’ordre sexuel.

Dans le cas qui nous intéresse, le bref coup d’œil sur l’écran de quelqu’un d’autre dans les transports en commun, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une maladie mentale visant une satisfaction sexuelle. On est plutôt dans le registre de la curiosité envers l’autre. Qui est-il ? Comment est sa vie ? Qu’est-ce qui est important pour lui ? Que fait-il dans la même situation que moi ? Que pense-t-il ? Le problème étant que cette curiosité est intrusive et viole l’intimité de l’autre, même si cette intrusion est se fasse inconsciemment.

Pour répondre précisément à votre question, disons que nous sommes tous des curieux potentiels, parce que dans une situation où on se trouve face à autrui de façon prolongée sans pouvoir communiquer avec lui, on s’interroge sur lui, on a envie de savoir qui il est, sans avoir la possibilité de réellement le lui découvrir en engageant la conversation par exemple. En effet, dans les transports ou des situations assimilées, les normes de politesse veulent que l’on ne s’attarde pas de façon prolongée sur l’autre, qu’on ne le gêne pas par des regards appuyés ou constants. Effectivement, il y a un certain laps de temps collectivement reconnu comme acceptable pendant lequel on peut regarder l’autre dans ce genre de situation. Ensuite, le regard est vécu comme gênant, intrusif et inapproprié.

En d’autres termes, le rapide coup d’œil que l’on est autorisé à jeter sur l’autre ne permet pas de le connaître, ne serait-ce qu’un peu, et on cherche parfois d’autres moyens de savoir qui il est, comme regarder l’écran de son téléphone ou, avant l’arrivée des smartphones, essayer de voir les pages du livre qu’il était en train de lire.

Est-ce quelque chose de réellement spécifique aux nouvelles technologies ? Retrouve-t-on le même comportement ailleurs ?

Non, ce n’est pas un comportement réellement spécifique aux nouvelles technologies. Comme je vous le disais plus haut, ce comportement se manifestait avant les nouvelles technologies mais d’une autre manière : jeter un coup d’œil sur le livre ou le journal de la personne assise en face de nous, ou simplement imaginer sa vie en se basant sur ses vêtements, la posture de son corps, son visage (est-il détendu ou crispé ? marqué ou non ? maquillé ou pas ? etc. ).

Connaître l’autre, c’est aussi l’objet de nombreuses disciplines comme la littérature ou les sciences humaines. Autrement dit, ce regard rapide sur les écrans des autres n’est qu’une des façons que l’être humain a trouvé pour résoudre l’énigme que constitue autrui pour chacun d’entre nous. 

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