Menaces islamistes 1 / Gabriel Attal 0 : le en même temps macroniste a-t-il abîmé l’Education nationale au-delà de tout espoir de sauvetage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pap Ndiaye et Emmanuel Macron lors de la visite du lycée Eric Tabarly aux Sables-d'Olonne en vendée le 13 septembre 2022
Pap Ndiaye et Emmanuel Macron lors de la visite du lycée Eric Tabarly aux Sables-d'Olonne en vendée le 13 septembre 2022
©LUDOVIC MARIN / AFP

SOS

Il est permis de se poser la question à périmètre politique égal en tous cas, comme le montre le renoncement du proviseur du lycée Ravel suite à des menaces de mort

Patrice Romain

Patrice Romain

Instituteur, directeur d'école puis principal de collège, Patrice Romain a pris sa retraite fin 2020, désabusé par la gouvernance de "son" école publique. Il est l'auteur d'une dizaine de livres sur l'Éducation nationale, dont le best-seller Mots d'excuse. Son dernier ouvrage est  "Requiem pour l'Education nationale - Un chef d'établissement dénonce : parents et professeurs doivent savoir !" (2021) aux éditions du Cherche Midi.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Depuis son élection à la présidence de la République, Emmanuel Macron souffle le chaud et le froid en matière de laïcité. Pouvez-vous revenir sur les différents changements de ligne du président de la République sur cette question ? 

Patrice Romain : Le Président a toujours prôné la laïcité. Le problème, c’est que, comme trop souvent avec les politiques, ce n’est que de la com’. Impossible de savoir sur quelle ligne se situe monsieur Macron : dialogue ou fermeté ? Lui répondrait sans doute « en même temps », mais c’est impossible avec des intégristes.  À l’Éducation nationale se sont succédé messieurs Blanquer et N’Diaye qui, idéologiquement, sont aux antipodes l’un de l’autre. Il n’y a aucune logique. En tout cas, je ne la vois pas. Je ne suis pas non plus convaincu que monsieur Attal et madame Belloubet sont sur la même longueur d’onde. Les nominations de ministres sont hélas éminemment politiques (avec un « p » minuscule), et ne tiennent aucun compte de la Politique (avec un « p » majuscule) éducative décidée en haut lieu (d’ailleurs y en a-t-il une ?) Comment les enseignants (et les élèves) peuvent-ils s’y retrouver ?

Guylain Chevrier : Qu'est-ce que l’école laïque pour Emmanuel Macron ? Celle de Jean-Michel Blanquer, de Pap Ndiaye ou de Gabriel Attal ? Sans doute les trois, étonnamment, comme cela a déjà été relevé. Le président s’est toujours présenté, parfois avec ambiguïté, comme défenseur de la laïcité, telle qu’il la définissait à rebrousse poils, le 9 avril 2018 lors de sa déclaration sur le dialogue entre l’Etat et l’Eglise catholique : “Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé et qu’il importe, à vous comme à moi, de le réparer.” S’exprimant sur la laïcité, il a ajouté que cette dernière n’a “pas pour fonction de nier le spirituel”. 

On se rappellera que, au début du premier quinquennat, malgré un ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, attaqué comme trop laïque, on n’a pas été en mesure de redonner de la cohérence à ce qui définit le périmètre de l’école de la République. On a refusé de revenir à « la circulaire Chatel » qui, sous la présidence Sarkozy, avait interdit le port de signes religieux pour les parents accompagnateurs de sorties scolaires. Ainsi, la mission de l’école lorsqu’elle se réalise à l’intérieur des murs de l’école, est laïque, et lorsqu’elle en passe la porte, ne l’est plus. Ceux pourtant qui, comme parents, jouent un rôle qui est celui de l’école laïque lorsqu’ils accompagnent collectivement des enfants, et pas que les leurs, peuvent manifester par des signes ostensibles leurs diverses convictions religieuses. Et ainsi, dans certains quartiers, pratiquement que des femmes voilées. On retournera l’argument pour dire que, si on n’autorisait pas les signes religieux aux parents dans ce cas, ces femmes resteraient chez elles. Mais un autre argument existe, comme un directeur d'école primaire me l’avait confié à l’époque, bien avant la circulaire Chatel, l’exemple d’une mère voilée lui disant qu’elle aimerait bien pouvoir enlever son voile mais qu’elle ne le peut pas, en raison « du regard du quartier ». On voit bien l’enjeu que porte la loi lorsqu’elle fait œuvre de cohérence, dont l’école a tant besoin. Résister aux influences extérieures qui rêvent de la miner, pour y imposer des choix qui n’ont rien à voir avec ce qu’elle est, par exemple, religieux. Un espace où la raison seule doit se faire entendre, c’est-à-dire un lieu d’apprentissage de connaissances et du raisonnement, qui est la condition de la formation de ce libre-arbitre, de cette autonomie de la pensée, sans quoi on ne fait pas de citoyens. 

