Ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué
Les Iraniens et les Iraniennes ont-ils gagné une grande bataille en silence contre la République islamique ?
Dans les rues de Téhéran et des grandes villes iraniennes, les femmes sont de plus en plus nombreuses à se promener sans voile, malgré la répression violente dont elles sont les premières victimes. Les actes de désobéissance civile à la République islamique sont également récurrents au sein de la population. Est-ce le signe que le régime des Mollahs est définitivement affaibli ? Explications avec Emmanuel Razavi, Grand reporter, qui traverse l'Iran depuis le mois de septembre.
Emmanuel Razavi
D’origine iranienne, Emmanuel Razavi est grand reporter. Il a enquêté sur les filières jihadistes ainsi que sur le corps des Gardiens de la Révolution. Ses reportages et enquêtes ont été publiées dans Paris Match, Franc-Tireur, Valeurs Actuelles, Politique internationale. Il est auteur de plusieurs documentaires sur le Moyen-Orient diffusés sur Arte et la chaine Planète. Son dernier livre, « La face cachée des Mollahs » (Cerf), révèle le visage mafieux et terroriste de la République islamique d’Iran.
Atlantico : Plusieurs vidéos circulent sur les réseaux sociaux de jeunes femmes faisant la fête ou marchant librement sans voile en Iran. Quelle est l’ampleur du phénomène ?
Emmanuel Razavi : C’est un phénomène très important. S’Il est interdit de mener des enquêtes et des sondages en Iran, une récente étude réalisée à distance par l’institut Gamaan, indique que 81% des Iraniens désavouent la République islamique. Évidemment, le régime tient encore par la brutalité. Cependant, le fait de voir ces femmes circuler sans voile, alors qu’elles risquent la prison en agissant ainsi, montre bien que les choses ont changé.
Les Iraniens et les Iraniennes ont-ils gagné une grande bataille en silence contre la République islamique ?
Pour l’heure, comme je le dis, le régime continue de tenir par la force. Il arrête des gens de façon arbitraire, systématise la torture et le viol dans les prisons. Cependant, une bataille générationnelle a été gagnée par la jeunesse qui veut vivre libre, et ne veut plus entendre parler d’islam politique.
Qu’est-ce qui peut expliquer cette « liberté conquise » ?
Je pense que les Iraniens sont encore loin d’avoir acquis une quelconque forme de liberté. Car la contestation a fait des centaines de morts et qu’il y a eu des milliers de gens arrêtés, et cela continue. Pour en revenir à votre question, les années 2000 ont vu l’apparition d’Internet et des chaines satellitaires en Iran. Les gens, notamment les jeunes, ont vu comment était la vie dans les pays démocratiques. Il était évident que cela aurait une influence durable. Par ailleurs, la génération d’aujourd’hui ne veut pas des religieux, ni de l’islam politique. Pour eux, cela ne représente que violence et atteintes à leurs libertés. Ils reprochent ainsi, souvent, à leur parents ou grands-parents d’avoir amené les mollahs au pouvoir.
Est-ce suffisant pour véritablement ébranler le régime ?
Il y a un ensemble de facteurs qui ébranlent le régime. Il y a bien sûr le fait que la société iranienne a évolué, quand le régime a quant à lui été incapable de la moindre réforme. Mais la dimension économique est aussi très importante à prendre en compte. Près de deux tiers de l’Iran sont en stress hydrique depuis des années. Toute une partie de la population n’a pas accès à l’eau potable, sans parler des problèmes de coupure d’électricité. La moitié des Iraniens peinent à faire deux repas par jour, et le chômage, comme l’inflation qui avoisine les 60% , ne cessent de croître. Le régime, violent et corrompu, est contesté y compris au sein de l’entourage du Guide Ali Khamenei. L’on sait aussi qu’y compris au sein du corps des Gardiens de la Révolution, il y a des dissensions qui sont apparues quant à la stratégie à suivre. Bien sûr la République islamique est loin d’être morte, mais elle est en quelque sorte à bout de souffle. Elle ne tient que par la violence.
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