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"Les Religions, la Parole et la Violence" : le choc des mots, le poids des médiocrités
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Comment expliquer que si souvent les religions, qui prêchent le respect de l'autre, le dépassement de soi, l'amour, aient été et sont à l'origine de tant de violence ? En partant d'une analyse de la langue utilisée, le grand linguiste Claude Hagège nous offre une vision très originale et très riche du destin des religions.

Danielle Mathieu-Bouillon pour Culture-Tops

Danielle Mathieu-Bouillon pour Culture-Tops

Danielle Mathieu-Bouillon est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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LIVRE

Les Religions, la Parole et la Violence

de Claude Hagège

Ed. Odile Jacob 

237 pages

RECOMMANDATION : EN PRIORITE

THEME 

Pourquoi cette espèce de besoin fondamental de l’homme de croire en des Dieux ? L’angoisse face à la mort, le questionnement face à l’inexpliqué, de multiples raisons sont trouvées. Mais pourquoi ces religions, qui a priori seraient conçues pour générer l’harmonie et l’amour, ont-elles, notamment en ce qui concerne les religions révélées, provoqué tant de conflits et répandu tant de violences et de sang? 

Depuis toujours cette question taraudait Claude Hagège. Il a décidé d’y répondre par un livre assez exceptionnel.

POINTS FORTS

1 – Ce qui est magnifique avec les auteurs intelligents à l’extrême, comme c’est le cas de Claude Hagège, c’est qu’il nous entraîne dans une vaste «  chevauchée personnelle de vive allure à travers le champ des religions depuis longtemps labouré »,  selon le prisme où il excelle, à savoir le langage. 

Même si cet ouvrage plonge dans la complexité des religions avec une érudition exceptionnelle, il est exposé avec une clarté remarquable et permet d’accéder d’une manière globale à l’ensemble des religions humaines, en les replaçant dans leur contexte historique.

 2- La partie qu’il consacre au judaïsme est particulièrement passionnante. Le linguiste qu’il est, avec sa maîtrise de l’hébreu, nous permet d’aborder des aspects tout à fait intéressants lorsque Dieu se parle et quand Moïse parle…. Notons que la révélation est faite, dans ce cas, directement par Dieu. Même si nous parlons toujours des «saintes écritures» il est essentiel de se souvenir que la tradition orale perdura longtemps avant leur transcription. Particularisme de la judéité, avec «  la rage de survivre et de transmettre » qui fait que les Juifs n’ont pas changé depuis l’aube de la révélation divine. Ils sont passés de la Religion du temple, à la religion du livre, la Torah, dont la connaissance approfondie leur donne le pouvoir d’assurer leur survie. 

3 – J’ai aimé la convergence qu’il constate avec ces mystérieux rendez-vous du temps – il parle de coïncidence-, quand, autour du 5ème siècle avant Jésus-Christ, coexistent l’établissement du second temple de Jérusalem avec la transcription de la Bible, le miracle grec avec Socrate, Platon, Eschyle, et la démocratie d’Athènes. Cette même période est aussi celle de Confucius et de Bouddha.

4- Pour Claude Hagège, les Evangiles sont avant tout des apologies et non des rapports historiques. Il préfère se référer aux historiens romains de la période pour établir le peu de choses que l’on sache effectivement sur Jésus. Pour lui, le christianisme, qui reprend pour l’essentiel les fondamentaux de l’ancien testament, « est difficile et pourtant universel ».

5 – Sur un plan de langage j’ai particulièrement apprécié le passage où la religion aide au développement des idiomes linguistiques. Pendant la Réforme de Luther, dont on célèbre le 5ème centenaire de "ses placards", Claude Hagège nous apprend que la traduction qu’il fit de la Bible en langue gothique, contribua à enrichir grandement la langue allemande, un lexique ayant été établi à partir de sa version. De même, c’est en traduisant les évangiles, que Mesrop Matchots inventa l’alphabet arménien ; la  traduction biblique par Jacques Amyot a embelli la langue française, comme celle de William Tyndale a enrichi l’Anglais. 

Quant au pouvoir de l’art de la rhétorique, Hagège pense que « Jésus possédait au plus haut point l’art de convaincre » et évoque à cet égard les religions se réclamant de l’oralité pure, comme celles d’Afrique, en citant le mot du chef malien Hampaté Bâ : «Un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle».

6 – Claude Hagège s’attache à l’Islam comme à la plus jeune des prophéties. Elle fut révélée à Mahomet par l’archange Gabriel, au cours de 23 années. Mahomet « savait clairement se faire entendre » et après, là encore, une longue période de transmission orale en langue arabe, de manière à faciliter sa compréhension, on procèdera à la transcription du Coran. Claude Hagège éclaire son histoire depuis le  7ème siècle et ses différentes interprétations. Les variations de compréhensions entraîneront des schismes, dont le plus connu est celui entre les sunnites et chiites, qui demeure depuis 874.

7 - Même si elle est moins approfondie, sa présentation des croyances de l’orient est claire. Il les décrit dans l’ordre chronologique de leur apparition, et démontre que, contrairement aux trois religions révélées, elles se sont répandues de manière plutôt pacifique. Les religions ou spiritualités de l’Orient extrême ont provoqué moins de terreurs et de violences dans l’histoire. On ne peut qu’admirer la limpidité avec laquelle Claude Hagège décrit l’Hindouisme, le Shintoïsme, le Bouddhisme, le Confucianisme. Il ira jusqu’à évoquer brièvement le Comtisme (religion d’Auguste Comte) et l’actuel « Transhumanisme ».

POINTS FAIBLES 

Je n'en vois pas.

EN DEUX MOTS

Dans le contexte actuel où notre loi de laïcité  s’avère difficile à appliquer, Claude Hagège, par son regard érudit de linguiste, nous aide à mieux comprendre l’ensemble des religions du monde et la complexité des religions révélées, qui font historiquement référence au même Dieu, celui d’Abraham. Et pourtant, que de sang versé ! Il étudie, observe sans prendre parti, mais énonce quelques vérités qui sont bonnes à connaître.

UN EXTRAIT 

 A propos de l’Islam : « Dieu est présent partout et il sait » (XXIV, 32) » « Dès lors, le croyant, s’il se soumet à ces textes sans juger, est, à tout moment de sa vie, convaincu d’être sous l’œil de Dieu. Tout pêché qu’il peut commettre est menacé d’apparaître comme un crime au regard de la religion. Inversement, tout crime à l’égard de personnes perçues comme des ennemis de Dieu reçoit l’absolution de la religion. Cette justification du crime, et notamment des attentats terroristes qui ont ensanglanté, en France, le début et la fin de l’année 2015, ainsi que le milieu de l’année 2016, serait moins facile à admettre si une sécularisation de l’islam retirait leur légitimité confessionnelle aux violences. Tel est le souhait explicite de certains intellectuels musulmans, par exemple Lahoari Addi (2016) » (page 170)

L’AUTEUR 

Claude Hagège, agrégé de lettres classiques est linguiste et professeur au Collège de France. Il est lauréat de la médaille d’or du CNRS. 

Polyglotte dans l’âme, il est l’auteur de  nombreux livres qui ont connu d’immenses succès : « Le Français et les siècles », « Le Souffle de la langue », « L’Enfant aux deux langues », « Halte à la mort des langues », « Combat pour le français », « Contre la pensée unique » et le « Dictionnaire amoureux des langues ».

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