En janvier 2018, le président s’exprime publiquement pour dire vouloir relancer l’enseignement du fait religieux à l’école. Il rencontre dans la foulée les responsables des cultes à l’Elysée. A plusieurs reprises le président de la République dit sa conviction : « non seulement l’enseignement de la laïcité et celui du fait religieux ne s’opposent pas mais ils sont même liés et indispensables dans la société ». En réalité, on sait parfaitement que la connaissance de la religion de l’autre n'a jamais empêché les Guerres de religion. Mais surtout, ce n’est pas par la connaissance de la religion de l’autre qu’on se respecte entre citoyens, c’est en se considérant d’abord comme tel, au lieu d’entretenir ce genre de confusion. Confier à des enseignants d’enseigner le fait religieux revient à l’impossibilité d’en avoir une approche critique qui sinon transforme les salles de classe en lieu d’affrontement. On ne fait plus que de faux-semblants. On n’est déjà pas dans un cours de science sur l’origine de la vie ou en cours d’histoire sur la Shoah, ou encore de philosophie sur la liberté d’expression, liberté fondamentale, (ce qui coûtera la vie à Samuel Paty) à l’abri de débordements, de contestations. Pourquoi ne pas enseigner tout simplement, dans les événements auxquels les religions sont historiquement mêlées, des faits d’histoire, où le religieux n’a pas à être traité à part sous un jour théologique ? Et surtout pour ne pas tomber dans une intégration dans l’école chacun selon sa différence.

Parallèlement, est créé en février 2018 le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République (CSLVR), officialisé en 2021 pour exercer auprès du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse une mission relative à la mise en œuvre du principe de laïcité et à la promotion des valeurs de la République. 

Puis, c’est le branle-bas de combat au secours de la République en danger face au risque du « communautarisme », le président introduisant le mot « séparatisme » dans le débat public à la suite de l’attentat à la Préfecture de police de Paris, en octobre 2019. Il cible un islam en rupture avec les règles sociales et politiques. Le 2 octobre 2020, aux Mureaux (Yvelines), le président présente son action contre « les séparatismes ». Ce sont les prémisses de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. On y trouve un nouveau délit de séparatisme qui vient protéger les élus et agents publics contre les menaces ou violences. En réponse à l'assassinat terroriste de l'enseignant Samuel Paty, les députés ont créé un délit d'entrave à la fonction d'enseignant. On se dit que l’école va être mieux protégée et ses enseignants. On verra être affirmés les référents laïcité dans la Fonction publique dont, dans l’école. Mais on passe ensuite à autre chose, ça retombe…

Un grand plan de formation sur la laïcité et les valeurs de la République est lancé en 2021, qui est censé permettre de régler enfin la question récurrente de la formation des enseignants. Et est-ce bien le problème cette formation ? Elle ne peut certes pas faire de mal. Mais n’est-ce pas plutôt la motivation de l’enseignant au regard de sa difficulté à s’identifier à son institution, alors que le « pas de vagues » est dénoncé depuis l’assassinat de Samuel Paty. 

Puis, c’est la sidération, en mai 2022, est nommé Ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye, universitaire spécialiste d’histoire sociale des Etats-Unis, où il a fait une partie de ses études, il participe à des réunions non-mixtes à l’invitation de la Black Student. Il adoptera ensuite la vision outre-Atlantique des Black studies pour l’importer en France, traitant sur le même mode qu’au pays de « l’Oncle Sam » la question de la population d’ascendance africaine en termes communautaires, ainsi plaquée sur notre pays. Il arrive dans le contexte d’une école sous tension confrontée aux revendications identitaires. Il fait passer de 15 à 20 membres le Conseil des sages de la laïcité en avril 2023, pour y faire entrer certaines personnalités qui s’éloignent de l’esprit du projet de départ. L’emblématique Alain Policar, sociologue et politiste, chercheur associé au Cevipof. Dans une tribune publiée dans Le Point, intitulée « N’assassinons pas la laïcité ! », la sœur de Samuel Paty fustige sa nomination, « connu pour son hostilité à ce qu’il appelle la laïcité répressive, ou de combat. » On notera aussi que la juriste Gwenaële Calvès qui rejoint alors le Conseil des sages, s’est publiquement prononcée comme favorable à « la discrimination positive. », dans un article pour Alternatives Économiques, en janvier 2005, et même considérée en la matière comme la représentante française de la question. 

