Pourquoi nos expressions du visage ne reflètent pas nécessairement nos émotions ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Différentes nuances de l'émotion ressentie par la foule lors de la performance de Mumford and Sons en juin 2017 durant le festival Arroyo Seco Weekend en Californie
Différentes nuances de l'émotion ressentie par la foule lors de la performance de Mumford and Sons en juin 2017 durant le festival Arroyo Seco Weekend  en Californie
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Le miroir de l'âme ?

De nouvelles études viennent de relancer le débat sur les liens entre les expressions du visage et nos émotions. Ce concept considéré comme universel cache en réalité des enjeux sociaux et d'emprise envers nos interlocuteurs au quotidien.

Pendant des siècles, les expressions du visage ont été considérées comme le miroir de nos émotions internes. Mais une étude récente tend à démontrer que nous sommes bien loin de la réalité. Le psychologue Carlos Crivelli a mené des recherches sur les émotions et les expressions du visage. Cette étude a été menée en 2015 en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le résultat de cette étude démontre des résultats surprenants. 

Carlos Crivelli a présenté des photographies de portraits d'occidentaux effrayés à des habitants des Iles Trobriand. Ces atolls coraliens sont situés au large de la côte orientale de la Nouvelle- Guinée. Les clichés dévoilaient clairement des expressions marquées de peur avec des regards terrifiés et des bouches grandes ouvertes. Le psychologue a alors demandé aux habitants des Iles Trobriand d'identifier ce qu'ils venaient de voir sur ces photographies. Les personnes interrogées ne voyaient pas des visages effrayés. Elles voyaient bien au contraire une menace envers eux de la part de la personne sur le cliché. Les personnes questionnées décelaient plutôt une indication d'un grand danger et d'un risque d'agression envers eux, de la part de la personne photographiée ! Face à une photographie d'un occidental effrayé, les habitants des Iles Trobriand percevaient donc plutôt une personne agressive et non effrayée. En d'autres termes, ce que nous pensons être une expression universelle de la peur n'est en fin de compte pas si universelle que cela à travers la planète. 
Cette étude vient donc renforcer la théorie selon laquelle les expressions faciales ne reflètent pas totalement nos émotions. Au lieu de dénoter de manière fiable nos états émotionnels, nos traits démontreraient en réalité nos intentions et nos objectifs sociaux. 
Alan Fridlund, un professeur de psychologie à l'Université Santa Barbara de Californie, a publié une étude avec Carlos Crivelli qui plaide en faveur d'une vision beaucoup plus fonctionnelle et utilitariste des expressions faciales. Selon Alan Fridlund, le visage agirait "comme un panneau de signalisation qui aurait un impact sur le trafic de cet axe". Nos visages, nos grimaces et nos mimiques seraient donc selon lui des "moyens de diriger la trajectoire d'une interaction sociale". Les expressions du visage ne servent pas totalement et constamment à manipuler les autres fort heureusement. Nos sourires et nos froncements de sourcils peuvent être instinctifs. 
Nos expressions du visage ne seraient donc pas véritablement un miroir de ce qui se passe réellement à l'intérieur de nous. Il s'agit plutôt d'un signal que nous envoyons concernant ce que nous espérons qu'il se passe par la suite. Un visage contrarié et des expressions de dégoût dans le cadre d'une conversation peut ainsi indiquer que vous n'êtes pas satisfaits avec la tournure des débats et que vous souhaitez en réalité qu'elle prenne une différente tournure. 
L'idée selon laquelle les émotions sont fondamentales, instinctives et exprimée à travers nos expressions du visage sont profondément ancrées dans la culture occidentale. Dans les années 1960s et 1970, la recherche scientifique a soutenu l'idée selon laquelle un florilège d'émotions de base pouvait être compris de manière universelle à travers les expressions du visage. 
Dans différents pays à travers la planète, le chercheur Paul Ekman a demandé à différentes personnes de lier des photographies (représentant clairement des expressions faciales) avec des émotions et un cadre émotionnel bien précis. Ses travaux indiquaient que certaines expressions et leurs sentiments correspondants étaient bien reconnus par des populations du monde entier. La joie, la peur, la tristesse, la colère, la surprise ou bien encore le dégoût étaient concernés. Les conclusions de Paul Ekman ont eu une influence considérable sur la société. 
Une nouvelle étude remet en cause les deux principaux piliers de la théorie sur les émotions (l'universalité des émotions et leur interprétation commune d'une part, la croyance selon laquelle les expressions du visage sont des relais fiables de nos émotions). 
Les récentes études de Carlos Crivelli menées auprès de la population des Iles Trobriand, chez les Himbas en Namibie, avec les Hadzas en Tanzanie et auprès des Mwanis au Mozambique démontrent des différences nettes d'interprétation des sentiments et des émotions liées aux expressions du visage par rapport aux interprétations du monde occidental. Les chercheurs n'ont donc pas pu démontrer que ce qui se cache derrière une expression du visage est compris de manière innée ou universelle. Ils ont découvert que seulement une minorité de visages reflétait réellement les véritables émotions. Même lorsque nos expressions faciales sont interprétées par les autres, avec une émotion clairement indentifiable, ces traits du visage peuvent laisser transparaître une émotion que nous ne ressentons pas réellement.    
Même si nos expressions et nos mimiques ne reflètent pas à 100% nos véritables sentiments et nos émotions profondes, cela a en revanche des conséquences énormes. Dévoiler nos émotions internes aux autres pourrait nous placer dans une situation désavantageuse. 
Ces découvertes pourraient influencer à l'avenir les recherches et le développement de l'intelligence artificielle. Les réactions des robots face à nos émotions pourraient effectivement fortement fluctuer. 
Cette nouvelle étude permettrait également d'interpréter les interactions sociales. Nous pourrions être en mesure de mieux communiquer si nous étions capables de ne pas calquer une émotion avec les expressions du visage de notre interlocuteur. La grimace d'un proche pourrait en fait indiquer qu'il souhaiterait vous faire partager le même avis que lui. Un rire nerveux peut souligner le fait que l'on ne prête pas suffisamment attention à la conversation ou indiquer une forme d'hostilité.  
Carlos Crivelli estime que nos expressions du visage nous permettent d'agir comme des marionnettistes. Ces traits particuliers du visage seraient "des câbles ou des cordes invisibles que nous utilisons afin de tenter de manipuler les autres".  
Ces nouvelles études et ces conclusions tendent donc à démontrer que nous sommes des créatures sociales. 
Lu sur la BCC

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