C’est sous ces auspices que, selon une enquête du Syndicat national des directions de l’Education nationale (SNPDEN)-Unsa, les principaux et proviseurs ne font pas systématiquement remonter les atteintes à la laïcité. Quelque 26% d’entre eux ont été confrontés à des contestations d’enseignement au nom d’une vérité religieuse, et 37% parmi eux ne les ont pas signalées à l’institution. C’est sur la question des signes religieux dans l’école que le ministre ne saura pas ou ne voudra pas trancher, face à la multiplication des incidents mettant en cause le port de l’abaya. En juillet 2023, c’est Gabriel Attal qui est nommé ministre de l’Education nationale avec pour mission de régler une situation qui s’est enkystée, avec des chefs d’établissements dépassés. A quelques heures de la rentrée, une « note de service » publiée jeudi 31 août vient entériner l'interdiction des abayas et des qamis, que Gabriel Attal défend, au nom du respect des principes de laïcité dans les établissements scolaires.  

On voit un déroulé politique qui ne permet pas de produire une charpente laïque à l’école de notre République, qui se trouve sous une pression toujours plus grande, comme la démission du proviseur du lycée Maurice Ravel à Paris en témoigne. Une décision prise après avoir reçu des menaces de mort pour avoir exigé le retrait d’un voile auprès d’une élève qui le portait dans son établissement, et s’être faussement vu accusé d’avoir donné une claque à la jeune fille, alors qu’il ne faisait que son travail, simplement faire respecter la loi. On parle d’un « échec collectif ». Il n’est malheureusement pas non plus un cas isolé, puisque ce genre de menaces concerne plusieurs collègues d’autres établissements. C’est surtout l’échec d’une stratégie du « en même temps », qui a sans doute sous-estimé le problème.

Après l'assassinat de Samuel Paty en 2020, le pas de vague qui avait cours au sein de l'Education nationale a été pointé du doigt comme responsable du drame. A-t-on évolué depuis ou sommes-nous toujours face à une institution qui refuse de voir la réalité ?   

Patrice Romain : Il n’y a eu aucun changement. Monsieur Attal a certes, lors de son court passage rue de Grenelle, pris des positions symboliques (port de l’abaya), mais le soufflé est vite retombé. Les hauts fonctionnaires continuent de camoufler la vérité pour fournir de bons chiffres. Ils continuent de ne prendre leurs responsabilités qu’une fois par mois, au moment de toucher leur salaire. Le reste du temps, ils s’appliquent à mettre la poussière sous le tapis. Ils pensent acheter la paix sociale en cédant devant des exigences religieuses toujours plus fortes. Stratégie payante à court terme certes, mais grave erreur pour peu qu’on ait un tant soit peu la fibre « service public ». Quand ils se réveilleront, il sera trop tard. Mais ont-ils envie de se réveiller ? La soupe est bonne, et leurs enfants ne sont pas concernés, puisqu’ils sont scolarisés dans des établissements tranquilles. J’ai discuté avec de nombreux d’inspecteurs qui, en off, partageaient mon analyse et m’avouaient jouer de la carte scolaire pour leur progéniture. Par pusillanimité, aucun ne veut dénoncer l’état de l’Institution. Ils sont pourtant aux premières loges…

Guylain Chevrier : On n’en est pas sorti. On note que pour les 20 ans de la loi du 15 mars 2004, d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école, selon un sondage réalisé en juillet 2021 pour la fondation Jean Jaurès, 92 % des enseignants soutiennent le texte, contre 85 % chez l’ensemble des Français. Ils n’étaient que 76 % en 2004. Pour autant, un sondage Ifop pour Ecran de veille de décembre 2022 indiquait que "Plus d’un enseignant sur deux affirme s’être déjà autocensuré pour éviter des contestations au nom de convictions religieuses ou philosophiques avec les élèves. ». Selon un autre sondage Ifop pour le mensuel Ecran de veille de début mars 2023, un enseignant sur cinq (21 %) a, dans sa carrière, été confronté à une menace ou agression liée à des tensions de nature religieuse ou identitaire. » On sait aussi dans ce prolongement, qu’à peine la moitié des enseignants ayant constaté qu’un élève portait une tenue religieuse dans l’enceinte de l’établissement l’a signalé. N’est-ce pas que « le pas de vague » croisé avec la peur de signaler, donne une tout autre image que celle d’enseignants se trouvant sur ce sujet dans une position de combat, face à des attaques qui ressemblent fort au retour d’une volonté religieuse absolutiste, d’un cléricalisme, d’une guerre scolaire entre une religion et l’école laïque ? Tant que cela ne sera pas pris à cette hauteur, les choses ne pourront que se détériorer. Et ce ne sont pas toutes les formations que l’on veut ou la refonte voulu par le président de la République des programmes d’enseignement d’histoire, qui y changeront quelque chose. 

Une semaine après les premières menaces accompagnées d'une vidéo de décapitation envoyées via les Espaces numériques de travail (ENT) à une quarantaine d'établissements franciliens, de nouveaux messages malveillants ont été envoyés à plusieurs écoles, collèges et lycées de la capitale, apprend-t-on. Ce sont 130 établissements, selon le ministère de l’Education nationale, qui ont été visés par des menaces. Sans nommer les choses, elles ne peuvent qu’encore se détériorer et le « pas de vague » avoir du grain à moudre, dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une « école de la peur », telle que l’on commence à la nommer. 

La laïcité semble de moins en moins comprise chez une partie de la population la plus jeune de ce pays. En conséquence, elle est de moins appréciée et respectée. Pouvons-nous nous expliquer cette évolution et ses conséquences ?  

Patrice Romain : On est passé de « chercher à comprendre, c’est commencer à désobéir » à « apprendre, c’est comprendre ». Sous la poussée des pédagogistes que l’Histoire jugera sévèrement, on a de plus en plus écouté l’élève (il y en avait certes besoin, mais raisonnablement). On l’a mis « au centre des apprentissages » en omettant juste un détail : sorti de l’école, l’élève est un enfant qui doit respecter des règles pour s’insérer dans notre société, laïque je le rappelle. Règles que l’École de la République est sensée transmettre. Mais les professeurs, contraints et forcés par leur administration, laissent l’élève transgresser ces règles dans les établissements scolaires pour ne pas traumatiser le petit chéri, pour ne pas se faire insulter par ses parents et/ou pour ne pas être pointé du doigt par la hiérarchie. Une de ces règles intangibles est le respect de la laïcité. Or, on a laissé le terrain à ceux qui la remettaient en cause. L’influence des réseaux sociaux et des religieux intégristes a incontestablement pris le pas sur le charisme du professeur, que les pédagogistes se sont appliqué à détruire progressivement en remettant systématiquement en cause son enseignement. Les jeunes ressentent la loi de 1905 comme une loi liberticide, alors que c’est une loi de tolérance. C’est terrible. Je ne comprends pas qu’en France on accepte les discours haineux des religieux envers l’État laïque. Dans quel autre pays au monde tolèrerait-on cela ?

Guylain Chevrier : D’ailleurs, il est significatif que dans le sondage fait pour la Fondation Jean Jaurès déjà citée, les moins de 30 ans soient les moins enclins à soutenir la loi du 15 mars 2004, seulement 86 %, ce qui l’air de rien est un comble pour des enseignants d’une école laïque de la République. Dans un climat de montée de l’individualisme consumériste, la norme quelle qu’elle soit, n’a plus la même portée. La jeunesse des futurs diplômées et diplômées plus, influencée par la mondialisation, est plus ouverte à l’expression des identités de toutes sortes, dont religieuses, au travers d’une revendication à l’identité qui devient une sorte, en elle-même, de religion. L’idée que la liberté serait de faire ce que l’on veut de soi, en dehors de toute règle commune, comprise comme émanation d’un libre-arbitre qui n’en est pas un, domine. Pourtant cette liberté n’est pas qu’un bien individuel mais une propriété, une responsabilité collective. La liberté de conscience de chacun, le libre choix de ses convictions personnelles provient d’une loi commune, celle de la laïcité de l’Etat, et donc de la séparation de ce dernier des cultes, qui ouvre au droit de croire ou pas, et de changer de religion. Une liberté comme espace protégé par la loi à l’intérieur duquel on agit librement, ce qui est comme oublié. Mais est-ce bien enseigné, et les enseignants sont-ils réellement armés de nécessaires convictions, et soutenus par un discours politique cohérent et fort sur le sujet, qui leur donne confiance, pour être en situation de le défendre partout. Surtout face à une forme de liberté qui se promène dans ces séries de Netflix que regardent les jeunes, où la vision anglo-saxonne déconnectée de toute référence commune, fait progresser l’idée que l’individu est d’abord un électron libre et que seuls comptent les choix personnels d’identité à protéger. La tolérance à tout devient la règle, et interdire ou limiter son expression une discrimination. On sait aujourd’hui que la moitié des 18-24 ans ont tendance à voir la laïcité comme un facteur de discrimination. Il y a derrière cela un choix de société, entre le modèle républicain laïque et le multiculturalisme, le communautarisme, qui doit devenir une grande cause nationale. 

Pire que de ne pas apporter leur soutien aux enseignants menacés, une certaine partie de la gauche les accuse d'être des islamophobes. Quelle est la responsabilité de ces responsables politiques ? 

Patrice Romain : Lourde. Très lourde. Je suis sidéré que, sous prétexte de liberté de parole, des responsables politiques appellent à la violence contre les institutions régaliennes. Qui éteindra l’incendie qu’ils tentent d’allumer ?

Monsieur Mélenchon, pour ne pas le nommer, tenait un discours très laïque il y a une dizaine d’années. Il a radicalement changé d’opinion. Pourquoi personne ne lui en demande la raison ? Si c’est par pur calcul politique, c’est indigne d’un prétendant à la plus haute fonction. Sans compter que, draguer l’électorat religieux, c’est méconnaître profondément la mentalité des intégristes, qui ne lui renverront jamais l’ascenseur.

Guylain Chevrier : En novembre 2019, la gauche de la gauche manifestait aux côtés du Collectif contre l’islamophobie en France, sous le mot d’ordre « stop à l’islamophobie ». CCIF dissous depuis, pour avoir entretenu « des liens étroits avec des tenants d’un islamisme radical invitant à se soustraire à certaines lois de la République », selon le Conseil d'Etat. Jean-Luc Mélenchon était de la fête. On y entonna des Allah Akbar en coeur. En 2010, le leader de la France insoumise dénonçait sans ambiguïté le port de la burqa dans l’espace public, « l’idée obscène de considérer qu’une femme est un enjeu, un gibier, et qu’un homme ne peut la regarder qu’avec un oeil de prédateur », disait-il sur un plateau de télé. Mais treize ans plus tard, le même juge que l’interdiction des abayas à l’école est « une nouvelle absurde guerre de religion entièrement artificielle à propos d’un habit féminin », sur X anciennement tweeter. Son camp pointant du doigt une nouvelle « police du vêtement ». On minore le problème alors que les signalements pour atteintes à la laïcité ont bondi entre 2022 et 2023, de 120%, (4 170).« Depuis la loi de 2004, la laïcité a changé de nature : d’un principe qui s’applique à l’État, elle est devenue un instrument coercitif sur des usager·es du service public. » peut-on lire sur le site de Sud-éducation. Plus précisément, qu’il s’agirait avec cette loi de « dévoiements islamophobes de la laïcité ». Lorsque l’on sait combien le terme islamophobie équivaut à réintroduire le délit de blasphème, on a une idée de ce qu’est la laïcité pour ces promoteurs d’un droit absolu à la différence qui ne peut que conduire à la différence des droits, et à la justification du communautarisme.

Mais surtout, cette propagande anti-école laïque en réalité, qui diffuse cette accusation d’islamophobie, crée un climat propice à bien des risques. La situation qui a été faite au proviseur du lycée Ravel à Paris, avec sa mise en retrait, ne peut être détachée de ce climat délétère. Une situation à l’image d’un État débordé par la pression islamiste, et ce, malgré la mobilisation des services de l’Éducation nationale, de la police et de la justice. S’il y a une certaine prise de conscience du côté du politique, elle est très en retard sur la réalité, et en mal de se dresser face à l’affrontement entre un retour du religieux et la liberté, qui vient. L’école doit être défendue pour ce qu’elle est, le cœur de notre République, le creuset de la formation des citoyens, ceux qui l’attaquent le savent bien.

Quelles sont les solutions, selon vous, pour rétablir la situation ? 

Patrice Romain :Répondre « un Grenelle de l’Éducation » serait trop facile, et l’expression est galvaudée. Il faut avant tout changer les mentalités et se poser les bonnes questions. Notre formidable république laïque est attaquée par des obscurantistes. Aucun dialogue n’est possible avec eux. Seule la fermeté nous empêchera de basculer. Cette fermeté (pas seulement de façade, comme actuellement) devra s’accompagner d’un gros travail de pédagogie pour expliquer à nos jeunes combien ils ont de la chance de vivre dans un état laïque… Ceux qui refuseront les règles communes prendront leur responsabilités et s’excluront d’eux-mêmes de notre société…

Patrice Romain a publié "Omerta dans l'Éducation nationale : les chefs d'établissement sortent du silence" (Éditions du Cherche-midi). 

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